La question de l'adaptation de la description est décidément "à la mode" depuis la décision T1989/18, les demanderesses et titulaires essayant de se prévaloir de cette dernière pour éviter d'avoir à adapter la description aux revendications modifiées.
Avec plus ou moins de succès selon les Chambres: les Chambres 3.2.06, 3.5.02 et 3.2.01 ont dans les décisions T1024/18, T2293/18 et T121/20 réaffirmé l'approche classique consistant à considérer que l'exigence de support de l'article 84 CBE oblige à supprimer les contradictions entre les revendications modifiées et la description, et ont refusé de suivre l'approche suivie par la Chambre 3.3.04 dans l'affaire T1989/18.
Deux nouvelles décisions viennent apporter leur pierre au débat.
Dans l'affaire T1444/20, la division d'examen avait rejeté la demande car la demanderesse avait refusé de supprimer les pages 20 à 28 de la description contenant des "clauses" numérotées à la façon de revendications. La Chambre 3.3.01 considère que cette partie ayant pour titre "modes de réalisation particuliers de l'invention" ne peut affecter la clarté des revendications. Elle note que les Directives F-IV 4.4 (version de novembre 2019) ne sont pas cohérentes car elles exigent la suppression de ces "clauses" tout en indiquant simplement qu'elles "peuvent" entraîner un manque de clarté.
La Chambre considère également que rien n'oblige à supprimer des "redondances". En l'absence d'objection de défaut d'unité, la règle 42(1) c) CBE n'impose pas de supprimer les passages de la description qui décrivent des modes de réalisation qui ne sont pas revendiqués. Les clauses des pages 20 à 28 ne gênent pas la compréhension du problème technique et de sa solution, exposés en pages 2-8. Enfin, la règle 48(1) c) CBE, qui porte sur les "éléments manifestement étrangers au sujet ou superflus" ne peut non plus justifier le rejet (T1989/18, 9-10).
Dans l'affaire T2766/17, c'est au tour de la Chambre 3.2.02 de se déclarer en plein accord avec la jurisprudence bien établie jusqu'ici. Elle est d'accord avec la décision T1989/18 sur le fait que les revendications doivent être claires en elles-mêmes, mais pour elle cela n'implique pas que la clarté des revendications ne puisse pas être affectée par la présence d'éléments dans la description qui contredisent le libellé des revendications. Dans certains cas, la rédactrice ou le rédacteur de la demande de brevet peut donner un sens spécifique à un terme, de sorte que la description devient son "propre dictionnaire". Des éléments qui contredisent le libellé des revendications peuvent donc jeter un doute sur le sens envisagé. Dans un tel cas, une objection au titre de l'article 84 CBE doit être soulevée.
15 comments:
Il n’est pas du tout certain que le débat se poursuive. Pour s’en convaincre il suffit de se rendre compte que dans les deux décisions T 1989/18 et T 1444/20 nous retrouvons le même membre juriste.
Toutes les autres chambres suivent la longue ligne jurisprudentielle existante selon laquelle la description doit être adaptée aux revendications.
Au vu de ces faits, l'espoir d'un renvoi à la GCR pourrait rester un espoir vain pendant un certain temps.
La décision T 1444/20 a déjà été commentée sur un autre blog :
https://blog.ipappify.de/t-1444-20-no-need-to-adapt-the-description-at-grant/
Jetez-y un coup d'œil. Cela pourrait être très utile.
Il est à noter que dans sa critique des Directives F-IV, 4.4, la CR a oublié de se tenir aux dispositions de l’Art 20 RPCR20. Cet Art existait déjà sous les RPCR07 et devrait donc être connu des CR....
Un beau contrepoint est effectivement T 2766/17.
En d'autres termes, la description doit être adaptée. C.Q.F.D....
Oui ça devrait se calmer assez vite. Je suis assez surprise que certains n'aient pas compris que clarté et support sont deux exigences distinctes de l'article 84.
