La Grande Chambre avait été saisie en 2019 de questions portant sur la brevetabilité de méthodes de simulation.
Dans l'affaire en question, la demande portait sur la simulation informatique d'une foule de piétons dans un environnement, utilisable dans le cadre d'un procédé de conception de lieux tels qu'un stade ou une gare. La Chambre était tentée de considérer que l'invention n'impliquait pas d'activité inventive au regard d'un ordinateur conventionnel, la simulation obtenue ne pouvant elle-même être considérée comme produisant un effet technique faute de lien direct avec la réalité physique. L'application de la décision T1227/05 (simulation de circuit) pouvait toutefois aboutir à une conclusion inverse.
La Grande Chambre répond aux questions posées de la manière suivante:
- Une simulation mise en oeuvre par ordinateur d'un système ou d'un procédé technique qui est revendiquée en tant que telle peut, dans le but d'évaluer l'activité inventive, résoudre un problème technique en produisant un effet technique allant au-delà de la mise en oeuvre de la simulation sur un ordinateur.
- Pour cette évaluation, il ne suffit pas que la simulation soit basée, en tout ou partie, sur des principes techniques qui sous-tendent le procédé ou le système simulé.
- Les réponses aux questions qui précèdent ne sont pas différentes si la simulation mise en oeuvre par ordinateur est revendiquée en tant que partie d'un procédé de conception, en particulier dans le but de vérifier une conception.
Une méthode de simulation revendiquée "en tant que telle" est une méthode ne comprenant que des entrées et sorties purement numériques (même si elles peuvent représenter des paramètres physiques), sans interaction avec la réalité physique externe.
Pour la Grande Chambre, ces méthodes de simulation doivent être évaluées selon les mêmes critères que toute autre invention mise en oeuvre par ordinateur, en suivant l'approche Comvik (T641/00).
La contribution des caractéristiques au caractère technique de l'invention doit être évaluée et tout effet technique "supplémentaire" de la simulation (allant au-delà des interactions normales avec l'ordinateur, au sens de T1173/97) peut être prise en compte.
L'effet technique supplémentaire n'est pas nécessairement lié aux données d'entrée (par exemple la mesure d'une valeur physique) ou de sortie (par exemple l'émission d'un signal pour le contrôle d'une machine), et un lien direct avec la réalité physique n'est pas forcément nécessaire dans tous les cas: les effets techniques supplémentaires peuvent par exemple se produire au sein de l'ordinateur.
Les principes sous-jacents, même techniques, ne contribuent néanmoins pas nécessairement au caractère technique de l'invention. Les modèles sous-jacents et les algorithmes peuvent contribuer au caractère technique lorsque, par exemple, ils constituent une raison pour adapter l'ordinateur ou son fonctionnement ou s'ils sont à la base d'un usage technique associé au résultat de la simulation, à condition que ces adaptations ou usages soient au moins implicitement spécifiés dans la revendication. Le caractère technique ne dépendra pas de la "qualité" du modèle.
Le calcul de donnés numériques reflétant le comportement physique d'un système modélisé ne pourra établir un caractère technique que de manière exceptionnelle (et ce même si le comportement calculé reflète de manière adéquate le comportement du système réel), par exemple si dans la revendication l'utilisation des données est limitée à un but technique.
Le critère établi par la décision T1227/05, selon lequel une simulation constitue un objectif suffisamment défini d'une méthode de simulation numérique dans la mesure où la méthode se limite fonctionnellement à cet objectif technique, ne devrait pas être considéré comme un critère universellement applicable.
Enfin, il importe peu que le procédé ou système simulé soit technique ou non.
20 comments:
Merci pour ce résumé en qqes paragraphes de cette décision de 68 pages...
Je vais la lire tranquillement, mais à première vue, une (la?) solution pour arriver à breveter une simulation en tant que telle est de prouver un effet sur l'ordinateur qui va au delà du fonctionnement "normal"...
J'ai comme l'impression qu'avec cette décision, la chambre n'aurait pas décidé dans le même sens pour la T625/11.
En effet, le fait que les chiffres représentent des paramètres physiques: pas technique
et quant au but technique de la simulation, est-il suffisamment spécifié dans la revendication?
@Anonyme de 13h40
j'ai aussi cette impression, mais je pense que rares sont les méthodes de simulation qui procurent un tel effet.
