Dans la présente affaire, la Titulaire a été prise dans un piège 123(2)/83.
Le brevet avait pour objet un film multicouche orienté par étirage possédant une énergie de choc d'au moins 1,5 Joule à une épaisseur de 50µm à -10°C.
La requête principale précisait que l'énergie de choc était mesurée selon la norme ASTM D3763-86.
Or, la demande telle que déposée indiquait que l'énergie de choc était mesurée selon cette norme en utilisant l'appareil Drop-Weight Tester RTD-5000 de Rheometrics, Inc.
Il ne fait pas de doute que la norme peut en principe être mise en oeuvre au moyen de différents appareils. Ce qui importe au regard de l'article 123(2) CBE est toutefois de savoir si la personne du métier comprendrait sans ambiguïté qu'il n'est pas obligatoire d'utiliser l'appareil cité.
Or, la norme en question indique que les instructions de l'appareil spécifiquement utilisé doivent être suivies et exige que le type d'équipement soit indiqué dans le rapport d'essai. Elle ajoute en outre, dans la partie "répétabilité" qu'en comparant 2 valeurs moyennes obtenues par différents opérateurs utilisant différents équipements à des jours différents, les moyennes ne devraient pas être considérées équivalentes si elles diffèrent de plus qu'une valeur Ir (NDLR : =2,83 * Sr, Sr étant l'écart-type intra-laboratoire de la moyenne).
Il était donc manifeste pour la personne du métier qu'indiquer l'appareil assure la reproductibilité de la méthode indique dans le rapport d'essai. Si tous les appareils donnaient le même résultat, une telle indication ne serait pas nécessaire.
La personne du métier ne déduirait pas de la demande, compte tenu de ses connaissances générales, qu'il n'est pas obligatoire d'utiliser l'appareil cité, de sorte que son omission est contraire à l'article 123(2) CBE.
Dans la requête subsidiaire, la Titulaire avait ajouté l'appareil.
La Chambre considère l'invention ainsi définie comme insuffisamment décrite. Elle accepte que l'appareil était disponible à la date effective du brevet. Mais une invention doit être réalisable pendant toute la vie du brevet. Or l'appareil en question n'est plus disponible (T1293/13).
Les exigences de l'article 83 CBE ne sont donc pas remplies.
Sur la question de la preuve, la Titulaire argumentait qu'il n'était pas prouvé qu'il n'existait plus aucun appareil de ce type sur la planète. Etant donné qu'elle avait auparavant écrit que l'appareil n'était plus disponible, la Chambre considère que la charge de la preuve n'est plus sur l'Opposante, mais sur la Titulaire, qui doit prouver qu'un tel appareil existe encore.
Décision T1714/15
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11 comments:
Cette décision me semble en totale contradiction avec la ligne de jurisprudence maintenant dominante selon laquelle une incertitude sur la mesure du paramètre est une question de clarté et non de suffisance.
Le fait que l'appareil ne soit plus disponible pose peut-être le problème de la preuve de la contrefaçon (mais je pense qu'un juge pourrait se prononcer sur la base d'une mesure faite avec un autre appareil), mais en quoi cela empêche-t-il de fabriquer le produit revendiqué?
Je n'ai pas lu le brevet, mais s'il donne des exemples de matériaux qui ont cette énergie de choc ou des méthodes de fabrication (ce qui ne semble pas être contesté), où est le problème?
Pour Achille : je pense que c'est le fait de mettre la norme et la machine dans la R1 qui pose pb A83. Une fois que la norme est dans la R1, et qu'il n'est pas possible de reproduire la mesure de la norme (car pas de machine), alors la R1 n'est pas reproductible. Il n'y aurait pas eu de norme ou de machine dans la R1, ce serait resté sur A84 (je crois).
Je n'y vois pas de contradiction. Que ce soit aussi une question de clarté n'a pas d'importance. Le titulaire a rendu obligatoire l'utilisation de l'appareil pour mesurer le paramètre. Le paramètre, tel que mesuré avec l'appareil en question, est devenu une caractéristique essentielle de l'invention.
Non, la norme est reproductible.
Il a été obligé d'ajouter l'appareil pour des raisons de 123(2). Si la description avait simplement dit: "on mesure selon telle norme" il n'y aurait eu aucun problème d'insuffisance, simplement de clarté, mais ça n'aurait pas pu être soulevé en opposition.
Donc en étant plus précis on devient insuffisamment décrit.
@ l'anonyme de 10:56, la jurisprudence donc je parle nous dit que lorsque la méthode de mesure est insuffisamment décrite, c'est un problème de clarté, mais pas d'insuffisance de description. Donc il y a bien contradiction. D'un côté on nous dit que même si on ne sait pas bien mesurer un paramètre cela crée juste une incertitude sur la portée mais n'empêche pas de réaliser l'invention, et ici on nous dit que comme l'appareil n'existe plus aujourd'hui on ne peut pas réaliser l'invention. Mais d'autres appareils existent, qui peuvent mesurer ce paramètre, le seul problème étant qu'ils peuvent donner une valeur un peu différente.
