Les lectrices et lecteurs du blog connaissent déjà Matthieu Dhenne, qui me fait régulièrement le plaisir de publier sur le blog. Avocat et Docteur en droit, Matthieu est aussi Chercheur à l’Institut Max-Planck pour l’Innovation et la Concurrence ainsi que Président de l'Institut Stanislas de Boufflers.
La « levée » des brevets sur les vaccins Covid-19 : du mythe à la réalité
Le 17 juin 2022, les membres de l’OMC ont adopté une dérogation permettant de suspendre des droits de brevet liés à la pandémie Covid-19. Cette mesure a immédiatement provoqué de vives réactions dans les milieux intéressés : mais en quoi consiste-t-elle réellement ?
Un assouplissement de la procédure licence d’office
Bien qu’il y soit fait référence comme à une « levée des brevets », la dérogation adoptée diffère en réalité significativement de la proposition initiale de l’Afrique du Sud et l’Inde d’octobre 2020. En effet, cette dernière envisageait une dérogation plus complète - se rapprochant davantage d’une expropriation - aux obligations des ADPIC, en vue de la production et de l’accessibilité des traitements liés à la Covid-19. Il s’agissait de suspendre tous les droits de propriété intellectuelle liés à la pandémie. Or, la dérogation finalement adoptée se fonde quant à elle sur la contre-proposition de l’Union européenne d’octobre 2021, centrée sur l’utilisation de la flexibilité existante des ADPIC en matière de licences obligatoires. Pour rappel, ces dernières limitent l’usage des droits de propriété intellectuelle, mais garantissent des redevances à leurs titulaires, ce qui n’est pas le cas avec une expropriation.
Ainsi, la dérogation autorise un membre de l’OMC à exploiter un brevet, qui porte sur une technique liée à un vaccin Covid-19, sans le consentement du détenteur de droit via une licence obligatoire qui sera obtenue par une procédure accélérée, selon tout mécanisme juridique national, tel qu’un décret par exemple. En somme, il s’agit de faciliter l’obtention de licences d’office pour certains brevets, ce qui exige que les pays membres disposent déjà d’un tel mécanisme dans leurs droits nationaux.
S’agissant de la rémunération des titulaires de droits, il est fait référence à la nature humanitaire et sans but lucratif de la fourniture de vaccins, ce qui laisse une certaine souplesse pour déterminer le niveau des redevances à payer. Un renvoi est opéré vers directives de l’OMS/Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) en matière de rémunération à cette fin.
Portée de la réforme
Sont autant concernés les brevets qui portent sur produits que ceux portant sur des procédés. Cela étant, seuls les vaccins sont actuellement concernés. Les autres techniques en cause sont donc toujours exclues de cette décision, mais les membres se sont engagés au paragraphe 8 à décider dans les six prochains mois s'il convenait d'étendre son champ d'application pour inclure la production et la fourniture de produits thérapeutiques et diagnostiques.
Une évidence est également rappelée aux États membres : l'article 39 (3) de l'Accord sur les ADPIC ne les oblige pas à instaurer un régime d'exclusivité des données par lequel l'entreprise d'origine se voit accorder le monopole de l'utilisation des données d'enregistrement pendant une certaine période.
La mesure semble cependant réservée aux pays en voie développement. Il est en effet précisé que si ces derniers sont éligibles, les pays ayant une capacité de production « existante » sont encouragés à prendre l’« engagement contraignant de ne pas se prévaloir de la présente décision ». Or, ce sont justement ces pays qui seraient les plus à même de mettre en œuvre la dérogation. En revanche, les États renoncent à l’application de l’article 31(f) des ADPIC, en vertu duquel la production dans le cadre de la décision doit être principalement destinée au marché intérieur, bien que la réexportation de produits soit découragée.
Quant à sa durée, le mécanisme pourra être appliqué pendant les 5 prochaines années. Durée qui sera réexaminée et pourra être revue annuellement par le Conseil général.
Finalement, même si cette réforme ne constitue pas une révolution, nous ne pouvons néanmoins négliger l’importante source de restrictions qu’elle pourrait constituer à l’avenir pour les titulaires de droits. Même si en l’état elle se rapproche davantage d’un signe de bonne volonté politique envers les pays en voie de développement, destiné à leur faciliter l’accès à la production de vaccins « Covid-19 », la réussite de l’initiative reposera sans doute, in fine, plutôt sur la bonne volonté des titulaires de droits de transférer leur savoir-faire.
Gageons toutefois que cette réforme peu significative incite les brevetés à davantage d’ouverture via des patent pledges et des patent pools.