@dxthomas
Ce n'est pas un bon signe de commencer par un argument ad hominem, qui plus est en ciblant la présence d'un même membre juriste dans deux décisions que vous n'aimez pas. Cela réactive un conflit ingénieurs vs. juristes de façon tout à fait inappropriée. Le problème général avec une approche d'ingénieur est l'illusion qu'il existe une seule solution, et le dogmatisme qui en résulte. Un juriste est par formation plus ouvert à une approche holistique qui admet le débat et examine des arguments basés sur des considérations de nature différente.
Je trouve très sain au contraire que la décision citée critique spécifiquement les directives, et anormal que la directive soit maintenue alors qu'il y a contestation.
Je vais même plus loin, j'aurais souhaité que la décision mette en question la raison d'être de l'exigence de l'adaptation de la description aux revendications.
Au cours de ma longue carrière d'utilisateur et donc de lecteur de brevets européens, je n'ai jamais été gêné par le fait que la description contenait des formes de réalisation non couvertes par les revendications, et j'ai toujours trouvé inutile et stérile des suppressions dictées par cette exigence.
Cher Monsieur Hagel,
Il est un fait indéniable que le même membre juriste a agi dans les deux décisions en cause. Rapporter ce fait est tout sauf une attaque ad hominem. C’est un constat objectif. Que vous en tiriez d’autres conclusions est votre bon droit, mais celui-ci ne vous permets pas de me mettre en cause de la manière dont vous l’avez fait.
En outre, vous mettez dans ma bouche des propos que je n’ai pas tenus. Ceci m’étonne de votre part. Je vous pensais plus mesuré.
Il est de peu d’importance que j’aime ou je n’aime pas certaines décisions. Je commente régulièrement des décisions des CR et il s’agit aussi de l’expression de ma liberté de parole.
J’ai simplement commenté les décisions T 19898/18 et T 1244/20 et c’est mon bon droit. Je suis d’avis qu’elles vont à l’encontre d’une ligne bien établie de jurisprudence et je n’ai fait que constater ce fait. Il n’y a donc rien d’offensif à établir ce constat.
Je ne suis pas d’accord avec vous qu’il existe un véritable antagonisme entre ingénieurs et juristes. C’est au cours de mes études de droit que j’ai appris à rédiger. La manière de raisonner et de rédiger des juristes est mieux structurée que celle des ingénieurs, mais quant au fond le résultat devrait être le même. Toute thèse et son antithèse sont défendables. Il n’y a, à mon humble avis, pas plus ni moins de dogmatisme d’un côté ou de l’autre.
Que le membre juriste se soit permis de critiquer les directives est son bon droit, mais il devrait au moins alors s’en tenir aux règles de procédure existantes, ce qu’il n’a manifestement pas fait. Là encore il s’agit d’un simple constat.
Tant qu’il restera dans une description des passages qui pourront prêter à une interprétation qui va à l’encontre du libellé des revendications il est du devoir de l’OEB de ne pas l’accepter et de mettre tous les déposants sur un pied d’égalité.
À cette fin il faut adapter la description que cela plaise ou non. La dernière partie de l’Art 84 est là pour nous le rappeler.
Si chaque fois qu’il y a contestation des directives celles-ci devraient être modifiées, elles seraient constamment en mode provisoire.
Dans certains cas elles ont été modifiées après un longue période de réflexion. Voir par exemple dans G-VI, 8(ii) le critère de sélection « purposive » a été supprimé des critères de nouveauté.
Dans d’autres cas elles ne l’ont pas été malgré une série de décisions contraires Le test d’essentialité a été rebaptisé test en trois points mais son contenu est resté le même, voir H-V, 3.1.
Il n’est donc pas étonnant qu’il n’y ait aucune raison pour que les directives sur l’adaptation de la description doivent être modifiées dans le sens que vous souhaitez après deux décisions qui vont manifestement à l’encontre de la longue ligne de jurisprudence existante.
Certaines divisions ont certainement montré une approche fort pédante de la question, mais je suis convaincu qu’une approche raisonnable devrait prévaloir. Tant que le dernier critère de l’Art 84 reste ce qu’il est, il faudra adapter la description aux revendications. Ce qui n’est plus revendiqué doit au moins être signalé afin de lever toute ambiguïté.
