Sponsors













Abonnez-vous

Abonnez-vous par courriel

Par RSS    Par Twitter
         

Ma liste de blogs

Nombre total de pages vues

Affichage des articles dont le libellé est Grande Chambre. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Grande Chambre. Afficher tous les articles

jeudi 5 septembre 2024

G1/23 : avis provisoire de la Grande Chambre

La Grande Chambre a été saisie l'an dernier de questions portant sur l'accessibilité au public d'usages antérieurs:

  1. Un produit mis sur le marché avant la date de dépôt d'une demande de brevet européen doit-il être exclu de l'état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE au seul motif que sa composition ou sa structure interne ne pouvait pas être analysée et reproduite sans efforts excessifs par la personne du métier avant cette date ?
  2. Si la réponse à la question 1 est négative, l'information technique sur ledit produit rendue accessible au public avant la date de dépôt (par exemple par la publication d'une brochure technique, d'une littérature brevet ou non brevet) fait-elle partie de l'état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE, indépendamment du fait que la composition ou la structure interne du produit pouvait être analysée et reproduite sans efforts excessifs par la personne du métier avant cette date ?
  3. Si la réponse à la question 1 est positive ou si la réponse à la question 2 est négative, quels sont les critères à appliquer pour déterminer si la composition ou la structure interne du produit pouvait ou non être analysée et reproduite sans effort excessif au sens de l'avis G 1/92 ? En particulier, est-il exigé que la composition et la structure interne du produit soient entièrement analysables et reproductibles à l'identique ?

La première question est la plus cruciale et porte sur la question de savoir si un produit mis sur le marché et constituant l'usage antérieur doit pouvoir être "reproduit", c'est-à-dire pouvoir être à nouveau fabriqué par la personne du métier.

Pour la Grande Chambre, le fait d'exclure de l'état de la technique des produits ne pouvant être reproduits semble conduire à des résultats inacceptables et être en contradiction avec la CBE. 

L'exigence de reproductibilité vient de la décision T206/83 et n'a certes jamais été remise en cause par la jurisprudence mais elle ne figure pas dans la CBE et ne peut être déduite des principes généraux du droit. Le fait de ne pas considérer un produit commercial comme faisant partie de l'état de la technique crée une fiction juridique selon laquelle le produit n'existerait pas, mais une fiction juridique qui supplanterait les faits doit être explicitement prévue par la loi. Pour la Grande Chambre, presque tous les produits existants seraient exclus de l'état de la technique si l'on devait suivre l'exigence de reproductibilité : la personne du métier ne pourrait en effet que se baser sur ses connaissances générales, et donc utiliser des matières premières faisant elles-mêmes partie de l'état de la technique (donc reproductibles). 

La solution pour éviter de telles conséquences absurdes est de considérer que l'exigence de reproductibilité de G1/92 est remplie dès lors que le produit a été mis sur le marché. Le produit fait alors partie de l'état de la technique, de même que ses propriétés et caractéristiques analysables.

Les réponses aux questions 1 et 2 seraient donc "non" et "oui".


G1/23, avis provisoire

lundi 1 juillet 2024

T439/22: saisine de la Grande Chambre sur la prise en compte de la description pour l'interprétation des revendications

Le brevet en cause a pour objet une cigarette électronique comprenant un substrat générateur d'aérosol 1020 comprenant, dans la langue du brevet, "a gathered sheet".



La question est de savoir si la feuille enroulée en spirale de D1 est une telle "gathered sheet". 

La Division d'opposition avait estimé que ce terme avait un sens clair dans le domaine technique de l'industrie du tabac (feuille pliée le long de lignes pour occuper un espace tridimensionnel), et qu'il ne couvrait pas les feuilles enroulées de D1. 

L'Opposante argumentait au contraire qu'il fallait interpréter ce terme à la lumière de la description (§35 et 38), laquelle lui donnait un sens plus large (convoluted, folded or otherwise compressed), couvrant les feuilles enroulées de D1.

On notera que le cas de figure est différent de situations plus habituelles où la Titulaire entend se prévaloir d'une définition plus restrictive contenue dans la description.

La réponse dépend donc de la question de savoir si et dans quelle mesure la description peut ou doit servir à interpréter les revendications, question qui fait débat dans la jurisprudence (voir notamment T1473/19, T1924/20 et T169/20). Certaines décisions considèrent que l'article 69 ne peut être utilisé que l'application de l'article 123(3) CBE, tandis que d'autres jugent qu'il doit toujours être appliqué pour l'appréciation de la brevetabilité, et qu'encore d'autres considèrent que la description ne peut être consultée que pour clarifier le sens de termes obscurs.

Compte tenu des ces divergences, la Chambre pose les questions suivantes à la Grande Chambre de recours:

  1. L'article 69 (1), deuxième phrase CBE et l'article 1 du Protocole sur l'interprétation de l'article 69 CBE doivent-ils être appliqués à l'interprétation des revendications de brevet lors de l'évaluation de la brevetabilité d'une invention au titre des articles 52 à 57 CBE ?
  2. La description et les figures peuvent-elles être consultées lors de l'interprétation des revendications pour évaluer la brevetabilité et, dans l'affirmative, cela peut-il être fait de manière générale ou seulement si la personne du métier estime qu'une revendication n'est pas claire ou ambiguë lorsqu'elle est lue isolément ? 
  3. Une définition, ou information du même type, sur un terme utilisé dans les revendications qui est explicitement donnée dans la description peut-elle être ignorée lors de l'interprétation des revendications pour évaluer la brevetabilité et, dans l'affirmative, dans quelles conditions ?


Décision T439/22 (saisine G1/24)


jeudi 29 février 2024

T196/22: pas de question à la Grande Chambre après la clôture des débats

La tondeuse à gazon électrique revendiquée se distinguait de celle de D2 par 6 différences portant sur le type de moteur (courant continu à commutation électrique), le fait que le compartiment de la batterie était doté d'un couvercle pouvant être ouvert, le fait que la batterie était une batterie Li-ion, ainsi que par la présence d'un système de commande comprenant un système de contrôle de la vitesse et un système de surveillance de l'état de la batterie.



Contrairement à la Titulaire, la Chambre ne voit aucune synergie entre ces caractéristiques, qui résolvent  chacune des problèmes indépendants. Ces caractéristiques étant enseignées respectivement par D26, les connaissances générales, D18 et D15, la tondeuse revendiquée n'implique pas d'activité inventive.

La Chambre considère en outre que les requêtes subsidiaires suivantes, déposées pour la première fois en recours, ne sont à première vue pas acceptables, et ne les admet pas dans la procédure.

La Titulaire avait demandé un peu de temps afin de formuler deux questions pour la Grande Chambre, d'une part sur la question de la synergie et d'autre part sur le standard utilisé pour ne pas admettre les requêtes subsidiaires. La Chambre avait refusé, estimant que les questions avaient déjà été discutées et qu'une décision avait déjà été prise à leur égard. 

