L'OEB a récemment appelé à consultation publique concernant un premier projet de document d'orientation intitulé "vers un nouvelle normalité" ("New Normal"). Un projet final doit être présenté au CA en juin 2021 en vue de procéder ensuite à la mise en œuvre progressive des nouvelles politiques.
J'ai le plaisir de publier aujourd'hui une contribution de M. Jacques Michel, qui a été Vice-Président DG1 de 1987 à 2002, et de M. Willy Minnoye, qui a été Vice-Président DG1 de 2011 à 2017.
La pandémie qui sévit depuis un an a affecté l’ensemble des pays, notamment en Europe, tant du point de vue sanitaire, économique et sociétal. Les entreprises et les institutions de toute nature ont été conduites à modifier leur fonctionnement et partout où le télétravail était possible, celui-ci a été généralisé et encouragé par les Gouvernements.
L’OEB qui avait déjà depuis plusieurs années une certaine expérience en ce domaine, ayant implémenté, avec les outils appropriés, un télétravail partiel et limité, a mis en œuvre avec efficacité cette nouvelle façon de travailler. Il a tiré profit pour ce faire de tous les développements informatiques réalisés depuis de longues années tant pour les outils de recherche et d’examen que pour ceux permettant la gestion complexe de la procédure de délivrance des brevets européens. La mise à disposition, au cours de l’année 2020, de postes de travail très ergonomiques a facilité l’utilisation des systèmes existants.
Si depuis un an, le télétravail s’est donc généralisé à l’Office et lui a permis de continuer, autant que possible, son activité, on peut regretter qu’il n’ait pas été limité aux domiciles des lieux d’affectation des agents et notamment Munich, La Haye et Berlin. Cette entorse à la Convention (art 5,6…) devrait être corrigée dans les meilleurs délais.
Il convient de rappeler que lors de la révision de la Convention art 4a, il a été prévu qu’une Conférence des Ministres des Etats Membres doit se réunir au moins tous les 5 ans, pour discuter des affaires de l’Organisation et de l’Office. Une telle Conférence serait adéquate pour traiter du futur de l’Office suite à la pandémie et notamment du contenu du New Normal EPO.
Peut-on aujourd’hui, avant la fin de la pandémie et basé sur une expérience limitée (durée et nature des tâches) définir pour l’OEB une nouvelle organisation du travail et de nouvelles méthodes ? Il semble bien que cela soit bien trop prématuré. Le problème n’est pas d’ailleurs propre à l’OEB et de nombreuses questions se posent pour toutes les entreprises et institutions concernant ce mode de travail sans que des réponses cohérentes et claires existent. Pour l’OEB, sa mission européenne, son rôle, son fonctionnement présentent des spécificités qu’il convient de bien analyser. Il convient aussi de noter que le schéma présenté dans le document New Normal s’appuie largement sur deux surveys réalisés auprès du personnel, quelques mois après le début de la pandémie, et dont les résultats sont loin d’être clairs. En tout état de cause, si l’avis du Personnel est toujours souhaitable, ce n‘est pas à celui-ci de décider du futur de l’Office et de l’Organisation.
D’une façon générale, si le télétravail permet de résister à la pandémie, il est de plus en plus contesté par les entreprises et les salariés comme étant La solution du futur. La relation directe dans le travail avec son environnement physique, avec les collègues, avec les supérieurs, retrouve aux yeux de la très grand majorité toute sa place. De très nombreux débats auxquels participent, patrons, syndicats, salariés, sociologues, psychologues etc… sont sans ambiguïté à cet égard.
Face au télétravail, l’OEB présente des spécificités bien particulières qu’il importe de bien prendre en compte :
Délivrer un brevet européen, qui s’applique potentiellement à tous les Etats Membres, soit un marché de plus de 500 millions de consommateurs, donne une situation de monopole pour 20 ans et crée une distorsion de la concurrence pendant cette même période. Il s’agit donc d’une décision lourde qui doit être pleinement justifiée et rendue dans la plus grande neutralité vis-à-vis des déposants. C’est la raison pour laquelle il a été décidé que le système serait centralisé, point essentiel de la CBE, et que le personnel chargé de la délivrance serait localisé essentiellement au siège à Munich, à La Haye et à Berlin (protocole de centralisation). Les lieux d’affectation sont fixes même si des transferts contrôlés interviennent régulièrement. La répartition du staff entre les 3 principaux lieux d’affectation est également prévue par la Convention.
