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jeudi 19 décembre 2024

T1522/20: la requête a été maintenue

La requête subsidiaire (RS) 4 était identique à la RS5 déposée en première instance mais non discutée dans la décision de la division d'opposition car cette dernière a faire droit à une requête de rang supérieur.

Dans un tel cas (carry-over request) il convient donc d'examiner si cette requête avait été valablement déposée et maintenue en première instance. A ce titre, l'Opposante argumentait que la Titulaire n'avait pas expressément déclaré le maintien de cette requête à la fin de la procédure orale. 

S'il est vrai que dans la décision T246/22 il est fait référence à une telle déclaration explicite, cela n'est pas une condition essentielle. En l'espèce, le maintien des requêtes a été confirmé au début de la procédure orale, et en l'absence de retrait subséquent, la Chambre considère qu'elle a été maintenue.

Cette décision fait aussi application des décisions G1/22 et G2/22. L'Opposante contestait la validité de la priorité au motif que la cession du droit de priorité attaché à la demande prioritaire P1 (demande provisoire américaine déposée au nom des inventeurs) n'avait pas été prouvée. La Chambre rappelle que la partie contestant le droit à la priorité doit soumettre des éléments factuels sérieux et pas seulement soulever des doutes spéculatifs. 

La priorité n'est toutefois pas valable car la demande intercalaire E3 (publiée après le dépôt de P1) a été déposée par le même déposant que le brevet en cause et décrit l'objet revendiqué. La demande P1 n'est donc pas la première demande au sens de l'article 87(1) CBE, et E3 appartient donc à l'état de la technique selon l'article 54(2) CBE.


Décision T1522/20

mardi 17 décembre 2024

T2597/22: remboursement de la taxe de recours pour cause de renvoi direct

La Titulaire argumentait que l'intervention au stade du recours était irrecevable, d'une part car elle était basée sur une action en référé (devant le Landgericht de Mannheim), et d'autre part car l'action avait ultérieurement été retirée.

La Chambre rappelle qu'une action en référé est une action en contrefaçon au sens de l'article 105(1)a) CBE (T1459/06). En outre, le fait que l'action ne soit plus en instance n'est pas pertinent (T1713/11). L'intervention est donc recevable.

L'intervenant ayant soulevé plusieurs objections de défaut de nouveauté, nouveau motif d'opposition, il y a lieu de renvoyer l'affaire devant la division d'opposition (G1/94, point 13 des motifs).

Même si cela ne fait pas partie des motifs prévus par la règle 103 CBE, la Chambre décide qu'il y a lieu de rembourser les taxes de recours acquittées par la Titulaire et par l'Opposante, pour des raisons d'équité et de principe. 

En effet, les taxes acquittées l'ont été dans le but d'engager une procédure de recours  "régulière" visant à réexaminer la décision de la division d'opposition, mais en raison du renvoi direct à la division d'opposition, cette procédure de recours "régulière" n'a pas eu lieu. 

 Décision T2597/22 (en langue allemande)

mercredi 11 décembre 2024

JUB: Paris 27.11.2024 et Milan 22.11.2024

Aujourd'hui, nous résumons deux décisions de la JUB.

La première décision concerne une action en révocation formée devant la section de Paris de la division centrale.

Un premier point concerne un aspect de procédure. Les juges rappellent le caractère "front-loaded" des procédures devant la JUB, selon lequel tous les moyens des parties doivent normalement figurer dans les premières écritures. Ainsi, il n'est pas possible d'introduire ultérieurement de nouveaux motifs de nullité ou de nouveaux documents. Le demandeur en nullité peut toutefois alléguer de nouveaux faits et preuves en réaction à la réponse du titulaire, dans la mesure où ils sont considérés comme susceptibles d'étayer les principaux faits déjà allégués en temps utile et contestés par le défendeur, ou la valeur probante des preuves déjà produites.