Elle note que lors des débats sur ces questions, la Titulaire n'a pas argumenté qu'il s'agissait de questions de droit d'importance fondamentale ou que le Chambre irait à l'encontre de la jurisprudence antérieure. 

Lorsqu'une question a été discutée en procédure orale, les débats sont clos et la Chambre annonce ses conclusions. La Chambre peut rouvrir les débats si cela est nécessaire pour respecter le droit d'être entendu ou, de sa propre initiative, si de nouveaux éléments pertinents apparaissent ou si elle n'est pas encore en mesure de formuler une opinion. Dans le cas d'espèce, la requête de la Titulaire ne pouvait avoir d'autre but que de rouvrir un débat sur lequel la Chambre avait déjà conclu. Une telle réouverture est à la discrétion de la Chambre. 

Si une partie estime qu'une question mérite l'attention de la Grande Chambre, elle doit le dire avant ou pendant la discussion sur cette question, pas après la clôture des débats. Elle peut par exemple dire que "si la Chambre entendait décider ainsi, la questions suivante pourrait être posée à la Grande Chambre...".


Décision T196/22

mercredi 11 octobre 2023

G1/22 et G2/22: le droit à la priorité est présumé valable

Dans la décision G1/22 - G2/22, la Grande Chambre répond comme suit aux questions posées:

I. L'Office européen des brevets est compétent pour évaluer si une partie a le droit de revendiquer une priorité en vertu de l'article 87(1) CBE.

Il existe une présomption réfutable, en vertu de la loi autonome de la CBE, que le demandeur qui revendique la priorité conformément à l'article 88(1) CBE et au règlement d'exécution correspondant a le droit de revendiquer la priorité.

II. La présomption réfutable s'applique également dans les situations où la demande de brevet européen dérive d'une demande PCT et/ou lorsque le déposant de la demande prioritaire n'est pas identique au demandeur ultérieur.

Dans une situation où une demande PCT est déposée conjointement par les parties A et B, (i) désignant la partie A pour un ou plusieurs États désignés et la partie B pour un ou plusieurs autres États désignés, et (ii) revendiquant la priorité d'une demande de brevet antérieure désignant la partie A comme demandeur, le dépôt conjoint implique un accord entre les parties A et B permettant à la partie B de se prévaloir de la priorité, à moins qu'il n'y ait des indications factuelles substantielles contraires.


Sur la question de la compétence, la Grande Chambre estime que l'article 60(3) CBE ne doit pas s'appliquer à la question de la priorité, ni directement ni par analogie. Le droit de priorité est régi exclusivement par les articles 87 à 89 CBE, et non par les lois nationales, au contraire du droit au brevet. L'OEB est compétent pour examiner si les conditions de l'article 87 CBE sont remplies, non seulement le "où", le "quoi" et le "quand", mais aussi le "qui", ce qui est essentiel dans la détermination de l'état de la technique.

En vertu de ce droit autonome, le droit de revendiquer une priorité est présumé exister dès lors que les conditions formelles pour revendiquer la priorité sont remplies. La Grande Chambre considère en effet qu'il n'y a aucune raison d'imposer des exigences plus strictes que celles existant dans les Etats contractants (voir par exemple l'affaire BGH, X ZR 49/12 – Fahrzeugscheibe, où la Cour Suprême Fédérale allemande a considéré un transfert implicite du droit de priorité entre deux sociétés d'un même groupe): l'OEB devrait donc accepter des transferts informels ou tacites et il n'y a pas lieu d'exiger un contrat signé avant le dépôt de la demande ultérieure, comme le fait la jurisprudence actuelle.

La présomption de validité du droit de priorité vient notamment du fait que (i) les parties concernées ont normalement intérêt à ce qu'une demande puisse bénéficier du droit de priorité, (ii) aucune condition de forme n'est prévue pour le transfert d'un droit de priorité, et enfin (iii) le déposant de la demande prioritaire doit apporter son soutien au demandeur qui revendique la priorité (par exemple en lui fournissant des documents non encore publics).

La présomption est réfutable, la charge de la preuve reposant sur la partie qui conteste la validité de la priorité, mais cette partie devra soumettre des éléments factuels sérieux. 

Dans le cas d'espèce, le co-dépôt de la demande PCT par A et B implique que A est d'accord pour que B bénéficie de son droit de priorité, à défaut de preuve contraire (pouvant apparaître ultérieurement dans le cadre d'un contentieux entre A et B).

C'est donc un changement majeur sur la question des transferts du droit de priorité. Jusqu'à présent,  lorsque le déposant n'était pas celui qui avait déposé la demande de priorité, l'OEB exigeait un contrat de cession du droit de priorité signé avant le dépôt de la demande ultérieure. Dorénavant, l'opposant devra jeter un doute sérieux, basé sur des faits concrets, pour mettre en doute le droit du déposant à bénéficier de la priorité.


Décision G1/22 - G2/22

lundi 24 juillet 2023

T56/21: vers une saisine de la Grande Chambre concernant l'adaptation de la description ?

Merci à la lectrice qui m'a signalé cette affaire.

Dans l'affaire T56/21, la Chambre 3.3.04 envisage de poser la question suivante à la Grande Chambre de recours: 

Existe-t-il un manque de clarté ou de support au sens de l'article 84 CBE si une partie de la divulgation de l'invention dans la description et/ou les dessins d'une demande de brevet (par exemple un mode de réalisation de l'invention, un exemple ou une clause de type revendication) n'est pas comprise dans l'objet pour lequel la protection est recherchée ("incohérence de portée entre la description et/ou les dessins et les revendications") et une demande peut-elle en conséquence être rejetée sur la base de l'article 84 CBE si la demanderesse ne supprime pas l'incohérence de portée entre la description et/ou les dessins et les revendications en modifiant la description ("adaptation de la description")?

La question serait donc limitée aux procédures ex parte.

La Chambre note que la jurisprudence récente est divisée sur le sujet, comme les lectrices et lecteurs de ce blog ont pu le remarquer. Des Chambres ont rendu des décisions divergentes sur la question de savoir si l'article 84 CBE exige une adaptation de la description en cas d'incohérences avec les revendications. On notera que la Chambre 3.3.04 est celle qui a récemment relancé le débat avec sa décision T1989/18.

Pour la Chambre, l'article 84 CBE pose des exigences quant aux revendications, pas à la description. Les travaux préparatoires n'offrent que peu d'information quant aux intentions des législateurs. La jurisprudence a longtemps considéré que l'adaptation de la description était nécessaire, en particulier pour faciliter l'interprétation par les tribunaux selon l'art 69 CBE. Dès le départ, les Directives ont exigé que les incohérences soient supprimées. Ceci est toutefois difficile à concilier avec la jurisprudence selon laquelle les revendications doivent être claires en elles-mêmes et avec la jurisprudence sur l'article 69 CBE, lequel ne s'applique à l'OEB que pour l'examen de l'article 123(3) CBE.

