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mercredi 28 décembre 2022

T1473/19: l'article 69 CBE et l'article 1 de son protocole interprétatif doivent être utilisés

Nous finissons l'année 2022 avec une décision importante concernant l'interprétation des revendications.

La revendication 1 devait être interprétée pour apprécier sa conformité aux articles 123(2) et (3) CBE et les parties étaient en désaccord sur le fait qu'il faille utiliser ou non la description à cette fin.

La Chambre note que la jurisprudence n'est pas unanime quant à la question de savoir si l'interprétation des revendications doit prendre en compte ou non la description et les dessins. Selon une première ligne, les revendications doivent être interprétées en prenant en compte la totalité de la divulgation du brevet (T2365/15, T1167/13, T2773/18). Une autre ligne de décisions considère que la description et les dessins ne peuvent être utilisés que pour interpréter des caractéristiques ambiguës (T197/10, T1514/14).

Selon certaines décisions, l'article 69 CBE et son protocole interprétatif ne peuvent servir qu'à déterminer l'étendue de la protection, et sont limités, pour ce qui concerne l'OEB, à l'appréciation de la conformité à l'article 123(3) CBE (T1279/04). La base juridique à appliquer en examen et en opposition serait l'article 84 CBE, qui irait dans le sens d'une interprétation littérale des termes.

La présente Chambre considère en revanche que le but de l'article 84 CBE est de permettre de déterminer l'étendue de la protection selon l'article 69 CBE. Il existe un lien étroit entre la détermination de l'objet de la protection, utile dans le contexte des articles 54, 56, 83 et 123(2) CBE et la détermination de l'étendue de la protection selon l'article 69 CBE. L'étendue de la protection comprend en premier lieu les modes de réalisation qui reprennent les caractéristiques revendiquées, donc qui correspondent à l'objet de la protection, puis en second lieu les modes de réalisation qui sont équivalents, lesquels ne correspondent pas à l'objet de l'invention ou à l'invention au sens des articles 54, 56, 83 et 123(2) CBE. La question des équivalents se pose essentiellement dans les actions en contrefaçon.

Quel que soit le contexte, l'objet d'une revendication doit être déterminé d'une manière uniforme et cohérente. La Chambre considère que l'interprétation doit se faire dans le contexte de la revendication, et non en lui donnant sons sens le plus large indépendamment du contexte. Dans ce cadre, la description et les dessins donnent des informations sur le contexte. 

En conclusion, la Chambre considère que l'on doit se baser sur l'article 69 CBE et l'article 1 de son protocole interprétatif pour déterminer l'objet revendiqué dans les procédures devant l'OEB.

On ne peut toutefois en déduire que la description aurait le même poids que les revendications, car seules les revendications déterminent l'étendue de la protection. La primauté des revendications limite donc la mesure selon laquelle la signification d'une caractéristique peut être affectée par la description et les dessins. Par exemple, des caractéristiques qui ne figurent que dans la description ne peuvent être considérées comme figurant aussi dans la revendication. De même, l'utilisation de la description ne devrait pas donner à une caractéristique un sens qui serait totalement incompatible avec son sens ordinaire. Il y a donc des limites au principe selon lequel la description peut servir de dictionnaire.

Enfin, l'interprétation d'une revendication est une question de droit qui doit être résolue par l'organe décisionnaire, et non par des experts linguistiques ou techniques. Elle implique toutefois une appréciation des faits linguistiques et techniques, lesquels peuvent être étayés par des preuves soumises par les parties.

En l'espèce, les parties présentaient deux interprétations possibles pour la caractéristique "said body having a free inner bore holding a capacitive data link". L'Opposante en déduisait que a) l'alésage contenait une liaison de données capacitive, tandis que la Titulaire prétendait b) que c'était le corps qui contenait cette liaison. 

La Chambre considère qu'à la lecture de la revendication, la personne du métier arriverait à l'interprétation a), laquelle est techniquement sensée et plausible. La Titulaire argumentait que selon le paragraphe [0024] c'est le corps qui contient la liaison, mais pour la Chambre, le fait qu'une certaine interprétation ne figure pas dans la description ne s'oppose pas à cette interprétation. La description n'exclut pas cette interprétation a). En outre, il n'existe pas de principe selon lequel une revendication devrait être interprétée de manière à la rendre conforme à l'article 123(2) CBE. Par conséquent, la description ne contient rien qui rende l'interprétation a) dépourvue de sens ou incompatible avec l'invention revendiquée. La simple mention d'un exemple comprenant une liaison qui ne soit pas selon l'interprétation a) n'est pas suffisante pour appliquer l'interprétation b). L'affaire T131/15 est différente en ce sens qu'elle avait rejeté une interprétation qui, prise littéralement et isolément, aurait exclu la totalité des modes de réalisation décrits.