Sur le fond, le tribunal fait remarquer que s'il est généralement douteux qu'une demande de brevet ou un fascicule de brevet publié puisse être considéré comme une indication des connaissances générales de la personne du métier, la déclaration du rédacteur ou de la rédactrice du brevet selon laquelle un enseignement est largement répandu à l'époque peut être utilisée comme preuve du fait que cet enseignement fait partie des connaissances générales. En l'espèce, le paragraphe [0005] du brevet Lee enseignait ce qui était considéré comme une approche largement répandue à sa date de dépôt. De par la nature ce type de description, le paragraphe [0005] est une indication selon laquelle  le fait de doter l'embout d'une cigarette électronique d'une structure transparente ou semi-transparente afin de faciliter le contrôle du niveau de la solution liquide rechargeable stockée à l'intérieur de la cartouche faisait partie des connaissances générales.

Décision ORD_598498/2023 du 27/11/2024, division centrale, section de Paris



La deuxième décision concerne une action en interdiction provisoire engagée devant la division locale de Milan.

La demande d'interdiction provisoire est rejetée du fait que l'objet du brevet ne semble pas être nouveau, compte tenu de l'interprétation donnée aux termes des revendications en application de l'article 69 CBE et de la jurisprudence de la JUB.

Du point de vue procédural, le tribunal rejette les demandes subsidiaires visant à modifier le brevet. De telles demandes ne sont pas conformes à la nécessaire rapidité de la procédure, qui exige à la fois l'imminence du préjudice et la nécessité de respecter le principe du contradictoire et les droits de la défense. Une requête visant à modifier le brevet n'est possible que lors d'une action au fond, action en nullité principale ou reconventionnelle.

Décision ORD_56587/2024 du 22/11/2024, division locale de Milan

lundi 9 décembre 2024

T178/23: pas un empêchement valable

La Chambre propose pour la présente décision le résumé suivant :

Une partie n'est pas dans l'impossibilité de respecter un délai vis-à-vis de l'OEB au sens de l'article 122(1) CBE si l'empêchement invoqué par la partie n'est pas lié à une erreur dans la réalisation de l'intention réelle de la partie de respecter un délai spécifique, mais seulement à une erreur antérieure quant au motif en relation avec l'intention d'utiliser une voie de droit comportant un délai. 

En l'espèce, le brevet avait été délivré, mais sans les dessins, qui avaient été omis dans le Druckexemplar. La demanderesse s'en étant rendu compte tardivement, avait ultérieurement formé un recours contre la décision de délivrance et déposé un mémoire de recours, mais en dehors des délais prescrits. 

La demanderesse faisait valoir que le mandataire avait omis de noter l'absence de dessins, et que ce n'est qu'après avoir reçu une notification de l'office italien auprès duquel le brevet avait été validé que cette absence avait été remarquée.

La Chambre note que la requérante n'a pas formé de recours en temps utile en raison d'une erreur antérieure, à savoir le fait qu'elle ignorait la nécessité d'introduire un recours pour rectifier l'absence de dessins dans le fascicule de brevets. Cette situation diffère de celles régies par l'article 122 CBE, dans lesquels une partie avait bien l'intention de respecter un délai mais ne l'a pas fait en raison d'obstacles objectifs.


Décision T178/23

vendredi 6 décembre 2024

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mercredi 4 décembre 2024

T1286/23: Faut-il garder G3/04 ? la Grande Chambre est saisie

La Grande Chambre de recours est saisie de la question suivante:

Après le retrait de tous les recours, la procédure peut-elle être poursuivie avec un tiers qui est intervenu durant la procédure de recours ? En particulier, le tiers peut-il acquérir un statut de requérant correspondant au statut d'une personne admise à former un recours au sens de l'article 107 CBE, première phrase ? 

La Grande Chambre avait répondu par la négative à cette question dans la décision G3/04. La présente Chambre ayant l'intention de s'écarter de cette décision, elle doit donc à nouveau saisir la Grande Chambre, en application de l'article 21 RPCR.