C'est écrit dans le résumé de la décision. Dans le cas d'espèce l'utilisation de l'appareil est obligatoire. Fin de l'histoire. Que d'autres appareils aient donné des résultats identiques ou comparables n'est pas déterminant.
oui, j'ai lu et compris la décision, ça ne m'empêche pas de ne pas être d'accord et de trouver une contradiction avec d'autres décisions.
En outre l'utilisation de l'appareil n'est pas obligatoire pour fabriquer le produit revendiqué, simplement pour vérifier si le paramètre est rempli ou pas, donc pour vérifier si l'on est dans le "domaine interdit" ou pas. Je maintiens qu'il y a contradiction avec beaucoup de décisions récentes.
Il existe en fait un problème de cohérence dans la jurisprudence.
Pour certaines chambres de recours le fait de ne pas pouvoir mesurer un paramètre est effectivement un problème de clarté qui ne peut donc pas être soulevé en opposition, G 3/14 oblige.
Pour d’autres, le fait de ne pas pouvoir mesurer un paramètre est un problème de suffisance de description qui peut bel et bien être soulevé en opposition et aboutir à la révocation d’un brevet.
Je n’irai pas jusqu’à dire que certaines chambres de recours n’ont pas trop envie de se fouler, mais une impression de malaise subsiste. Tout dépend de la chambre à laquelle les parties ont à faire. Et la loterie devant un tribunal passe mal.
Il y a, à mon humble avis, un moyen simple pour distinguer si l’on est en présence d’un problème de suffisance ou non. S’il manque des informations nécessaires pour pouvoir mesurer un paramètre et que les informations ne peuvent être rajoutées qu’en contrevenant aux dispositions de l’Art 123(2), alors il y a insuffisance d’exposé.
Dans le cas d’espèce, « la norme en question indique que les instructions de l'appareil spécifiquement utilisé doivent être suivies et exige que le type d'équipement soit indiqué dans le rapport d'essai ».
Le premier problème était donc un problème d’Art 123(2), car l’appareil n’était pas mentionné dans la revendication mais en rajoutant l’appareil, il y avait un problème de suffisance. Mais cet appareil n’existait plus, d’où le problème de suffisance.
La nécessité que l’appareil doit exister sur toute la vie du brevet est comparable au fait de mentionner une marque dans une revendication. Il n’est pas certain que le produit proposé sous ladite marque soit disponible sur toute la vie du brevet, d’où un problème de suffisance.
Si la marque sert simplement à illustrer un composant pleinement défini dans la description, alors le fait d’insérer une marque dans la description ne pose pas de problème. Si seule la marque définit un composant, alors pour moi il y a un problème de suffisance car il n’est pas possible de rajouter cette information après le dépôt.
Dans T 797/14 le fait de définir un composant par une marque a abouti à une insuffisance de description. Dans T 486/14 le fait d’insérer une marque aboutissait à un manque de clarté.
Pour les deux chambres, il n’est pas garanti que le produit défini par la marque soit disponible sur toute la vie du brevet. Comprenne qui pourra.
D'expérience, la plupart des normes exigent des rapports d'essais très détaillés (modèle de l'appareil, âge du capitaine...), ce qui en veut pas forcément dire que les différentes machines donnent des résultats très différents.
Et quand bien même les résultats seraient différents, dans cette décision les 2 méthodes existantes donnaient des valeurs radicalement différentes, et la chambre a tout de même jugé que ce n'était qu'un problème de clarté.
Bonjour, on peut faire parallèle avec le dépôt material biologique (Rule 31-34 EPC) qui est une condition pour Art.83 EPC. Le material doit être accessible lors de toute la durée du brevet. Si le material meurt ou cesse d'être accessible il faut faire un new deposit (Rule 34). C'est un peu la même situation là.
Presque la même chose mais pas tout à fait car là on parle d'un paramètre. Je dirais que toute la question est de savoir si l'appareil qu'on utilise pour mesurer le paramètre fait ou ne fait pas partie de la définition de l'invention. Dans cette décision la chambre a jugé que oui il en fait partie, et comme l'appareil n'existe pas c'est un problème de suffisance.
Et c'est là toute l’ambiguïté de la décision!
Si une, voire deux méthodes sont divulguées dans la description toute ambiguïté est levée. Il n'y a alors pas de problème de suffisance.
Si aucune méthode n'est divulguée dans la description, alors il y a une ambiguïté qui ne peut être résolue que par la définition d'une méthode de mesure d'un paramètre. Rajouter la méthode dans la description contreviendrait à l'Art 123(2). Dès lors il s'agit d'un problème de suffisance et non de clarté.
La tâche confiée à l'OEB est de délivrer des brevets clairs pour lesquels les tiers savent à quoi s'en tenir et pas de délivrer laissant les tiers dans l'expectative.
Ce point de vue n'est pas toujours présent dans les divisions de première instance et n'a apparemment pas encore été découvert par les chambres de recours. Dans cette mesure G 3/14 nécessite un correctif.
Renvoyer propriétaire et opposant dos à dos n'est pas une solution.
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