Cher Monsieur Thomas,
Je regrette que mon commentaire ait pu vous paraître désobligeant.
Je trouve néanmoins très inhabituelle la référence à la présence d’un même membre juriste dans les deux décisions T 1989/18 et T1444/20. Ces décisions ont été prononcées par deux CRT différentes, 3.3.02 et 3.3.04. A ma connaissance, les CRT ont un fonctionnement collégial, il n’y a pas de raison de suggérer qu’un seul membre de ces CRT serait responsable à lui seul de ces décisions (ce serait même très déplacé à l’égard des autres membres qui ont co-signé les décisions). Ou plutôt, on peut y voir une raison : en semblant attribuer la responsabilité des décisions à une seule et même personne, on met en doute le fait que deux CRT différentes aient pris position contre l’exigence d’adapter la description aux revendications accordées, ce qui permet de ne pas prendre pleinement en considération la convergence de leurs opinions.
Je note d’ailleurs que la mention d’un même membre juriste dans les deux décisions est également soulignée par un commentateur anonyme sur le blog IPKat publié le 23 mai. Il y a là une coïncidence remarquable.
Quoi qu’il en soit, je trouve extrêmement regrettable, et je suis certain que vous partagerez cet avis, que la discussion sur le blog IPKat en soit venue à mettre en cause personnellement un membre juriste (son nom a été divulgué sur IPKat hier, donc le 25 mai) et que (même si c’est peut-être par plaisanterie) un commentateur anonyme en soit venu à évoquer la non-reconduction de son contrat. Je dois avouer être passablement abasourdi qu’on en vienne à telles extrémités au sujet d’un débat qui devrait se dérouler de façon strictement professionnelle, dans un climat aussi serein que possible. Je me demande si le débat n’est pas pris en otage par des conflits internes à l’OEB, au sein des chambres de recours et/ou des instances en charge de la révision des directives.
Signe que la question n’est pas aussi tranchée que vous l’affirmez, elle doit faire l’objet d’échanges avec les utilisateurs à l’occasion d’un atelier de discussion (information publiée hier sur le blog IPKat). C’est une bonne nouvelle, car il est justifié d’avoir l’avis des utilisateurs quant aux répercussions de l’exigence d’adaptation de la description en termes de délais, de coûts et d’incertitudes supplémentaires.
Sur le fond du débat, je persiste à considérer qu’il est injustifié d’interpréter l’exigence de support de l’article 84 CBE au-delà de la signification ordinaire des termes de l’article 84 : elle est satisfaite dès lors que la description de la demande telle que déposée contient un support pour l’objet revendiqué. Si l’objet revendiqué correspond à une réalisation A et la description décrit des réalisations A et B, le fait que B ne soit pas couvert par la revendication ne met pas en cause le fait que celle-ci est supportée par la description de A. Cela pose une question de principe : une interprétation allant au-delà de la signification ordinaire des mots doit être justifiée par celui qui l’invoque, en l’occurrence c’est à l’OEB qu’il incombe de faire la preuve qu’une interprétation plus exigeante se justifie.
D’autre part, l’exigence d’une adaptation de la description aux revendications pourrait être source d’incertitude juridique, en particulier pour l’application de l’article 69 CBE : quelle version de la description faut-il retenir pour l’interprétation des revendications ? celle de la demande telle que déposée, ou celle du brevet délivré ?
Je partage plus que fortement l'avis de francis hagel.
Peut-être est-ce ma formation très matheuse qui parle, mais l'article 84 dit que les revendications doivent se fonder sur la description. Ni plus, ni moins. C'est une simple implication/inclusion au sens ensembliste du terme.
Cela n'est pas équivalent à dire que la description ne doit décrire que des objets couverts par les revendications. Cela n'est pas non plus équivalent à dire que les revendications doivent se fonder sur l'entièreté de la description, i.e. sans qu'aucune portion de la description ne décrive un objet non revendiqué (dans de telles formulations, j'aurais été bien plus convaincu par la nécessité d'une telle adaptation).
J'ai du mal à comprendre par ailleurs en quoi le fait que la description concerne des éléments non revendiqués implique un manque de clarté. Si la revendication est claire, ces éléments ne sont pas censés être source de confusion.