En l'espèce la demande avait été rejetée car la demanderesse insistait pour conserver dans la description des clauses de type revendication décrites comme des "modes de réalisation spécifiques" mais qui n'étaient plus conformes à l'invention considérée comme brevetable. Selon les Directives F-IV 4.4, ce type de clause doit être supprimé.


lundi 3 juillet 2023

T438/19: saisine de la Grande Chambre sur l'accessibilité au public des usages antérieurs

 La Chambre 3.3.03 pose les questions suivantes à la Grande Chambre:

  1. Un produit mis sur le marché avant la date de dépôt d'une demande de brevet européen doit-il être exclu de l'état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE au seul motif que sa composition ou sa structure interne ne pouvait pas être analysée et reproduite sans efforts excessifs par la personne du métier avant cette date ?
  2. Si la réponse à la question 1 est négative, l'information technique sur ledit produit rendue accessible au public avant la date de dépôt (par exemple par la publication d'une brochure technique, d'une littérature brevet ou non brevet) fait-elle partie de l'état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE, indépendamment du fait que la composition ou la structure interne du produit pouvait être analysée et reproduite sans efforts excessifs par la personne du métier avant cette date ?
  3. Si la réponse à la question 1 est positive ou si la réponse à la question 2 est négative, quels sont les critères à appliquer pour déterminer si la composition ou la structure interne du produit pouvait ou non être analysée et reproduite sans effort excessif au sens de l'avis G 1/92 ? En particulier, est-il exigé que la composition et la structure interne du produit soient entièrement analysables et reproductibles à l'identique ?

L'exemple 3 de la demande internationale D1, utilisant le produit commercial ENGAGE® 8400, était cité comme état de la technique le plus proche, mais la Titulaire contestait la reproductibilité de ce produit commercial, faisant référence à l'avis G1/92. Selon cet avis, la composition chimique d'un produit fait partie de l'état de la technique dès lors que ce produit en tant que tel est accessible au public et qu'il peut être analysé et reproduit par la personne du métier. Elle argumentait que la rétro-ingénierie d'un polymère commercial sans connaître ses conditions de synthèse (catalyseurs, conditions de réaction) nécessiterait un vaste programme de recherche.

La Chambre note que des décisions divergentes ont été rendues sur le sujet. 

S'agissant de G1/92, le point 1.4 semble indiquer qu'un produit commercial ne fait partie de l'état de la technique que si sa composition ou structure interne peut être analysée et reproduite sans efforts indus. La question se pose toutefois de savoir si l'exclusion d'un produit commercial a pu être envisagée par la Grande Chambre, étant donné qu'une condition préalable à l'analyse est que le produit en tant que tel soit "accessible au public". Cela serait en outre en contradiction avec le sens du terme "accessible" défini par les décisions G2/88 (pt 10) et G6/88 (pt 8). Un défaut de nouveauté existe lorsque toutes les caractéristiques techniques ont été communiquées au public ou ouvertes à l'inspection, ce qui est le cas lorsque le produit est disponible sur le marché. 

La Chambre note aussi que selon les travaux préparatoires, l'accessibilité au public se comprenait comme la possibilité pour le public de prendre connaissance de l'état de la technique, sans exigence quant à la possibilité de le mettre en œuvre. 

Plusieurs décisions ont divergé, sur l'accessibilité au public, le niveau de détail requis pour l'analyse et les exigences à remplir pour la reproductibilité. Sur le premier point, la distinction entre l'accessibilité du produit seulement ou également de sa composition est importante pour le cas d'espèce, D1 montrant que le produit commercial convient au même but que le brevet en cause. Sur la question de l'analyse, certaines décisions ont exigé une analyse complète du produit (T946/04, T2068/15) tandis que d'autres se sont contentées d'une analyse des éléments principaux ou démontrant que le produit tombait sous la revendication (T877/11, T952/92, T1452/16). De même sur la reproductibilité, certaines décisions ont exigé que le produit soit reproduit à l'identique (T977/93, T1833/14) et d'autres non (T1540/21, T1452/16). Certaines décisions n'ont pas examiné la question de la reproductibilité.


mercredi 29 mars 2023

G1/22 - G2/22: notification avant procédure orale

La Grande Chambre a envoyé la semaine dernière une notification selon les articles 13 et 14(2) de son règlement de procédure dans les affaires G1/22 et G2/22 en prévision de la procédure orale qui se tiendra le 26 mai 2023.

Pour mémoire, ces affaires concernent la question de la validité de la priorité dans le cas d'une demande PCT déposée par A (pour les US) et B (pour les autres Etats) alors que la priorité avait été déposée par A seulement. Dans les cas d'espèce, l'entité A correspond aux inventeurs et inventrices.


Sur la première partie de la question, à savoir la compétence même de l'OEB pour décider si une partie peut être considérée comme un ayant cause au sens de l'article 87(1)b) CBE, la notification pose un certain nombre de questions à discuter lors de la procédure orale: la jurisprudence a-t-elle toujours été en faveur de la compétence de l'OEB quant à l'évaluation du droit à la priorité, est-ce que l'article 60(3) CBE a un impact ou non sur l'interprétation de l'article 87 CBE, est-ce que le droit à la priorité doit être examiné d'office en procédure d'examen, est-ce que l'évaluation du droit à la priorité peut être fait sur la base de la CBE sans invoquer les lois nationales, l'OEB serait-il aussi compétent pour évaluer le droit à déposer la demande prioritaire.

Sur la deuxième question, la Grande Chambre tend à partager l'avis presque unanime selon lequel le droit de priorité serait valable

Elle émet toutefois des réserves quant à "l'approche des codéposants PCT", en particulier sur le fait que le principe d'unicité de la demande impliquerait forcément qu'un droit de priorité doit être également valable dans tous les Etats PCT désignés.

En revanche, le fait que tous les déposants d'une demande PCT puissent bénéficier d'un droit de priorité acquis par un d'eux peut aussi résulter d'un accord formel ou informel entre les déposants. Le fait qu'une demande PCT soit déposée avec le consentement de tous les déposants peut servir de preuve à cet accord.

lundi 27 mars 2023

G2/21: quand peut-on s'appuyer sur des preuves ultérieures d'un effet technique ?

Dans l'affaire G2/21, la Grande Chambre répond de la manière suivante aux questions posées (traduction personnelle):

  1. Les preuves soumises par un demandeur ou un titulaire de brevet pour prouver un effet technique invoqué pour la reconnaissance de l'activité inventive d'un objet revendiqué ne peuvent être écartées au seul motif que ces preuves, sur lesquelles repose l'effet technique, n'ont pas été rendues publiques avant le dépôt du brevet en cause et ont été déposées après cette date.
  2. Un demandeur ou un titulaire peut invoquer un effet technique pour justifier l'activité inventive si la personne du métier, ayant en tête les connaissances générales et se fondant sur la demande telle que déposée, déduirait cet effet comme étant compris dans l'enseignement technique et concrétisé (incarné?) par la même invention divulguée à l'origine.