Pour les autres, il faudra se résigner à mettre des étapes techniques, par exemple une étape consistant à modifier le système technique simulé en fonction du résultat de la simulation.
Les vendeurs de logiciel de simulation seront simplement des fournisseurs de moyens.
ou alors je me trompe? (désolée, je suis chimiste)
selon ce sondage (https://www.ifop.com/publication/les-francaises-et-lorgasme/) 31% des Françaises simulent régulièrement. Beaucoup d'actes de contrefaçon en vue par conséquent.
Commentateur de 13:55, n'oubliez pas qu'il existe aussi beaucoup d'usage antérieur.
Je ne suis pas du domaine et je voudrais savoir si des gens ont compris ce qui se passe avec cette décision. C'est quoi, une révolution? Un revirement de jurisprudence ? Ou grosso modo la simple confirmation avec des mots compliqués qu'on continue à faire comme avant ?
Je ne vois pas de grand changement mais des précisions sur des points très spécifiques au demeurant. Les transpositions dans d'autres cas du même domaine me semblent finalement assez limitées à priori.
31 %, çà me paraît peu ...
Je ne pense pas qu'on puisse parler de révolution ni de revirement de jurisprudence car les décisions sur les simulations "en tant que telles" étaient finalement rares, probablement parce que les déposants coupaient court aux objections potentielles en déposant des revendications incluant des étapes indubitablement techniques. Le fait que la Grande Chambre applique l'approche Comvik à ces méthodes paraît tout à fait normal, puisqu'elles ne sont qu'un exemple de méthode mise en oeuvre par ordinateur.
Je pense que cette décision devrait rendre la vie plus difficile à ceux qui voudront plaider que le modèle physique sous-jacent, la nature physique des paramètres pris en compte ou modélisés, ou encore l'utilisation physique possible des résultats de la simulation contribuent au caractère technique.
Ce qui n'est pas clair pour moi est la manière dont l'utilisation finale devrait être spécifiée "au moins implicitement" pour contribuer au caractère technique de l'invention: suffira-t-il d'indiquer "méthode pour [utilisation sans un système technique]" ou faudra-t-il que l'utilisation soit une étape de la méthode (auquel cas on n'aurait plus une méthode "en tant que telle").
(Je précise que je ne suis pas du domaine non plus, tous éclaircissements par des spécialistes sont les bienvenus!)
Je pense que Laurent a très bien résumé la situation. Un fait acquis est cependant que l'approche COMVIK peut servir à décider en la matière. C'est au moins un résultat tangible.
Les considérations sur la recevabilité de la saisine soulevées par la GCR me semblent toutefois aussi intéressantes que la réponse aux questions qui ont été déclarées recevables.
La longue introduction de la GCR sur la recevabilité pourrait-elle être une sorte d'avertissement selon lequel toutes les saisines de la GCR pourraient ne pas être recevables ?
Je fais ici référence à la distinction entre les questions de droit et les questions de fait (§ 57-58), et aux réponses requises pour une décision en appel (§ 59-61) ainsi qu'aux considérations relatives à un "point de droit d'importance fondamentale" (§ 63-64).
Je retiens de cette décision que l'importance économique d'un petit nombre d'affaires n'entraîne pas nécessairement un point de droit d'importance fondamentale.
Une saisine à titre préventif pourrait probablement ne pas être admise à l'avenir. Les saisines devraient être réservées aux situations où il y a une divergence claire dans la jurisprudence.
Il semble également que la GCR se soit mis à réécrire les questions qui lui sont posées.
S’il s’agit de rendre la question plus compréhensible, pourquoi pas, mais s’il s’agit d’obtenir un certain résultat dans la réponse donnée par la GCR, je trouve cette pratique dangereuse et pas du tout souhaitable. Je me réfère ici à une célèbre interprétation "dynamique"...
Si une question n'est pas claire aux yeux de la GCR, alors elle ne doit pas être admise. Cela s'applique à la question 2A dans la présente saisine.
La GCR ajoute en outre que toute question peut rester sans réponse dans la mesure où elle dépasse le besoin réel de clarification, cf. § 68.
Ma question est donc la suivante : une saisine du type "G 1/21", base légale des PO sous forme de visioconférence, a-t-elle une chance d'être déclarée recevable?
Un commentaire comparable a été publié sous mon nom sur LinkedIn.
