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jeudi 5 septembre 2024

G1/23 : avis provisoire de la Grande Chambre

La Grande Chambre a été saisie l'an dernier de questions portant sur l'accessibilité au public d'usages antérieurs:

  1. Un produit mis sur le marché avant la date de dépôt d'une demande de brevet européen doit-il être exclu de l'état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE au seul motif que sa composition ou sa structure interne ne pouvait pas être analysée et reproduite sans efforts excessifs par la personne du métier avant cette date ?
  2. Si la réponse à la question 1 est négative, l'information technique sur ledit produit rendue accessible au public avant la date de dépôt (par exemple par la publication d'une brochure technique, d'une littérature brevet ou non brevet) fait-elle partie de l'état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE, indépendamment du fait que la composition ou la structure interne du produit pouvait être analysée et reproduite sans efforts excessifs par la personne du métier avant cette date ?
  3. Si la réponse à la question 1 est positive ou si la réponse à la question 2 est négative, quels sont les critères à appliquer pour déterminer si la composition ou la structure interne du produit pouvait ou non être analysée et reproduite sans effort excessif au sens de l'avis G 1/92 ? En particulier, est-il exigé que la composition et la structure interne du produit soient entièrement analysables et reproductibles à l'identique ?

La première question est la plus cruciale et porte sur la question de savoir si un produit mis sur le marché et constituant l'usage antérieur doit pouvoir être "reproduit", c'est-à-dire pouvoir être à nouveau fabriqué par la personne du métier.

Pour la Grande Chambre, le fait d'exclure de l'état de la technique des produits ne pouvant être reproduits semble conduire à des résultats inacceptables et être en contradiction avec la CBE. 

L'exigence de reproductibilité vient de la décision T206/83 et n'a certes jamais été remise en cause par la jurisprudence mais elle ne figure pas dans la CBE et ne peut être déduite des principes généraux du droit. Le fait de ne pas considérer un produit commercial comme faisant partie de l'état de la technique crée une fiction juridique selon laquelle le produit n'existerait pas, mais une fiction juridique qui supplanterait les faits doit être explicitement prévue par la loi. Pour la Grande Chambre, presque tous les produits existants seraient exclus de l'état de la technique si l'on devait suivre l'exigence de reproductibilité : la personne du métier ne pourrait en effet que se baser sur ses connaissances générales, et donc utiliser des matières premières faisant elles-mêmes partie de l'état de la technique (donc reproductibles). 

La solution pour éviter de telles conséquences absurdes est de considérer que l'exigence de reproductibilité de G1/92 est remplie dès lors que le produit a été mis sur le marché. Le produit fait alors partie de l'état de la technique, de même que ses propriétés et caractéristiques analysables.

Les réponses aux questions 1 et 2 seraient donc "non" et "oui".


G1/23, avis provisoire

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10 comments:

Anonyme a dit…

Enfin !
L'article 54 porte sur l'accessibilité au public, point, donc si un produit est accessible au public il n'est pas nouveau, c'est tout. Pourquoi G1/92 a-t-elle ajouté cette exigence de reproductibilité sans efforts indus ?

Anonyme a dit…

J'ai toujours trouvé étrange la G1/92. En suivant son raisonnement, aucun atome ne fait partie de l'état de la technique.
Je ne crois pas qu'on sache produire du fer sans une étoile par exemple :)

franco-belge a dit…

La jurisprudence est schizophrénique: quand un livre est placé dans les étagères d'une bibliothèque, voire même qu'il y a été placé mais n'y est plus, son contenu est dans l'état de la technique sans aucune autre condition. Il me semblerait cohérent que la GCR admette qu'un produit disponible fait partie de l'état de la technique. Ensuite, la question redeviendrait la question classique de savoir ce que ce produit disponible pour l'homme de l'art peut lui enseigner.
Quand on regarde au-delà de l'océan, aux États-Unis, la simple offre de vente est suffisante. Cela semble logique: "disponible" signifie qui est disponible, dont on peut disposer. Est-ce qu'une offre de vente rend un produit disponible, telle est la limite que la GCR devra fixer. Mon opinion est qu'accepter en Europe une offre de vente serait "un pont trop loin".

Anonyme a dit…

En effet, l'offre de vente va sans doute trop loin car, par exemple en cas de précommande, le produit n'est pas encore à disposition pour des personnes non couverts par NDA.