Dans le recours ayant conduit à cette saisine, la Titulaire s'appuyait sur des essais démontrant une synergie entre deux composés insecticides, effet qui ne ressortait pas des exemples du brevet.

La Grande Chambre rappelle d'abord le principe de libre appréciation des preuves (G1/12). Les Chambres de recours (et cela s'applique aussi à tous les organes de l'OEB) décident si une assertion doit être considérée comme vraie ou fausse en fonction des soumissions des parties, et si nécessaire de toute preuve recevable, sans avoir à observer de règles formelles. Le critère décisif est celui de savoir si la personne qui juge, prenant en compte toutes les preuves en présence, est personnellement convaincue de la véracité de l'allégation factuelle. Ce principe ne permet pas de ne pas tenir compte de preuves valablement soumises. 

Après analyse des deux lignes de jurisprudence de l'OEB (plausibilité ab initio ou pas raisons de douter de la plausibilité) et de la jurisprudence des Etats membres, la Grande Chambre note que dans tous les cas la question cruciale est celle de savoir ce que la personne du métier comprend comme étant l'enseignement technique de l'invention revendiquée à la lecture de la demande et compte tenu de ses connaissances générales. Il faut que l'effet technique allégué, même à un stade ultérieur, soit compris dans cet enseignement technique et incarne la même invention, car un tel effet ne change pas la nature de l'invention revendiquée.

La "plausibilité" n'est pas un concept juridique distinct mais un mot-clé générique désignant une assertion de faits que le déposant ou titulaire doit démontrer afin de pouvoir se fonder sur un effet technique allégué mais contesté. 


La Grande Chambre fait remarquer qu'en matière de suffisance de description la possibilité de s'appuyer sur des preuves postérieures est bien plus réduite. 

On notera que les critères proposés par cette décision étaient déjà contenus dans l'opinion provisoire de la Grande Chambre. Cette opinion avait en outre considéré que la question était de savoir si compte tenu de l'enseignement technique de la demande et des connaissances générales, la personne du métier aurait des raisons sérieuses ("significant reason") de douter de l'effet technique allégué et invoqué.

Il sera intéressant de voir comment les Chambres vont interpréter les critères proposés par la Grande Chambre, dont elle reconnaît elle-même le caractère plutôt abstrait. Le résultat pourrait bien être influencé par le domaine technique de l'invention.

Décision G2/21

lundi 17 octobre 2022

G2/21 : avis provisoire de la Grande Chambre

Dans la saisine G2/21, la Grande Chambre est saisie de questions portant sur la prise en compte de preuves (par exemple des données expérimentales) publiées après la date de dépôt (preuves post-publiées) et qui ont été soumises pour prouver l'existence d'un effet technique. Les questions posées sont rappelées à la fin du billet.

La procédure orale doit se tenir le 24 novembre et la Grande Chambre vient d'envoyer une notification selon les articles 13 et 14(2) du RPGCR afin de souligner les points qui lui semblent importants.

Sur la première question posée, la Grande Chambre considère pour le moment que le principe de libre appréciation de la preuve ne semble pas en soi permettre d'ignorer des preuves dans la mesure où ces preuves sont soumises pour répondre à une contestation et sont décisives pour la décision finale. Ignorer par principe ces preuves serait contraire aux articles 113(1) et 117(1) CBE.

La Grande Chambre rappelle qu'au vu de la jurisprudence de l'OEB et des Etats contractants, ce qui importe est de savoir quel enseignement technique la personne du métier, munie de ses connaissances générales, comprendrait, à la date de dépôt, à la lecture de la demande telle que déposée. L'effet technique invoqué, même à un stade ultérieur, doit être englobé par cet enseignement et concrétiser la même invention.

Pour la Grande Chambre, la question est donc de savoir si, compte tenu de cet enseignement technique de la demande et des connaissances générales, la personne du métier aurait des raisons sérieuses ("significant reason") de douter de l'effet technique allégué et invoqué. En l'absence de tels doutes, l'organe décisionnaire devrait pouvoir se baser sur des preuves post-publiées afin de décider si elle est convaincue ou non de la présence de cet effet technique. En revanche, si la personne du métier a des doutes sérieux ("significant"), la possibilité d'utiliser ces preuves avec succès paraît discutable.

Une personne du métier qui doute


Questions posées:

1. Faut-il admettre une exception au principe de la libre appréciation des preuves (voir par exemple G 3/97, motifs 5, et G 1/12, motifs 31) en ce sens que les preuves post-publiées doivent être ignorées au motif que la preuve de l'effet repose exclusivement sur les preuves post-publiées ?

2. Si la réponse est oui (les preuves post-publiées doivent être ignorées si la preuve de l'effet repose exclusivement sur ces preuves), les preuves post-publiées peuvent-elles être prises en considération si, sur la base des informations contenues dans la demande de brevet en cause ou des connaissances générales, l'homme du métier à la date de dépôt de la demande de brevet en cause aurait considéré l'effet comme plausible (plausibilité ab initio) ?

3. Si la réponse à la première question est oui (la preuve post-publiée doit être ignorée si la preuve de l'effet repose exclusivement sur cette preuve), la preuve post-publiée peut-elle être prise en considération si, sur la base des informations contenues dans la demande de brevet en question ou des connaissances générales, l'homme du métier à la date de dépôt de la demande de brevet en question n'aurait vu aucune raison de considérer l'effet comme non plausible (invraisemblance ab initio) ?






mercredi 2 février 2022

T1513/17 et T2719/19: la Grande Chambre à nouveau saisie sur la priorité

La Chambre 3.3.04 a saisi la Grande Chambre sur la question du droit à revendiquer la priorité.

Dans le cas d'espèce, la priorité US a été déposée par les inventeurs (A), puis une demande PCT a été déposée avec A comme déposants pour les US et la société B comme déposant pour les autres pays, revendiquant la priorité de la demande US. 

La division d'opposition avait estimé que la priorité n'était pas valable, faute de cession du droit de priorité de A vers B concernant EP. En conséquence, le brevet avait été révoqué au vu de documents publiés avant la date de dépôt.



En recours, la Titulaire entend se prévaloir de "l'approche des codemandeurs", suivie par l'OEB (Dir. A-III 6.1) dans le cas de demandes déposées par des codemandeurs (il suffit dans ce cas qu'au moins un des codemandeurs ait déposé la demande prioritaire). Cette approche devrait à ses yeux être valable pour les demandes PCT. La Titulaire s'appuie notamment sur le fait que la demande PCT doit avoir les mêmes effets qu'une demande EP et que dans le cas d'une demande EP des demandeurs différents selon les Etats sont considérés comme codemandeurs (Article 11(3) PCT, Articles 118 et 153(2) CBE).