L'avenir nous dira si le principe d'adaptation de la description pour en expurger tous les éléments non couverts par les revendications sera gravé dans le marbre. Pour l'instant, le débat demeure et mon sentiment est que les deux points de vue sont défendables, même si je penche plus pour l'un que pour l'autre.
L'Art. 84 ne dit effectivement pas "les revendications doivent être supportées par l'ensemble de la description"
Je reste étonné que seul l'OEB impose la modification de la description... FR, US, CN, JP : jamais vu de requête de ces offices pour supprimer ce qui n'est pas couvert par les revendications...
Et je fait partie de ceux qui modifient à contre coeur pour les raisons ci dessous en vrac :
- si on supprime des parties à tort (que le 1er qui n'a jamais fait d'erreur me jette la 1ère pierre!), comment on fait en oppo? comment on fait lors d'un litige?
- comment on explique qu'il faut passer 3 h à modifier un texte de 50 pages au client?
- la théorie des équivalents ne se juge pas de la même manière dans les pays contractants... je pense notamment à la Suisse où il faut (je crois) que l'équivalent soit "accessible" en lisant le brevet... Si on supprime les structures non couvertes (pour une raison quelconque, on veut aller vite à la délivrance par exemple et on revendique uniquement un objet parmi d'autres, même si on n'a pas de pb de nouveauté..), ça pose problème, non?
- comment on fait une divisionnaire le coeur serein après avoir biffé tout un tas de mises en oeuvre... Un opposant habile (3 ans plus tard, bien sûr) ne peut il pas faire naître le doute qu'on les avait "abandonné définitivement"?
Bref, je suis hostile à cette nouvelle pratique qui crée des tracas pour rien à mon avis.
Nouvelle pratique? C'est celle de l'OEB depuis sa création.
On comprend qu'en tant que titulaire vous souhaitiez garder un peu d'ambiguïté dans la description pour pouvoir prétendre devant un juge que telle ou telle caractéristique n'est pas essentielle, mais la sécurité juridique des tiers doit primer.
Le fait de supprimer des modes de réalisation n'a aucun incidence sur les divisionnaires: l'article 76(1) se rapporte à la demande antérieure telle que déposée.
Cher Monsieur Hagel,
Non seulement vous êtes désobligeant mais en plus vous vous permettez d’insinuer des choses. Je trouve cette façon de faire plus que désobligeante, je dirais même odieuse.
Je vous dirai simplement que je ne suis pas le seul à avoir constaté la présence su même membre juriste dans les deux cas. Dans mon commentaire de T 1444/20 sur ipappify vous ne trouverez aucune mention du membre juriste.
La violence des propos des personnes approuvant T 1989/18 et T 1444/20 est incroyable et je n’aurais jamais pensé que sur un tel problème juridique il puisse y avoir un tel acharnement. La discussion sur IPKat est, je dirais, à la limite de la correction et je ne m’étendrai pas sur le sujet. Si les responsables de IPKat estiment pouvoir publier un commentaire, c’est leur bon droit, mais ne vous autorise pas de proférer des insinuations malsaines.
Vous n’avez pas besoin de m’apprendre qu’une décision de CR est une décision collective. Le problème étant avant tout de nature juridique, il n’est point besoin d’être grand clerc pour se rendre compte que les arguments proviennent avant tout du membre juriste.
Il se trouve cependant que beaucoup d’autres membres juristes dans d’autres CR sont d’un avis contraire au membre juriste dans les décisions T 1989/18 et T 1444/20. Et il s’agit ici également d’un fait tout aussi indéniable que le précédent.
Pour ma part, je me suis inscrit à la conférence en ligne proposée par l’OEB et je suis curieux de suivre les explications données par l’office. À en croire les commentaires sur IPKat, certains mandataires n’en attendent pas grand-chose.
Que vous ne vouliez pas que la description soit modifiée, comme c’est le cas en France tout comme aux USA, est un souhait légitime, mais cette possibilité n’est pas prévue à l’Art 84, dernier critère.