Compte tenu de l’impact du brevet européen, la neutralité et la qualité du travail des agents de l’office et notamment des examinateurs auxquelles les utilisateurs sont particulièrement attachés, est primordiale tout au long de la procédure. Elle suppose:
- Une formation initiale à la délivrance de brevets qui dure 3 ans, basée sur des enseignements et du tutorat assuré par des collègues expérimentés. Une formation initiale et permanente à la recherche et aux outils de recherche dans des sessions de learning process. La qualité exigée repose aussi sur une excellente connaissance du domaine technique de l’examinateur, car c’est cette connaissance qui permet de juger l’activité inventive d’une invention. A cet égard le contact permanent formel ou informel entre les examinateurs est essentiel.
- Le team manager et/ou le directeur par ses contacts quotidiens avec les examinateurs doit les guider dans leur activité, développer un esprit d’équipe, susciter des initiatives, mettre en valeur les propositions positives des uns et des autres et s’efforcer de les implémenter.
- La décision de délivrance, concrétisée par le travail en équipe technique, est prise par une division d’examens. La décision d’un examinateur isolé n’est ni dans l’esprit ni dans la lettre de la Convention. Ceci est une caractéristique spécifique de l’OEB par comparaison avec tous les autres offices dans le monde. Chaque dossier est donc donné à 3 examinateurs. La division fonctionne soit de façon informelle par les contacts quotidiens entre les examinateurs soit de façon formelle lorsque le cas à traiter est sensible et difficile. Les divisions d’opposition composées de trois examinateurs dont deux sont différents de la division d’examen répondent aussi à la même exigence
- Les procédures orales ou les oppositions qui font l’objet de débats souvent animés où les enjeux de chaque partie sont importants supposent la présence physique des participants pour que leur efficacité soit la plus grande possible. L’utilisation de la vidéo conférence sera vraisemblablement source soit de refus d’y participer soit de conflit ultérieur
OEB et DIGITALISATION
L’OEB a été pionnier en matière d’automatisation tant pour les outils de recherche que pour les systèmes de gestion de la procédure : EPOQUE, BNS, Espacenet, EPASYS, Phoenix, Registry online, online file inspection. Ils sont opérationnels depuis plus de 20 ans, ont été régulièrement améliorés et sont toujours essentiels au fonctionnement de l’Office.
Ces systèmes sont parmi les plus intégrés dans le monde des brevets, parfois appelé spaghettis, de façon à garantir aux utilisateurs internes et externes un niveau de fonctionnalité incomparable dans le monde des brevets. Ce niveau d’intégration combiné avec la disponibilité d’un énorme volume de données spécifiques demande une équipe de développement et de maintenance avec un haut niveau de connaissances non seulement en IT mais également et nécessairement en matière de brevets et donc d’utilisateurs internes et externes (examinateurs, agents de formalités, juristes et représentants des mandataires). Il convient de souligner que les systèmes de l’Office sont utilisés dans le monde entier par d’autres offices de brevets et contribuent par l’énorme volume de données qu’ils gèrent et par leurs fonctionnalités à la qualité de service de ces offices.
Vouloir intensifier la digitalisation et toutes les nouvelles technologies de l’information est bien évidemment souhaitable, mais sa réussite implique plusieurs conditions :
- Dialogue permanent entre d’une part les utilisateurs internes et externes du système, et d’autre part les équipes informatiques. Les spécifications fonctionnelles doivent être définies par les utilisateurs et transcrites en spécifications techniques appropriées. A cet égard, les nombreux paragraphes du document « New Normal » décrivant ce qui est envisagé restent d’une grande imprécision au vu de la complexité des tâches de délivrance d’un brevet et fait peu de cas des spécifications fonctionnelles souhaitées par les utilisateurs.
- La priorité est à donner aux outils de recherche car sans bonne recherche pas de bonne décision de délivrance. L’office doit donc s’efforcer de disposer et de maîtriser des outils de recherche qui le rendent plus performant en comparaison de ce qui est disponible à l’extérieur.
- après une étude coût-bénéfice, chaque projet doit être géré par une équipe mixte d’utilisateurs et de spécialistes IT
- Chaque projet doit être testé et finalement accepté par un groupe significatif d’utilisateurs avant d’être déployé.
- Une sous-traitance systématique et absolue comme celle qui est en cours présente de graves risques.
CONCLUSION
Le projet présenté NEW NORMAL mérite une révision approfondie de façon à répondre aux exigences intrinsèques de l’0rganisation et de l’Office au service de l’économie européenne et de son industrie.
Parmi les possibilités, le télétravail bien contrôlé et bien maîtrisé est une méthode intéressante. Mais, vu la nature des tâches à remplir, il devra être conçu de telle sorte que chaque membre du personnel et notamment les examinateurs soient présents physiquement dans les locaux de l’Office plusieurs jours par semaine pour garantir un fonctionnement efficace et la qualité requise