La Chambre n'est pas convaincue par ces arguments et mentionne comme alternative l'approche suivie par le Tribunal de La Haye dans sa décision du 30.7.2019. Selon cette approche, la loi applicable est celle du lieu où l'on cherche une protection (lex loci protectionis), donc la CBE, laquelle ne prescrit aucune formalité particulière quant à la cession du droit de priorité. Dans ce cas, le dépôt même du PCT pourrait être la preuve que le droit de priorité a été implicitement cédé pour les autres pays, puisque A a consenti à ce que B soit demandeur pour ces pays.

Les faits se distinguent de ceux de la décision CRISPR T844/18, car dans cette affaire certains déposants des demandes prioritaires n'étaient pas déposants de la demande ultérieure.

Les questions posées sont les suivantes:

I. La CBE confère-t-elle une compétence à l'OEB pour déterminer si une partie prétend valablement être un ayant cause au sens de l'article 87(1)b) CBE ?

Sur cette question de compétence, la Chambre fait remarquer qu'elle a fait souvent débat, et que ce débat devrait être tranché. 

II. En cas de réponse affirmative à la question I

Une partie B peut-elle valablement se fonder sur le droit de priorité revendiqué dans une demande PCT dans le but de revendiquer des droits de priorité selon l'article 87(1) CBE dans le cas où

1) une demande PCT désigne la partie A comme demandeur pour les Etats-Unis seulement et la partie B comme demandeur pour d'autres Etats désignés, y compris la protection par brevet européen régional et

2) la demande PCT revendique la priorité d'une demande de brevet antérieure qui désigne la partie A comme demandeur et

3) la priorité revendiquée dans la demande PCT est conforme à l'article 4 de la Convention de Paris ?


jeudi 28 octobre 2021

G1/21: procédures orales par visioconférence

 Comme annoncé en juillet dernier, la Grande Chambre a décidé ce qui suit:

En cas d'urgence générale compromettant la possibilité pour les parties d'assister à une procédure orale en personne dans les locaux de l'OEB, la conduite d'une procédure orale devant les Chambres de recours sous forme de visioconférence est compatible avec la CBE même si toutes les parties à la procédure n'ont pas donné leur consentement à la conduite d'une procédure orale sous forme de visioconférence.

Les motifs sont maintenant parus et sont particulièrement intéressants.


Tout d'abord la Grande Chambre restreint la portée de la question à ce qui nécessaire pour la Chambre l'ayant saisie: elle limite donc la question aux procédures orales devant les Chambres de recours.

Pour la Grande Chambre, les procédures orales par visioconférence sont des procédures orales au sens de l'article 116 CBE. L'objet/ le but d'une procédure orale est de donner aux parties l'opportunité de plaider oralement leur dossier et il est peu probable que le législateur ait souhaiter exclure par anticipation de futurs formats permettant de le faire. 

La Grande Chambre reconnait que pour l'instant les procédures orales par visioconférence ne sont pas complètement équivalentes aux procédures orales en présence, ces dernières constituant l'optimum en termes de communication. Les procédures orales en personne sont également préférables du point de vue la transparence du système judiciaire et de sa fonction dans la société. Le droit d'être entendu ou le droit à un procès équitable sont toutefois respectés. Les visioconférences permettent également de voir les personnes auxquelles on s'adresse, contrairement aux conférences téléphoniques. Les membres des Chambres répondent normalement aux arguments des parties par des questions ou commentaires, pas seulement par un signe de tête ou un regard interrogateur.

Les procédures orales en personne étant le format optimal ("l'étalon-or"), elles devraient être l'option par défaut, et les parties ne devraient se voir refuser cette possibilité que pour de bonnes raisons. Le choix du format n'est pas une question administrative, et relève plus des parties que des Chambres. Refuser à une partie la possibilité de paraître en personne doit être justifié par des circonstances spécifiques, par exemple des difficultés affectant la capacité des parties à assister en personne. La décision, discrétionnaire, ne devrait pas être influencée par des questions administratives telles que la disponibilité de salles ou d'interprètes.

La Grande Chambre note enfin que dans les Etats contractants, comme devant la CEDH, la possibilité d'imposer des audiences par visioconférence a été introduite du fait de la pandémie de Covid-19 et qu'il existe une réticence considérable à prolonger cette mesure au-delà de la situation d'urgence actuelle.


jeudi 21 octobre 2021

T116/18: décision de saisine G2/21 sur la prise en compte de preuves ultérieures

Comme annoncé en août, la Grande Chambre est saisie de questions portant sur la prise en compte de données publiées après la date de dépôt et qui ont été soumises pour prouver l'existence d'un effet technique. 

Les questions posées portent sur la possibilité d'ignorer de telles données au motif que la preuve de l'effet allégué repose exclusivement sur elles et, dans l'affirmative, s'il faut pour prendre en compte ces données que la personne du métier considère cet effet comme plausible sur la base du brevet et de ses connaissances générales à la date de dépôt, ou bien s'il suffit qu'il n'ait pas de raison de le considérer comme non-plausible.

Le brevet concerne des combinaisons de deux insecticides connus, et le breveté se prévalait d'une synergie conduisant à une amélioration inattendue des propriétés insecticides. 

Des essais (D21) ont été fournis afin de prouver cette  synergie contre la pyrale du riz.

La Chambre conclut que la présence d'une activité inventive dépend de la prise en compte ou non des résultats de D21. 

Les exemples du brevet ne prouvent une synergie que sur certaines combinaisons particulières, et à l'encontre de la noctuelle rayée et de la teigne des choux. Le document D23 soumis par l'Opposante démontrait au contraire l'absence de synergie pour d'autres combinaisons néanmoins couvertes par le brevet.

Ainsi, en l'absence de prise en compte de D21, le problème technique objectif doit être redéfini comme étant de fournir une composition insecticide alternative, et la solution était évidente. En revanche, en prenant en compte D21, le problème technique objectif est de fournir une composition dans laquelle les insecticides agissent synergiquement contre la pyrale du riz, et la solution était inventive.

Il existe selon la Chambre 3 grandes lignes de jurisprudence sur le sujet de la prise en compte de preuves publiées ultérieurement.

Selon une première ligne, la prise en compte des preuves ultérieures suppose que la personne du métier ait des raisons de considérer que l'effet est atteint, sur la base du brevet ou de ses connaissances générales à la date du dépôt (plausibilité ab initio), par exemple grâce à des explications scientifiques ou des données expérimentales (T1329/04, T609/02, T488/16). 

Le problème de cette approche est qu'elle peut empêcher la titulaire de faire valoir un effet par rapport à des documents qu'elle ne connaissait pas. Elle va en outre à l'encontre de la jurisprudence qui depuis des décennies admet la reformulation de problèmes, dès lors que le nouveau problème reste dans l'esprit de l'invention divulguée à l'origine (voir par exemple T1422/12).