Partie 2
Cher Monsieur Hagel,
Je rajouterai que tous les thuriféraires des décisions T 1989/18 et T 1444/20 semblent cependant oublier un point des plus importants.
Le brevet délivré à l’issue de la procédure d’examen représente une fiction car il représente la demande telle qu’elle aurait dû être déposée, puisque la durée de vie du brevet se calcule à partir de la date de dépôt.
Les critères définis à l’Art 84 représentent donc un tout très cohérent. Toute ambiguïté quant à l’interprétation des revendications délivrées est à proscrire. Tel est le but du troisième critère selon l’Art 84.
En cas de discussions devant une juridiction nationale, voire dans le futur devant la JUB, rien n’empêche le titulaire de présenter la demande telle que déposée au juge national s’il en éprouve la nécessité. Le juge pourra alors constater le résultat de l’examen sans devoir se reporter au dossier d’examen en tant que tel.
Les offices nationaux et les juridictions nationales ont des vues fort différentes de celles de l’OEB et des CR sur beaucoup de points.
Par exemple, prenez l’extension d’objet selon l’Art 123(2). Je suis sûr que vous plaideriez pour une approche beaucoup moins sévère de ce critère. Mais l’OEB et les CR doivent-ils s’aligner sur les institutions les moins-disantes en la matière? Je ne le pense pas et il en est de même pour l’Art 84.
L’OEB et les CR ont développé une pratique qui est ce qu’elle est, mais qui dans l’ensemble est fort cohérente que ce soit pour l’Art 84, les Art 54, 56 et 123(2). Je pense que les déposants savent très bien à quoi s’en tenir et cela pour le plus grand bien des utilisateurs du système et des tiers confrontés à des brevets délivrés.
Sans retirer au juge national les possibilités d’interpréter les revendications délivrées selon le protocole sur l’Art 69, il est important que les tiers confrontés à des brevets délivrés puissent savoir ce qui peut leur être opposé. Toute ambiguïté introduite par la description est donc à proscrire. Le rôle de l’OEB est aussi de mettre en balance l’intérêt des utilisateurs et des tiers. Un moyen est l’Art 84 dans sa totalité.
Ce qui vaut pour l'Art 123(2) vaut aussi pour l'Art 84.
Sauf attaque à mon égard, je pense que les points de vues respectifs sont clairs. Continuer la discussion sur l'Art 84 n’apportera rien de plus au débat.
Je m'abstiendrai donc de tout commentaire supplémentaire. Pour paraphraser un syndicaliste bien connu, s'il faut savoir arrêter une grève, il faut aussi savoir arrêter une discussion.
De ce qui ressort des commentaires, il faudrait, si l'OEB veut graver dans le marbre ce principe d'adaptation de la description, modifier l'A.84 CBE pour spécifier que la description ne peut décrire que des objets couverts par les revendications.
A la rigueur, ça serait au moins honnête, plutôt que de tordre la formulation initiale.
@Anonyme de 15:15 : le problème n'est pas tant dans le fait de garder de l'ambiguïté que dans le risque d'erreur. Adapter une description au moment de la 71(3) prend plus de temps qu'une simple 71(3), a fortiori si l'on veut bien faire et d'autant plus puisqu'il est compliqué sinon impossible d'apporter la moindre modification au brevet une fois délivré.
Par ailleurs, vous le pointez bien : une situation où la description va au-delà de la portée des revendications pourrait créer une incertitude juridique, mais non pas parce que la description reste entière malgré des limitations de portée, mais parce que la portée des revendications pourrait être floue pour diverses raisons (rédaction maladroite, théorie des équivalents ou non-essentialité de caractéristiques). A mon sens c'est plutôt là que le diable de l'insécurité juridique se niche.
Je serais bien plus favorable, s'il fallait vraiment modifier la revendication, à faire ajouter des clauses pour les modes de réalisation non couverts par les revendications (au moins, l'information reste accessible dans le brevet). Ou ne rien ajouter, parce que la rédaction d'une revendication doit se suffire en tant que telle pour en définir la portée.
Je me permets de prolonger ce fil par quelques remarques.