En conséquence, la revendication ne satisfait pas les exigences de l'article 123(2) CBE, car la demande telle que déposée n'enseigne pas d'alésage contenant la liaison. Les requêtes visant à "corriger" le libellé de la revendication pour le rendre conforme à l'interprétation b) ne respectent pas l'article 123(3) CBE.

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16 comments:

Anonyme a dit…

Révoqué pour une virgule qui manque... Le retour de la virgule qui tue!

Anonyme a dit…

Décision sévère

francis hagel a dit…

Ce qui ressort, c'est la confusion qui résulte de cette réécriture de la CBE, avec l'article 69 mis à toutes les sauces, et l'impression que l'OEB se considère comme compétent pour influencer l'interprétation des revendications par les tribunaux nationaux (et demain la JUB). La sagesse est de rester sur la position traditionnelle qui limite l'application de l'article 69 à la conformité avec l'article 123(3).
L'idée que l'interprétation des revendications devrait être la même quel que soit le contexte est typique du dogmatisme trop courant à l'OEB. Il est clair au contraire que l'interprétation est très tributaire du contexte, en particulier l'interprétation par un tribunal axée sur les termes spécifiques en débat entre les parties n'a pas de raison d'être alignée sur le principe d'interprétation qui doit prévaloir pendant l'examen d'une demande.

Mandataire extérieur a dit…

La décision est sévère, mais elle ne me choque pas. Telle que rédigée, la caractéristique en jeu n'est pas du tout claire – à la limite du "insolubly ambiguous" américain.

Bonus : pourquoi le brevet a-t-il été délivré avec une revendication 1 manquant si gravement de clarté ? La division d'examen n'aurait-elle pas dû soulever une objection au titre de l'article 84 CBE ? Eh bien non : c'est elle qui a proposé le texte de la revendication 1 (notification R71(3) CBE du 25/10/2016) ! Après quoi le déposant a donné son accord. Tant pis : la responsabilité d'établir le texte du brevet incombe au déposant, la jurisprudence le répète bien assez.

En revanche, les mandataires avisés gagneront à regarder ce dossier, pour se rappeler qu'ils se doivent d'être très critiques (en tout cas plus que le mandataire du déposant !) envers toute modification proposée dans une notification R71(3) CBE...

Anonyme a dit…

+1 @ mandataire extérieur
Aie Aie Aie, l'OEB a effectivement lui même proposé la modification en 2016 qui conduira à la révocation en 2022...

La R1 délivrée manque effectivement de clarté, et pourtant, l'annexe 2906 à la R71(3) contient au §10.1 une R1 qui aurait peut être fait l'affaire (a rotary joint body having a free inner bore et a capacitive data link sont des éléments distincts d'une liste, c'est beaucoup mieux que le druckexamplar pourtant envoyé en même temps...)

Las, c'est le druck qui fait foi, et comme le dit notre mandataire extérieur, le demandeur a donné son consentement... L'affaire était pliée depuis 2016.

Franco-belge a dit…

Encore une Chambre qui me semble bien arrogante. Quand les Chambres auront-elles l'humilité de demander à la Grande Chambre de décider quand la jurisprudence montre clairement deux courants divergents?

@Mandataire extérieur: les statistiques de l'OEB montrent qu'une demande sur quatre arrive à la délivrance avec un problème*, mais tout va bien madame la marquise. Et cela ne va pas s'améliorer avec les nouvelles méthodes de travail, et des divisions qui ne se réunissent plus que par zoom, si tant est qu'elles se réuniront encore.
*Quality report 2021, 4.2.2: "In 2021, Directorate Quality Audit (DQA) measured that the compliance rate of proposals to grant remained around 75.4% with a ±2.9% confidence interval."