Selon une deuxième ligne, les preuves ultérieures ne peuvent être écartées que si la personne du métier avait des raisons légitimes de douter de la réalité de l'effet (non-plausibilité ab initio) (T919/15, T578/06, T2015/20).

Une troisième ligne semble rejeter le concept de plausibilité. Selon cette ligne, ne pas tenir compte de preuves ultérieures serait incompatible avec l'approche problème-solution, qui parfois impose de reformuler le problème technique à la lumière de documents qui ne sont pas cités dans le brevet  (T2371/13). Le danger associé à cette approche est l'augmentation de brevets spéculatifs, pour lesquels, par exemple, l'utilité de composés revendiqués pourrait être découverte ultérieurement. 

En outre, le principe de libre appréciation de la preuve (G1/12, pt 31) est-il compatible avec le fait d'ignorer des preuves qu'une Chambre estime convaincante et décisive?


lundi 16 août 2021

T116/18: saisine de la Grande Chambre sur la question de la plausibilité

Dans l'affaire T116/18, la Chambre 3.3.02 va saisir la Grande Chambre des questions (provisoires)  suivantes (traduction personnelle):

Lorsque la Titulaire, pour faire reconnaître l'activité inventive, s'appuie sur un effet technique qu'elle entend prouver en soumettant des données ou autres preuves générées seulement après la date de priorité ou de dépôt du brevet (données publiées ultérieurement):

1. Faut-il faire exception au principe de libre appréciation des preuves (voir par exemple G1/12, 31) en ce sens que les données publiées ultérieurement doivent (NDLR: peuvent?) être ignorées au motif que la preuve de l'effet repose exclusivement sur de telles données?

 2. Si la réponse est positive: les données publiées ultérieurement peuvent-elles être prises en compte si sur la base des informations contenues dans la demande de brevet la personne du métier à la date pertinente aurait considéré l'effet comme plausible? (plausibilité ab initio)

3. Si la réponse à la première question est positive: les données publiées ultérieurement peuvent-elles être prises en compte si sur la base des informations contenues dans la demande de brevet la personne du métier à la date pertinente n'aurait pas eu de raisons de considérer l'effet comme non-plausible? (invraisemblance ab initio)

Les questions définitives seront données dans le dispositif de la décision, laquelle n'est pas encore publiée.

Le brevet en cause concerne des compositions insecticides comprenant du thiamétoxam et un autre composé, la Titulaire entendant prouver un effet synergétique au moyens de rapports d'essais D21 et D22. Sur la question de la prise en compte de ces rapports, la Chambre note que des décisions contradictoires ont été rendues dans le passé.

D'une part, selon certaines décisions (par exemple T488/16), l'effet technique devait déjà être plausible à la date de dépôt (critère de plausibilité ab initio). T184/16 se réfère à cette décision mais estime que le critère de plausibilité est rempli faute de preuves contraires (pas d'invraisemblance a priori).

En revanche:

  • T1422/12:  tous les effets procurés par l'invention peuvent être pris en compte, du moment qu'ils concernent le même domaine d'utilisation et ne changent pas le caractère de l'invention.
  • T2371/13: ne pas tenir compte d'essais destinés à démontrer un effet serait incompatible avec l'approche problème-solution.
  • T31/18: l'effet technique doit être mentionné dans la demande ou au moins pouvoir en être dérivé, mais pas nécessairement supporté par des preuves expérimentales.


lundi 19 juillet 2021

G1/21: feu vert pour les visioconférences devant les Chambres, au moins dans les cas d'urgence générale

Dans l'affaire G1/21, la Grande Chambre a décidé ce qui suit (traduction personnelle):

En cas d'urgence générale empêchant [EDIT 28/08/2021: compromettant la possibilité pour] les parties d'assister à une procédure orale en personne dans les locaux de l'OEB, la conduite d'une procédure orale devant les Chambres de recours sous forme de visioconférence est compatible avec la CBE même si toutes les parties à la procédure n'ont pas donné leur consentement à la conduite d'une procédure orale sous forme de visioconférence.

Il ressort de ce dispositif que la Grande Chambre a fortement limité la portée de sa réponse à la question posée. Alors que cette dernière posait la question générale de la compatibilité des procédures orales devant l'OEB en cas de désaccord d'une partie, la Grande Chambre ne s'est prononcée que sur les cas d'urgence générale et qu'en ce qui concerne les Chambres de recours.

Les motifs de la décision ne sont pas encore publiés. 



mercredi 23 juin 2021

G4/19: confirmation de l'interdiction de la double protection par brevet

Sur les questions de double protection par brevet, la Grande Chambre a répondu comme suit aux questions posées dans l'affaire G4/19 :

1. Une demande de brevet européen peut être rejetée en vertu des articles 97(2) et 125 CBE si elle revendique le même objet qu'un brevet européen qui a été délivré au même demandeur et si elle ne fait pas partie de l'état de la technique selon l'article 54(2)(3) CBE.

2.1. La demande peut être rejetée sur cette base juridique, indépendamment du fait 

a)  qu'elle ait été déposée à la même date que, ou

b) qu'il s'agisse d'une demande parente ou d'une demande divisionnaire (article 76(1) CBE) de, ou

c) qu'elle revendique la même priorité (article 88 CBE) que 

 la demande de brevet européen ayant conduit au brevet européen déjà délivré.

En d'autres termes, la pratique actuelle de l'OEB est confirmée. La double protection par brevet est interdite dans tous les cas de figure possibles.

Pour la Grande Chambre, la question de la double protection implique des aspects procéduraux, de sorte que l'article 125 CBE est applicable. La Grande Chambre ne peut toutefois pas déduire des éléments de droit national que l'interdiction de la double protection serait un principe généralement admis dans les Etats contractants. L'obiter dictum des décisions G1/05 (13.4) et G1/06 n'est pas non plus une base satisfaisante. On note d'ailleurs que dans la présente décision la Grande Chambre ne mentionne à aucun moment le critère d'absence "d'intérêt légitime" pour le demandeur pour justifier l'interdiction de la double protection, critère mentionné dans G1/05 et G1/06, et qui avait pu faire penser que gagner un an de protection dans le cas c) constituait un intérêt légitime.

30 ans de jurisprudence n'ont pu répondre clairement à la question car l'article 125 CBE est très général, et donc sa portée est ambiguë.  La Grande Chambre se plonge donc dans les travaux préparatoires, dont il ressort que les (futurs) Etats contractants se sont majoritairement mis d'accord lors de la Conférence diplomatique sur le fait que l'interdiction de la double protection était un principe de procédure généralement admis et à ce titre tombant sous le coup du futur article 125 CBE. 

Le fait que cette interdiction s'applique dans tous les cas de figure a)-c) ressort aussi, pour la Grande Chambre, des travaux préparatoires.  

Au point 80, la Grande Chambre indique un critère supplémentaire pour que l'interdiction s'applique: l'existence d'Etats désignés en commun.