L’ambiguïté pouvant découler de la présence dans la description de réalisations non revendiquées est à mon avis une question de clarté, non de support dans la description. Concernant la clarté, l’interprétation des revendications sur la base de la description ne se justifie pas si les termes des revendications sont clairs en eux-mêmes selon T 1642/17 du 16.11.2020 (publié au OJ2021). Je cite :
“The board understood the examining division's objection to be that the claims lacked clarity when read and interpreted in the light of the description. However, it was established case law that where the claims and the terms used in them are clear when read on their own, for instance because they have a well-established meaning in the art, the unambiguous claim wording must be interpreted as it would be understood by the skilled person without the help of the description.”
D'autre part, la mention dans les revendications de chiffres de référence utilisés dans la description et les dessins permet au lecteur d’identifier dans la description les passages qui supportent les revendications, rendant inutile l’adaptation de la description. Ceci suppose qu’il y ait des dessins. Certes, ce n’est pas le cas en général dans les secteurs chimie/pharma, mais il paraît en tout cas injustifié d’imposer l’adaptation dans tous les domaines techniques.
L'adaptation de la description par suppression de passages entiers a l’inconvénient d’obliger à une comparaison fastidieuse de la description du brevet délivré avec celle de la demande. Une solution moins lourde que la suppression, que j’ai rencontrée une fois dans un dossier, consiste à faire précéder les passages en question d’une mention explicite “non couvert par les revendications” ou équivalent.
Dans le principe, l’adaptation de la description aux revendications acceptées par l’OEB aboutit à une distorsion de la description par rapport au texte de la demande en fonction d’informations acquises après le dépôt de la demande (rapport de recherche, échanges au cours de l’examen).
Quant à la pratique passée de l’OEB, je dois dire que je n’ai personnellement expérimenté une telle adaptation de la description que dans le cas d’un dépôt divisionnaire.
Pour mettre les choses en perspective, ce qui me frappe dans la position de l’OEB, c’est que l’exigence d’adaptation basée sur l’article 84 coexiste avec l’absence d’examen de la suffisance de description au titre de l’article 83, considérée comme relevant de l’intervention des tiers par le biais d’observations ou d’opposition. Cela peut aboutir à la délivrance de brevets spéculatifs, dépourvus de substance. En tant qu’industriel, je considère cela comme un problème sérieux de qualité.
Je répondrai séparément aux appréciations de M. Daniel Thomas.
Cher Monsieur Thomas,
Je dois d’abord vous dire que j’ai beaucoup de respect pour votre connaissance de la CBE et de la jurisprudence des chambres de recours et j’apprécie vos commentaires - ce qui n’empêche pas parfois des désaccords. C’est ce qui fait l’intérêt de vos contributions sur les blogs.
Mais j’ai du mal à comprendre pourquoi vous vous êtes emporté ainsi. Il n’y a pour moi rien de déshonorant à s’exprimer sous son nom sur un blog et sous un pseudonyme sur un autre. C’est un choix personnel qui peut avoir des raisons tout à fait légitimes.
De même que vous aviez noté la présence d’un même membre juriste dans deux décisions, j’ai parlé d’une coïncidence remarquable entre vos commentaires sur ce blog et ceux sous un pseudonyme sur IPKat. Il n’y a là aucune insinuation, d’autant que le pseudonyme est vraiment transparent quand on relève d’autres coïncidences, à commencer par la référence appuyée à votre blog ipappify, l’emploi d’un épithète très inhabituel à propos d’une décision d’une chambre de recours, les arguments et le style. On ne peut que reconnaître votre « patte ». Du reste, un commentaire sur IPKat a associé votre nom au pseudonyme, et il n’a pas été suivi d’un démenti.
Quoi qu’il en soit, je n’avais nulle intention de vous offenser.