BOF a dit…

Bonsoir,

Sujet probablement éternel qui, bien que clairement identifié, n'avait pu faire l'objet d'une solution claire lors de la négociation internationale de la CBE, d'où la nécessité du "protocole interprétatif" de l'art 69, pour jeter un peu de brouillard.

A chacun ses arguments. Si j'ai bien compris, la décision de la Chambre de Recours dit que c'est à "l'organe décisionnaire" (elle même donc?) qu'il revient de lever le brouillard dans un cas précis. Tout est donc question de météo!

Un vétéran

francis hagel a dit…

@Mandataire extérieur

Merci pour avoir mis le doigt sur ce point très important. La Division d'examen étant l'auteur de l'amendement à l'origine de la révocation dans le contexte de la notification 71(3), on peut se poser la question de la responsabilité de l'OEB dans la perte du brevet (même si l'amendement n'a pas été contesté), et se demander si le breveté ne pourrait pas attaquer l'OEB pour obtenir un dédommagement de son préjudice au titre de l'article 9(2) CBE.

Même si une telle action paraît vouée à l'échec (le déposant n'ayant pas contesté l'amendement), elle aurait un impact embarrassant pour l'OEB en termes d'image.

J'ai rencontré récemment ce type de situation avec la suppression dans la revendication du terme "sensiblement" (p.ex. dans "sensiblement vertical"), comme préconisé dans les directives. Résultat : problème 123(2), car il n'y avait pas de support dans la description pour une géométrie strictement verticale.

Les directives concernant l'article 84 devrait mettre en garde de façon vigoureuse le risque de problème 123(2) pour chaque amendement introduit ou proposé par la Division d'examen.

Anonyme a dit…

C'est un peu facile de dire que c'est la faute de l'OEB. Tout bon mandataire sait bien qu'un amendement proposé par un examinateur, même s'il permet une délivrance rapide, peut plus tard entrainer la révocation. Au final le seul responsable est le demandeur. C'est élémentaire. On apprend ça dans toutes les écoles d'ingénieurs brevets.

Brian Cronin a dit…

This decision confirms my opinion that the UPC interpretation of claims under Article 69 will follow the standard EPO approach that clear claims cannot be limited by statements in the description. This was confirmed by the decision of the Swiss Supreme Court in the pipe clamp case whereas the case law from DE and FR that a clear claim could be limited by the description will not be followed by the UPC.

For the addition of subject matter, the outstanding question is : to what extent a claim amendment that simply limits the claim scope can add subject matter to the content of the description?

I'm writing a book on Patent Exclusivity & Freedom. It should come out in a couple of months. I'm going to review my draft text in the light of this decision. The problem is that with every decision that comes in, there is a revised interpretation.

The patent game before the Boards is like a football match where every time the referee blows his whistle and sends a player of the field, he interprets the offside rule in a different way. When the next match/decision comes and he blows his whistle again, he comes up without a further interpretation of the offside rule.

FIFA have a standard offside Rule and when the referee blows the whistle, they check the action with a video camera. In my opinion, the EPO could usefully take a lesson from FIFA. I'm going to discuss this in my book.

Francis Hagel a dit…

@Anonyme 30 décembre 2022

Votre référence à l’enseignement que vous avez reçu est curieuse, car il y a généralement loin de la théorie à la pratique. Le droit évolue constamment, de même que l’attitude de l’OEB vis-à-vis des déposants et utilisateurs (souvent en bien). Et il y a inévitablement des angles morts dans l’enseignement.

Prenez la question de la rédaction des demandes de brevet. En tant que responsable PI d’entreprise, j’ai eu régulièrement à convaincre les CPI à qui je sous-traitais des dossiers qu’il fallait s’écarter des schémas stéréotypés qui leur avaient été inculqués au cours de leur formation, afin de prendre en compte les aspects stratégiques liés à chaque contexte.

Pour en revenir à la responsabilité de l’OEB, si on met de côté son aspect juridique, la question se pose pour l’OEB en interne, au regard de ses propres exigences de qualité quant à la validité d’un brevet délivré. Il y a un vrai problème de qualité quand des modifications aux revendications et/ou à la description introduites par la division d’examen au stade de la 71(3) sont contraires à 123(2). Au cours des dernières réunions SACEPO sur la qualité, il m’a semblé que les représentants de l’OEB n’y étaient pas insensibles.