Pour ceux qui voudraient aussi faire de l'archéologie, les textes les plus pertinents sont les points 665 et suivants de R3, R2 - BR219e72 (page 17), R1 (pages 346-347).



Décision G4/19

jeudi 20 mai 2021

G1/21: les objections de soupçon de partialité en partie retenues

Dans l'affaire G1/21 (légalité des procédures orales par visioconférence sans l'accord de toutes les parties), la Grande Chambre a décidé de remplacer deux de ses membres.

Une des parties avait demandé la récusation du Président de la Grande Chambre (et Président des Chambres de recours) ainsi que celle deux membres (X et Y) qui faisaient partie du présidium des Chambres au moment de l'adoption de l'article 15bis RPCR.

Par ailleurs, un quatrième membre (Z) a demandé à la Grande Chambre de statuer sur sa participation.

S'agissant du Président, la Grande Chambre reconnaît qu'il a accompli des actes législatifs et managériaux se fondant sur l'opinion selon laquelle les procédures orales par visioconférence sans l'accord de toutes les parties seraient compatibles avec l'article 116 CBE. Une personne informée et objective pourrait effectivement conclure qu'elle peut avoir de bonnes raisons de douter de l'impartialité du Président dans cette affaire. La crainte que le Président ait tendance à répondre à la question posée par la positive afin d'éviter que ses actes soient considérés comme en contrariété avec l'article 116 CBE est donc objectivement justifiée.

Le Président sera donc remplacé par M. Fritz Blumer, membre juriste des Chambres.

En revanche, le simple fait que X et Y aient été membres du Présidium, organe consultatif, ne suffit pas à fonder objectivement un soupçon de partialité.

Z, ayant participé à la rédaction de l'article 15bis RPCR, a joué un rôle actif et visible. Il est remplacé par M. Tamás Bokor, également membre juriste.


Décision intermédiaire G1/21


lundi 3 mai 2021

G1/21: une pluie d'amicus curiae

 

La Grande Chambre a reçu une quarantaine d'amicus curiae dans le cadre de l'affaire G1/21, sur la légalité des procédures orales par visioconférence en l'absence d'accord des parties.

Rappelons que la question posée est la suivante:

La tenue d'une procédure orale sous forme de visioconférence est-elle compatible avec le droit à la procédure orale tel que consacré par l'article 116(1) CBE si toutes les parties à la procédure n'ont pas donné leur consentement à la tenue de la procédure orale sous forme de vidéoconférence ?

J'indique ci-après la réponse préconisée par les différentes intervenants (entreprises, associations professionnelles, associations spécialisées en PI, cabinets de PI, particuliers...).

Un résumé détaillé des arguments des partisans du OUI et des partisans du NON est proposé sur LinkedIn par Daniel Thomas.

En faveur du OUI

Entreprises
Philips - NL

Associations professionnelles
IPO (Intellectual Property Owners Association) - US

Cabinets
IK-IP - GB

Associations en PI
CIPA (Chartered Institute of Patent Attorneys) - GB
CNCPI - FR

Particuliers

A noter que beaucoup font remarquer que des procédures orales en présence peuvent être nécessaires dans certains cas (à justifier par la partie concernée), voire que la visioconférence n'est pas forcément la meilleure solution dans tous les cas (complexité, nombre de parties, interprétation, témoins etc...).

Le "oui" de la CNCPI est un "oui, mais". Elle appelle en effet à définir, après consultation, les conditions dans lesquelles une procédure orale par visioconférence peut être imposée. Elle estime en outre que dans certains cas, une visioconférence ne devrait pas pouvoir être imposée (procédures judiciaires liées, enjeux liés à la complexité du dossier et à sa technicité, enjeux économiques).

En faveur du NON

Entreprises
Bayer - DE
Siemens - DE
BASF (dans le cas des Chambres de recours) - DE
Ericsson - SE

Associations professionnelles
VDA (Verband der Automobilindustrie) - DE

Cabinets
FEMIPI (Fédération Européenne des Mandataires de l'Industrie) - EP
EPLIT (European Patent Litigators Association) - EP
VPP (Vereinigung von Fachleuten des Gewerblichen Rechtsschutzes) - DE
Union of European Practitioners in Intellectual Property (dans le cas des Chambres de recours) - EP
FICPI (Fédération internationale des Conseils en PI)  - WO: j'ai hésité à la classer dans cette catégorie; la conclusion indique "oui", mais le reste du courrier montre à mon avis que la réponse proposée est "non"

Particuliers

Beaucoup font remarquer que si les procédures orales par visioconférence présentent des avantages indéniables, elles ont aussi des inconvénients et ne sauraient être considérées comme équivalentes aux procédures orales en présence, le choix revenant aux parties et non à l'OEB.
L'epi a également déposé un amicus curiae indiquant que certains membres de la Grande Chambre devraient s'abstenir (article 24(2) CBE) pour soupçon de partialité.

Autres contributions:

APEB (Association des praticiens européens des brevets) - FR: donne des exemples de cas où une procédure orale en présence est nécessaire
REPI (Réseau Entreprises - PI) - FR: la visioconférence ne devrait pas constituer la solution "normale"; donne des exemples de cas où une procédure orale en présence est nécessaire
IP Ability - GB: les parties qui ne donnent pas leur consentement doivent donner les raisons; il est important de tenir compte des situations de handicap des mandataires et des personnes qui les accompagnent



lundi 15 mars 2021

T1807/15: saisine de la Grande Chambre sur la question des procédures orales par visioconférence

[EDIT 17/03/2021]: l'affaire porte le numéro G1/21 et la Grande Chambre convoque les parties à une procédure orale par visioconférence pour le 28 mai


Dans l'affaire T1807/15, la Chambre 3.5.02 pose la question suivante à la Grande Chambre:

La tenue d'une procédure orale sous forme de visioconférence est-elle compatible avec le droit à la procédure orale tel que consacré par l'article 116(1) CBE si toutes les parties à la procédure n'ont pas donné leur consentement à la tenue de la procédure orale sous forme de vidéoconférence ?

Pour la Chambre, il est évident que cette question est d'importance fondamentale, d'autant plus que les procédures orales par visioconférence pourraient devenir la pratique normale dans le futur, de sorte qu'un très grand nombre d'affaires seraient concernées. Le fait de tenir des procédures orales dans un format juridiquement incorrect affecterait en outre la validité des décisions.


Selon la Chambre une procédure orale par visioconférence est compatible de manière générale avec l'article 116 CBE. Etant donné que les parties peuvent renoncer au droit à la procédure orale, une procédure orale par visioconférence est a fortiori compatible avec l'article 116 CBE si toutes les parties y consentent. La question est donc restreinte au cas où toutes les parties n'ont pas donné leur consentement. Elle porte en revanche sur toutes les procédure orales, y compris devant les divisions d'examen et d'opposition.