Pour en venir aux désaccords entre chambres de recours sans saisine de la GCR, il faut reconnaître que ces situations rendent épineuse la révision des directives. Pour donner un exemple assez récent, j’ai commenté – et approuvé - la décision T 2101/12 (Vasco) qui critiquait en termes sévères une jurisprudence T 172/03 (Ricoh) excluant les informations non techniques de l’état de la technique et la directive G VII, 2 qui avait cité T 172/03. La révision 2021 des directives a bien supprimé la mention de T 172/03 mais n’a tenu aucun compte de l’analyse et de la conclusion de T 2101/12 puisqu’elle maintient que l’article 54(1) « doit être interprété comme se rapportant aux informations qui sont pertinentes pour un domaine technologique », ce qui semble exclure les connaissances générales dans un domaine tel que juridique ou commercial. Il est dommage d’ailleurs que la chambre de T 2101/12 ait refusé la demande de saisine de la GCR, une clarification aurait été éminemment souhaitable.
Espérons que la conférence en ligne proposée par l’OEB au sujet de l’adaptation de la description portera ses fruits et aboutira à une solution raisonnable.
Cher Monsieur Hagel,
J'ai pris acte de vos commentaires et du fait que vous ne vouliez pas m’offenser.
Ma « patte » est ce qu’elle est et elle ne vous autorise certainement pas à faire des apparentements qui n’ont pas lieu d’être.
Je maintiens néanmoins ma position.
Mais il ne servirait à rien de continuer la discussion sur ce sujet.
Ce thème est pour moi clos.
Je réponds séparément sur les autres points.
Cher Monsieur Hagel,
La rédaction des directives est du ressort exclusif de l’OEB et il faut savoir que non seulement la DG5, mais aussi la DG1 interviennent. Il n’est pas toujours évident de concilier les points de vue de ces deux DG.
Que T 172/03 ait été supprimé des directives est une bonne chose, mais de là à mentionner T 2101/12 en est une autre. Il est possible de considérer que T 2101/12 est, pour l’instant, une décision isolée. Je pense qu’avant de mentionner cette décision dans les Directives, l’OEB veuille s’assurer que celle-ci ne soit pas une décision isolée.
Il faut aussi avoir à l’esprit que les décisions T mentionnées dans les directives lient les divisions de première instance. La prudence est donc de mise. Seules les décisions G lient les divisions de première instance ainsi d’ailleurs que les CR.
Même si les CR critiquent les directives, celles-ci ne sont pas nécessairement modifiées suite à ces critiques. Je pense par exemple au test en trois points, ancien test d’essentialité. Malgré les critiques répétées, seul le titre a été changé.
La suppression de la sélection « purposive » du critère de nouveauté lors de la sélection dans un domaine de valeurs a mis longtemps à se faire. Il ne faut pas cacher que cette modification a un effet direct en ce qui concerne l’application de l’Art 54(3), raison pour laquelle le tout a duré un bon moment.
Vous abordez en fait un problème beaucoup plus général. Les CR sont, pour des raisons diverses, réticentes à soumettre des questions à la GCR. Elles feront tout ce qui est possible pour ne pas avoir à le faire, même si dans certains cas une clarification pourrait être souhaitable.
Il faut aussi avoir à l’esprit que la GCR a, ces dernières années, pris la fâcheuse habitude de réécrire les questions posées. Deux exemples frappants sont G 3/19 et G 1/21. J’ai mon idée pourquoi elle se laisse aller à cet exercice, mais je la garderai pour moi.
Personnellement je pense que la GCR devrait prendre les questions telles que soumises et non en faire l’exégèse. Si la question ne lui convient pas ou présente des problèmes, elle devrait considérer la saisine comme non-recevable, mais ne pas la modifier à sa guise.
Pour illustrer mon propos, je me permets de vous renvoyer à mon dernier blog publié sur Ipappify relatif à T 3045/19:
https://blog.ipappify.de/t-3045-19-using-common-general-knowledge-by-an-od-without-any-proof-of-it-boils-down-to-a-substantial-procedural-violation-but-bas-did-exactly-this/
Je me permets de remarquer dans ce blog que la CR dans T 1370/15 aurait dû soumettre la question posée par le titulaire à la GCR, peut-être en modifiant légèrement son libellé.
Il me semble en tout cas anormal que les CR puissent exciper de connaissances générales de la personne qualifiée sans avoir besoin de présenter des preuves. La question va pour moi bien au-delà de la question posée dans T 172/03 et T 2101/12.
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