Pour répondre à la question de Laurent, un avis
Une méthode pour [utilisation dans un système technique]
L'interpretation d'un tel terme dans une revendication doit etre interprété comme une étape supplémentaire de la méthode (voir directives F-IV 4.13.3 deuxieme paragraphe, derniere phrase).
Il n'y a donc pas besoin de rajouter une etape à la fin de la methode décrivant l'étape d'utilisation (par exemple, en IA, l' étape d'inférence n'aurait pas besoin d'etre rajoutée explicitement si la designation "pour" est deja présente).
Attention toutefois aux revendications dans les autres categories où la presence de l'étape d'utilisation pourrait etre rendue non claire voire non limitative selon la forumlation choisie [apparatus for GL F-IV 4.13.1] [means for GL, GL 4.13.2] [reference GL F-IV 4.14 definition par référence à un autre objet (l'apparatus effectuant l'utilisation)].
oui, je comprends qu'un procédé pour fabriquer un produit X comporte implicitement l'obtention de ce produit. Mais dans un tel cas la revendication comprendra des étapes techniques. Si l'on dit "procédé pour fondre de l'acier, comprenant une étape de chauffage dans une cuve à 1500°C", on comprend bien que le produit obtenu est bien de l'acier fondu, et pas un autre matériau.
Mais dans une revendication du type "méthode de simulation [...] pour commander un procédé industriel X" qui ne contiendrait explicitement que des étapes mises en oeuvre par ordinateur, la situation me paraît moins évidente.
Par exemple imaginons que l'on revendique une méthode de simulation pour optimiser un procédé de fusion d'acier, dans laquelle on calcule un traitement thermique optimal par des étapes [...].
Est-ce que le résultat de la méthode est un ensemble de chiffres représentant le traitement thermique optimal, ou est-ce que le résultat est l'application concrète de ce traitement dans un procédé de fusion d'acier?
Il ne s'agit plus d'une question de brevetabilité, mais d'une question de clarté.
Pour moi une "méthode de simulation pour [...] comprenant des étapes de simulations" et une "méthode pour [...] comprenant des étapes de simulations " ont des champs de protections différents.
Le premier cas pourrait en effet etre non-clair car il y a ambiguite sur les etapes qui composent cette methode, comme vous l'avez souligné, le "pour" pourrait bien être compris comme alors un simple objectif de la simulation et non comme une étape propre de la revendication.
Le fameux point G(1/19)
Bonsoir à tous,
Désolé pour mon arrivée tardive. La sortie de G1/19 n'arrive pas au bon moment de l'année pour moi... Et c'est mon sujet numéro 1 depuis. Je travaille justement chez le premier éditeur de logiciel français et second européen: Dassault Systèmes Nous éditons des logiciels de simulation et de CAO notamment. Il y a tellement de choses à commenter ici maintenant que je ne sais par où commencer.
Commençons par mon opinion générale: G1/19 n'est ni une révolution, ni une évolution, ni un revirement, mais heureusement pas non plus une régression. On y trouve principalement la confirmation de la jurisprudence établie dans la matière mais aussi pas mal de pépites pour les praticiens dans les CII (Computer-Implemented Inventions). Il y a plusieurs passages de la décision qui montrent clairement que la GCR souhaite maintenir une ouverture dans l'évolution des critères de brevetabilité en fonction du progrès technique. De même, elle atténue le caractère extrême de certaine décision comme T1227/05 (Infineon) en précisant qu'elle ne constitue pas un règle générale applicable mais pris dans un contexte particulier rare.
Réponse à DX Thomas (déjà donnée dans LinkedIn):
Il se révèle parfois utile de reformuler les questions pour clarifier ou faire avancer les choses. Par exemple, la question de lien direct avec la réalité physique était déjà posée dans la question 3 de G3/08 qui a été comme irrecevable. Toutefois, la GCR y répond clairement que ce lien n'est pas nécessaire. La juriprudence n'ayant pas développé cet aspect dans la décennie qui a suivi, on retrouve la question. Une reformulation adéquate aurait permis de faire gagner des années et est donc parfois utile, mais aussi parfois dangereux.
"Par exemple imaginons que l'on revendique une méthode de simulation pour optimiser un procédé de fusion d'acier, dans laquelle on calcule un traitement thermique optimal par des étapes [...].
