Le feuilleton judiciaire européen du moment (en matières de brevets bien sûr) est sans conteste le litige opposant la société américaine DSS et la Banque Centrale Européenne (BCE).
J'avais relaté dans un billet précédent l'action en contrefaçon intentée par DSS contre la BCE devant le Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes (TPI), lequel s'est déclaré incompétent pour apprécier la contrefaçon.
En réplique, la BCE a lancé des actions en nullité contre le brevet européen de DSS dans pas moins de 9 Etats.
A ce jour, le score est de 2 partout : le brevet européen a été annulé en France (TGI Paris 9 janvier 2008, PIBD n°871 III 216) et au Royaume Uni (19.03.2008 en appel), et a été juge valide en première instance en Allemagne (Bundespatentgericht 27.03.2007) et aux Pays-Bas (12.03.2008).
Le brevet porte sur une méthode de fabrication de billets infalsifiables consistant (dans le principe) à imprimer certains motifs capables de générer un effet Moiré en cas de copie à l'aide de photocopieurs couleurs, qui tendaient à se démocratiser et à se perfectionner (l'année de dépôt est 1990).
La demande européenne avait d'abord été rejetée par la division d'examen, et la Chambre de recours avait finalement ordonné en 1999 la délivrance d'un brevet sur la base d'une requête proposée pendant la procédure orale. La requête était modifiée par ajout d'une étape supplémentaire du procédé. La Chambre avait sommairement jugé dans la décision T933/95 que l'étape était décrite dans la demande telle que déposée.
C'est pourtant sur ce motif (extension de l'objet du brevet par rapport à la demande telle que déposée) que les attaques de la BCE se révèlent les plus fortes.
Pour les juges anglais et français en effet, si les mots se retrouvent effectivement dans la description, une lecture très attentive montre qu'ils s'appliquent en fait à des objets différents.
Un point intéressant est que la décision du TGI de Paris reprend pleinement à son compte la jurisprudence de l'OEB en matière de respect de l'Art 123(2) CBE.
Je cite quelques passages :
"Il est constant en application de ces dispositions que pour être acceptées, les modifications doivent être déduites directement et sans ambiguïté de la demande telle que déposée."
"... une fois identifiés les éléments ajoutés, il faut étudier s'ils peuvent être déduits objectivement par l'homme du métier précisément identifié, de tous les éléments divulgués dans la demande déposée (description ,revendications, dessins) sans introduction de tout élément technique qui n'y figure pas sauf si celui-ci découle clairement et sans ambiguïté de ce qui explicitement mentionné. Il ne s'agit pas dans cette phase d'un test d'évidence."
"En tout état de cause, le contenu de la demande ne doit pas être considéré comme un réservoir à partir duquel il sera possible de combiner des caractéristiques afin de créer artificiellement une combinaison particulière. La demande doit décrire dans leur ensemble et de manière objective l'intégralité des caractéristiques de la revendication déposée [sic] et non uniquement des caractéristiques isolées."
De même dans la décision de Lord Justice Jacob ([99]) : "Subject matter will be added unless it is clearly and unambiguously disclosed in the application as filed".
Il est rassurant de voir que la jurisprudence élaborée à l'OEB fait peu à peu son chemin dans les esprits des juges européens, et peut contribuer à une certaine harmonisation des pratiques. Il faut maintenant attendre les décisions d'appel pour voir si cette harmonisation se confirme...
mercredi 9 avril 2008
Le feuilleton BCE contre DSS
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7 comments:
Vous voulez dire qu'il y a un risque de divergence d'appréciation dans la portée des revendications et des atteintes selon les pays désignés?
Par exemple un pan qui ne serait pas validé en phase nationale dans un pays ou dans un autre et/ou qui ne pourrait en conséquence être enfreint?
La divergence des avis sur l'appréciation et l'étendue de la contrefaçon au niveau national n'est pas en soi étonnante, cela arrive fréquemment depuis longtemps. C'est l'une des motivations qui pousse à une solution judiciaire commune, du type EPLA, de manière à éviter que deux juridictions n'arrivent à des conclusions différentes sur un même point de droit de la PI.
Cela implique évidemment plus que jamais pour le praticien européen de connaître ses divergences et conseiller son client de manière appropriée en fonction de l'endroit où il souhaite engager un litige. Le forum shopping n'est pas encore mort ;-)
Evidemment, si je tape sans me relire, cela paraît bizarre - "ces divergences" bien entendu.
Les divergences sur l'interprétation des revendications sont un autre problème, qui ne risque pas d'être résolu de sitôt (sauf à adopter une juridiction commune).
La notion d'équivalents connaît en effet des définitions très diverses en fonction des pays.
Et lors des discussions pour la mise en place de la CBE2000, les Etats n'ont pas pu se mettre d'accord sur la définition à donner au terme "équivalents" ajouté dans le protocole interprétatif de l'Art 69 CBE. Chacun pensait que sa définition ou ses "tests" étaient les plus appropriés.
Mais de ce point de vue, l'OEB ne pourra pas imposer une approche commune, puisqu'il n'entre pas dans les compétences de l'OEB de juger la contrefaçon.
Dans le cas d'espèce, les divergences portent sur la manière d'appliquer l'Art 123(2) CBE (extension indue). Et il est rassurant de voir qu'au moins quelques juridictions s'efforcent de suivre une règle désormais bien établie à l'OEB.
Pour compléter : l'interprétation des revendications n'est pas en jeu ici puisqu'il s'agit d'actions directes en nullité.
Les décisions rédigées par les Lords sont souvent délicieuses. Ici, on trouve la perle suivante : "Professor Mario Franzosi likens a patent to an Angora cat. When validity is challenged, the patentee says his patent is very small : the cat with its fur smoothed down, cuddly and sleepy. But when the patentee goes on the attack, the fur bristles, the cat is twice the size with teeth bared and eyes ablaze." Quand lire les décisions devient un plaisir ...
Dans le PIBD 872 III-250, on trouve une décision du TGI Paris (Co-Peer-Right Agency c. Advestigo et al) qui s'est visiblement inspirée de T 331/87: "Le caractère essentiel des caractéristiques supprimées doit s’analyser au regard du procédé revendiqué dans la demande initiale, et non de celui divulgué par la demande divisionnaire. Il convient d’apprécier si, pour l’homme du métier, cette caractéristique est ou non présentée comme essentielle dans la divulgation de l’invention protégée par le brevet de base, si elle est ou non indispensable en tant que telle à la réalisation de ladite invention eu égard au problème technique que celle-ci se propose de résoudre et si sa suppression impose ou non de modifier en conséquence d’autres caractéristiques." Comme quoi, peu à peu, on s'aligne sur l'Europe.
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