La question est de savoir si l'article 116 CBE pose des conditions concernant le format des procédures orales. Si les procédures orales par visioconférence ne respectent pas ce format, le droit d'être entendu serait enfreint.

Le fait que la CBE ne définisse pas explicitement le format des procédures orales ne signifie pas nécessairement que le terme "procédure orale" doive être interprété largement, de manière à couvrir les visioconférences. Aucun format n'a été spécifié car à l'époque de la rédaction de la CBE, aucune autre option que les procédures orales en personne n'était disponible. Le terme "comparaître", qui figure dans la règle 115(2) CBE, n'a pas été précisé par les rédacteurs de la CBE 2000, qui n'ont donc pas considéré d'autres options, alors même que les premières visioconférences remontent à 1998. A l'époque - et jusqu'en 2006 - le demandeur devait renoncer irrévocablement à son droit d'être plus tard entendu dans les locaux de l'OEB. Il semble donc qu'à l'époque de l'élaboration de la CBE 2000, les visioconférences étaient considérées comme ne respectant pas les conditions de l'article 116 CBE. Selon une interprétation littérale, il semble donc que l'article 116 CBE prévoit le droit d'être entendu en personne.

Selon une interprétation téléologique, les procédures orales par visioconférence donnent bien aux parties la possibilité de présenter leurs commentaires à l'oral, pour autant qu'elles puissent le faire de manière équivalente à la forme traditionnelle. La  Chambre doute toutefois qu'une interprétation téléologique soit applicable, du fait que l'interprétation littérale donne un résultat non ambigu.

La Chambre doute également qu'une interprétation dynamique s'applique, car l'interprétation littérale n'est pas en conflit avec le but du législateur. Il n'est pas sûr que la pandémie actuelle justifie une telle interprétation dynamique et une restriction des droits procéduraux.


jeudi 11 mars 2021

G1/19: brevetabilité des méthodes de simulation

La Grande Chambre avait été saisie en 2019 de questions portant sur la brevetabilité de méthodes de simulation.

Dans l'affaire en question, la demande portait sur la simulation informatique d'une foule de piétons dans un environnement, utilisable dans le cadre d'un procédé de conception de lieux tels qu'un stade ou une gare. La Chambre était tentée de considérer que l'invention n'impliquait pas d'activité inventive au regard d'un ordinateur conventionnel, la simulation obtenue ne pouvant elle-même être considérée comme produisant un effet technique faute de lien direct avec la réalité physique. L'application de la décision T1227/05 (simulation de circuit) pouvait toutefois aboutir à une conclusion inverse.

La Grande Chambre répond aux questions posées de la manière suivante:

  1. Une simulation mise en oeuvre par ordinateur d'un système ou d'un procédé technique qui est revendiquée en tant que telle peut, dans le but d'évaluer l'activité inventive, résoudre un problème technique en produisant un effet technique allant au-delà de la mise en oeuvre de la simulation sur un ordinateur.
  2. Pour cette évaluation, il ne suffit pas que la simulation soit basée, en tout ou partie, sur des principes techniques qui sous-tendent le procédé ou le système simulé.
  3. Les réponses aux questions qui précèdent ne sont pas différentes si la simulation mise en oeuvre par ordinateur est revendiquée en tant que partie d'un procédé de conception, en particulier dans le but de vérifier une conception.

Une méthode de simulation revendiquée "en tant que telle" est une méthode ne comprenant que des entrées et sorties purement numériques (même si elles peuvent représenter des paramètres physiques), sans interaction avec la réalité physique externe.

Pour la Grande Chambre, ces méthodes de simulation doivent être évaluées selon les mêmes critères que toute autre invention mise en oeuvre par ordinateur, en suivant l'approche Comvik (T641/00). 

La contribution des caractéristiques au caractère technique de l'invention doit être évaluée et tout effet technique "supplémentaire" de la simulation (allant au-delà des interactions normales avec l'ordinateur, au sens de T1173/97) peut être prise en compte.


L'effet technique supplémentaire n'est pas nécessairement lié aux données d'entrée (par exemple la mesure d'une valeur physique) ou de sortie (par exemple l'émission d'un signal pour le contrôle d'une machine), et un lien direct avec la réalité physique n'est pas forcément nécessaire dans tous les cas: les effets techniques supplémentaires peuvent par exemple se produire au sein de l'ordinateur. 

Les principes sous-jacents, même techniques, ne contribuent néanmoins pas nécessairement au caractère technique de l'invention. Les modèles sous-jacents et les algorithmes peuvent contribuer au caractère technique lorsque, par exemple, ils constituent une raison pour adapter l'ordinateur ou son fonctionnement ou s'ils sont à la base d'un usage technique associé au résultat de la simulation, à condition que ces adaptations ou usages soient au moins implicitement spécifiés dans la revendication. Le caractère technique ne dépendra pas de la "qualité" du modèle.

Le calcul de donnés numériques reflétant le comportement physique d'un système modélisé ne pourra établir un caractère technique que de manière exceptionnelle (et ce même si le comportement calculé reflète de manière adéquate le comportement du système réel), par exemple si dans la revendication l'utilisation des données est limitée à un but technique. 

Le critère établi par la décision T1227/05, selon lequel une simulation constitue un objectif suffisamment défini d'une méthode de simulation numérique dans la mesure où la méthode se limite fonctionnellement à cet objectif technique, ne devrait pas être considéré comme un critère universellement applicable.

Enfin, il importe peu que le procédé ou système simulé soit technique ou non.


Décision G1/19


vendredi 3 juillet 2020

G1/19: procédure orale le 15 juillet en direct


Une première à l'OEB, la procédure orale devant la Grande Chambre dans l'affaire G1/19, qui se tiendra le 15 juillet prochain, sera diffusée en direct sur Internet.

Pour mémoire, les questions posées concernent la brevetabilité des méthodes de simulation:

1. Aux fins de l'appréciation de l'activité inventive, la simulation assistée par ordinateur d'un système ou d'un procédé technique peut-elle résoudre un problème technique en produisant un effet technique allant au-delà de la mise en œuvre par ordinateur de la simulation, lorsque cette simulation assistée par ordinateur est revendiquée en tant que telle ?
2. S'il est répondu par l'affirmative à la première question, quels sont les critères pertinents pour déterminer si une simulation assistée par ordinateur, revendiquée en tant que telle, résout un problème technique ? En particulier, suffit-il pour cela que la simulation repose, au moins en partie, sur des principes techniques qui sous-tendent le système ou le procédé simulé ?
3. Comment faut-il répondre à la première et à la deuxième question lorsque la simulation assistée par ordinateur est revendiquée comme faisant partie d'un procédé de conception, notamment dans un but de vérification d'une conception ?

Le nombre de connexions est limité à 3000.

Pour plus d'informations

Accès aux amicus curiae
Accès au dossier

 
Le Blog du Droit Européen des Brevets Copyright Laurent Teyssèdre 2007-2022