Francis Hagel a dit…

L’opinion préliminaire de la GCR est frappée au coin du bon sens. Si un produit a été mis sur le marché, il doit être présumé reproductible. Et d’autre part, pour évaluer les propriétés d’usage d’un produit, ce qui est le problème dans le cas du brevet en cause, la question de la reproductibilité ne se pose pas. A partir du moment où le produit est commercial, tout acquéreur a la possibilité d’explorer ses propriétés d’usage.

Sur un plan général, le rappel à l’ordre est le bienvenu. Il est très important que la GCR fasse prévaloir le respect de la CBE sur des décisions de chambres de recours qui s’en écartent en lui ajoutant des conditions, surtout quand il s’agit de la définition de l’état de la technique. Il y a eu un autre exemple, heureusement résolu par la décision T 2101/12, avec la jurisprudence T 172/03 qui avait exclu les informations non techniques de l’état de la technique. L’article 54(2) précise pourtant bien que l’état de la technique inclut non seulement les descriptions écrites ou orales, mais aussi les usages et tout autre moyen.

Une remarque au sujet des qualificatifs « reproductible » ou « analysable » utilisés par la GCR : concrètement, leur définition dépend des connaissances de l’homme de métier à la date pertinente, qui dépendent elles-mêmes des techniques disponibles à cette date. Les progrès en matière d’analyse d’un produit peuvent permettre de reconstituer un procédé de fabrication par ingénierie inverse. Les avancées de l’IA peuvent d’autre part permettre de définir un ou des procédés de synthèse possibles à partir de la structure du produit.

Francis Hagel a dit…

L’opinion préliminaire de la GCR est frappée au coin du bon sens. Si un produit a été mis sur le marché, il doit être présumé reproductible. Et d’autre part, pour évaluer les propriétés d’usage d’un produit, ce qui est le problème dans le cas du brevet en cause, la question de la reproductibilité ne se pose pas. A partir du moment où le produit est commercial, tout acquéreur a la possibilité d’explorer ses propriétés d’usage.

Sur un plan général, le rappel à l’ordre est le bienvenu. Il est très important que la GCR fasse prévaloir le respect de la CBE sur des décisions de chambres de recours qui s’en écartent en lui ajoutant des conditions, surtout quand il s’agit de la définition de l’état de la technique. Il y a eu un autre exemple, heureusement résolu, avec la jurisprudence T 172/03 qui avait exclu les informations non techniques de l’état de la technique. L’article 54(2) précise pourtant bien que l’état de la technique inclut non seulement les descriptions écrites ou orales, mais aussi les usages et tout autre moyen.

Une remarque au sujet des qualificatifs « reproductible » ou « analysable » utilisés par la GCR : concrètement, leur définition dépend des connaissances de l’homme de métier à la date pertinente, qui dépendent elles-mêmes des techniques disponibles à cette date. Les progrès en matière d’analyse d’un produit peuvent permettre de reconstituer un procédé de fabrication par ingénierie inverse. Les avancées de l’IA peuvent d’autre part permettre de définir un ou des procédés de synthèse possibles à partir de la structure du produit.

Anonyme a dit…

Quid du coca cola ? Composition brevetable ? Procédé de fabrication brevetable ?

franco-belge a dit…

Désolé de ne pas pouvoir suivre Francis Hagel:
Si un produit a été mis sur le marché, il ne doit pas être présumé reproductible. Cela n'empêche qu'il ne devrait théoriquement plus être brevetable si (et seulement si) il est démontré que c'est le même produit qui fait l'objet d'une demande de brevet. Ceci dit, à qui incomberait la charge de la preuve? Le procédé de production serait nouveau dans cette hypothèse, avec éventuellement un droit de possession personnelle antérieure pour celui qui avait mis le produit sur le marché.

Onurb a dit…

Est-ce compatible avec la pratique de l'OEB sur la suffisance de description qui refuse que l'on cite des produits sous des noms de marque sous prétexte que leur disponibilité n'est pas garantie ou leur composition n'est pas connue ?

franco-belge a dit…

Onurb, il faut se demander l'inverse, à savoir si la pratique de l'OEB sera compatible avec la décision si elle va dans le sens de l'opinion provisoire. Il ne sera peut-être pas suffisant d'écrire "le produit X disponible le xx.xx.xxxx auprès de la société XX" puisque la suffisance de description implique de pouvoir reproduire mon invention; il faudrait donc que la GCR admette explicitement que la disponibilité du produit suffit. Ce n'est pas gagné, car elle n'a pas l'air d'avoir conscience de toutes les implications de son opinion provisoire.

 
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