Est-ce que le résultat de la méthode est un ensemble de chiffres représentant le traitement thermique optimal, ou est-ce que le résultat est l'application concrète de ce traitement dans un procédé de fusion d'acier?"
-> Le résultat de la méthode est le procédé de fusion de l'acier optimisé/amélioré. Un ensemble de chiffre serait considéré comme abstrait et non technique.
"Je vais la lire tranquillement, mais à première vue, une (la?) solution pour arriver à breveter une simulation en tant que telle est de prouver un effet sur l'ordinateur qui va au delà du fonctionnement "normal"..."
Ce n'est qu'une des approches possibles. Il y a souvent pas mal d'ingrédients à rassembler: un objectif technique, des caractéristiques contribuant au caractère technique, toutes les conditions de brevetabilité remplies etc.
La notion "d'effet technique supplémentaire" a été développé dans un seul contexte quasiment: la justification des revendications de type "produit programme d'ordinateur". Jusqu'à maintenant les examinateurs pouvaient souvent rejeter cette approche au motif qu'elle ne s'applique qu'au produit. Or, cette notion est maintenant étendue à la simulation et peut probablement être développé plus largement. Nous disposons donc d'une nouvelle ligne d'argumentation!
"j'ai aussi cette impression, mais je pense que rares sont les méthodes de simulation qui procurent un tel effet. Pour les autres, il faudra se résigner à mettre des étapes techniques, par exemple une étape consistant à modifier le système technique simulé en fonction du résultat de la simulation. Les vendeurs de logiciel de simulation seront simplement des fournisseurs de moyens. ou alors je me trompe? (désolée, je suis chimiste)"
Ma réponse:
Les méthodes inventées chez nous procurent bien de tels effets. Par exemple: une simulation beaucoup rapide et proche de la réalité, ce qui est intéressant industriellement parlant. Les éditeurs de logiciel procurent des méthodes de simulation procurant de nombreux avantages techniques. On ne raisonne pas vraiment en terme de moyens car nous sommes dans le domaine du logiciel lequel fait partie des immatériels.
"Ce qui n'est pas clair pour moi est la manière dont l'utilisation finale devrait être spécifiée "au moins implicitement" pour contribuer au caractère technique de l'invention: suffira-t-il d'indiquer "méthode pour [utilisation sans un système technique]" ou faudra-t-il que l'utilisation soit une étape de la méthode (auquel cas on n'aurait plus une méthode "en tant que telle"). (Je précise que je ne suis pas du domaine non plus, tous éclaircissements par des spécialistes sont les bienvenus!)"
Laurent, j'arrive!
Je ne suis pas certain d'avoir tout compris de ta question mais vais tenter de répondre avec ma compréhension. La décision T1227/05 (Infineon) impose la définition d'un objectif technique suffisamment dans la revendication (limitation à une utilisation pratique en quelque sorte). En effet, une simulation plus rapide et précise est jugée comme non spécifique et donc insuffisamment claire au sens de l'article 84. Je trouve inacceptable cette décision sur une application spécifique d'une simulation. Elle est souvent érigé comme une quasi-condition de brevetabilité alors qu'il s'agit d'une condition de clarté. On dit de partout que l'on ne doit surtout pas mélanger les conditions de brevetabilité alors pourquoi mélanger avec la condition de clarté qui n'est justement pas une condition de brevetabilité?!
Conséquence, on oblige notre simulation d'écoulement d'air à une utilisation spécifique alors qu'elle est applicable à plein de domaines: aéronautique, automobile, éolienne, canalisation etc. Ainsi, des simulations remplissant toutes les conditions de brevetabilité mais non spécifique sont rejetées. Absurdité. D'autant plus qu'il ne faut pas nous faire croire que soudainement, en précisant l'application, c'est plus clair...
"selon ce sondage (https://www.ifop.com/publication/les-francaises-et-lorgasme/) 31% des Françaises simulent régulièrement. Beaucoup d'actes de contrefaçon en vue par conséquent."
Ma réponse:
C'est toujours trop peu! Nous aimerions bien que tout le monde simule, hommes et femmes. Pour cela, nous inventons régulièrement de nouvelles méthodes de simulation pour les aider.
Mais nous sommes également éditeur de logiciel de Conception Assistée par Ordinateur (CAO). Donc parallèlement (ou alternativement) à la simulation, nous assistons hommes et femmes à "concevoir" avec ou sans ordinateur.
;-)
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