Je profite de l’occasion pour souhaiter une très belle année 2023 à Laurent Teyssèdre ainsi qu’à tous les contributeurs !

francis hagel a dit…

Dear Mr Cronin,

A few thoughts as followup on your comments.

Interpretation of the claims by the EPO and by national courts during litigation relates to different contexts. The interpretation of national courts is focused on the meaning of a term of a claim over which the parties disagree and is typically decisive for the outcome, like the Markmann hearings in the US. This is interpretation in concreto. Whereas the EPO has no such focus (except sometimes in opposition proceedings) and interpretation if any takes place in the abstract, with the risk of dogmatism. Therefore it may not be so easy or even desirable to define a one-size-fits-all rule, supposedly relevant to all contexts.

As to new matter, the strict approach of the EPO may make a claim limitation new matter. Take this example : I have recently come across the case of a granted patent in which the examining division has deleted « substantially » in « substantially vertical » as part of the 71(3) notification, pursuant to Guideline F-IV 4.7. Bad luck for the applicant, the description did not disclose a strictly vertical geometry and the claim limitation is new matter.

As to the amendments to the claims and/or the description, the risk of new matter is pervasive. UK courts find new matter whenever an amendment is such as to alter their construction of the claims, compared with the construction based on the original application. For example, the addition of a comment on the prior art was considered new matter in a UK decision. The deletion of unclaimed embodiments as required under the current EPO practice may be another example.

This is why I would suggest that the EPO Guidelines regarding Article 84 be complemented with a preliminary robust warning that the examining divisions must make sure amendments they introduce or propose do not fall prey to a new matter objection.

Anonyme a dit…

@Francis Hagel

Personnellement, quand un responsable PI me suggère que, pour des raisons stratégiques, il préférerait protéger la terre entière, je m'exécute sans broncher. Le client est roi ! Evidemment, après avoir reçu l'opinion écrite de l'OEB, il me suggère de modifier les revendications dans un sens qui (bizarre, comme c'est bizarre) se rapproche très fortement de ma proposition initiale. Mais, il est content, c'est le principal.

Francis Hagel a dit…

@Anonyme
Je suis entièrement d’accord avec votre remarque sur les risques de vouloir « protéger la terre entière ». Identifier systématiquement ce qui semble offrir la protection la plus large à ce qui est optimal pour les intérêts du déposant, c’est exactement ce que j’appelle une position stéréotypée. Je suis donc aux antipodes du responsable PI dont vous parlez.

Pour être plus précis, je considère important de cibler la rédaction d’une demande - revendications et description - sur le domaine d’application qui est celui du déposant. J’ai préconisé cette approche dans un article que j’ai publié il y a quelques années sur la « rédaction stratégique » des demandes de brevet. Je vous l’enverrai si cela vous intéresse (mon adresse francishagel@orange.fr). Pour votre information, le sujet a fait l’objet de conférences de l’APEB fin 2021 que j’ai organisées avec un de vos confrères, François Legrand.

Anonyme a dit…

@Francis hagel

Merci Monsieur Hagel pour votre proposition. Je serai en effet intéressé par votre article.

Je vous communique mon adresse email (daviddulux@hotmail.com).

Bien cordialement. David D.

Brian Cronin a dit…

@Francis hagel.
Dear Mr Hagel, Thank you for your comments. I've started talking to some friends about the upcoming book "Patent Exclusivity & Freedom"-A personal Viewpoint". What I notice is that everyone in the profession has their own point of view. I'm sending draft of Chapter 1&2 to to my friends who are interested so they can compare their view with mine. If the profession keeps addressing the EPO with 2000 different points of view, we will never convince them to correct any erroneous practice. Now that the UPC is coming along we need to address the EPO with a clear and unanimous view on a few principles. If we don't do this now , various continued erroneous interpretations EPC/UPC will be perpetrated and the interpretation of the EPC will become an even worse mess than up to now.

The last thing I would want to do is for you to change your viewpoint. However, you may want to align your viewpoint in agreement with a few common principles. Then we can address the EPO with a concensus view.

If you are interested in receiving a copy of the first chapters outlining my viewpoint, please ask for one by emailing me at : brianhjcronin@me.com

Best wishes for the New Year, hoping that in the new year we will be able to initiate a few necessary changes to the interpretation of the EPC.

brianhjcronin

 
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