Pour la présente Chambre, un intervenant au stade du recours devrait être considéré comme une partie admise à former un recours au sens de l'article 107 CBE, car l'article 105 CBE établit une fiction selon laquelle l'intervenant est considéré comme un opposant. En outre, la décision n'a pas fait droit à ses prétentions du fait de l'existence même du brevet qu'on l'accuse de contrefaire. L'intervenant doit donc être autorisé à former son propre recours, ou à défaut rester partie de droit à la procédure.

En l'espèce, la société Geske avait déposé successivement deux déclarations d'intervention devant la division d'opposition. Les deux ont été rejetées, la première car elle venait en réponse à une simple lettre de mise en demeure, la deuxième car l'action en déclaration de non-contrefaçon, initiée quelques jours avant la procédure orale, n'avait pas encore été signifiée à la Titulaire et n'était pas encore considérée comme "engagée", en application de l'article 253 du code de procédure civile allemand.

Geske avait alors déposé une troisième déclaration d'intervention et formé recours contre la décision de maintien du brevet sous forme modifiée. L'Opposante avait préalablement formé recours, mais l'avait ensuite retiré.

La Chambre considère la troisième intervention comme recevable, et note qu'à ce moment la procédure de recours initiée par l'Opposante était pendante. En outre, s'agissant de la deuxième intervention, elle aurait pu être recevable si le tribunal avait transmis la demande en déclaration de non-contrefaçon plus rapidement, ou si la division d'opposition avait reporté la procédure orale.


Décision T1286/23

lundi 2 décembre 2024

JUB - La Haye - 22.11.2024 - Contrefaçon par équivalence

Depuis que la JUB existe, toutes les personnes intéressées se demandent comment cette nouvelle juridiction va traiter la contrefaçon par équivalence. Il existe en effet des divergences en la matière entre les différents tribunaux nationaux.

Dans la présente décision, la division locale de La Haye, tenant compte des pratiques de diverses juridictions nationales et après avoir interrogé les parties, propose le test suivant en 4 points:  

  1. Équivalence technique : la variante résout-elle (essentiellement) le même problème que l'invention brevetée et remplit-elle (essentiellement) la même fonction dans ce contexte ?
  2. L'extension de la protection de la revendication à l'équivalent est-elle proportionnée à une protection équitable du breveté compte tenu de sa contribution à l'art [et la manière d'appliquer l'élément équivalent était-elle évidente pour la personne du métier à partir de la publication du brevet (au moment de la contrefaçon)]* ?
  3. Sécurité juridique raisonnable pour les tiers : la personne du métier comprend-elle, à la lecture du brevet, que la portée de l'invention est plus large que ce qui est littéralement revendiqué ?
  4. Le produit allégué de contrefaçon est-il nouveau et inventif par rapport à l'état de la technique ? (défense Gillette/Formstein)
*: cette partie du point 2 n'est pas reprise dans le résumé donné en première page de la décision.

Le produit argué de contrefaçon (Bioo Panel, à gauche dans la figure ci-dessous) ne reproduisait pas littéralement toutes les caractéristiques de la revendication 11 du brevet EP2137782 car la plante et ses racines n'étaient pas disposées dans le compartiment anodique, mais dans un compartiment supérieur, le compartiment anodique étant quant à lui disposé dans la partie inférieure.

Pour les juges, la plante (ainsi que son positionnement) a la même fonction que dans le brevet et résout le même problème, et le fait de manière similaire car les matériaux organiques générés dans la partie supérieure peuvent atteindre l'anode dans la partie inférieure. 

Le brevet couvre une nouvelle catégorie de piles à bactéries, appelée P-MFC, en introduisant une plante dans le réacteur pour produire de l'électricité à partir des matières organiques venant de la photosynthèse par la plante. Un champ de protection assez large est donc conforme à la contribution de l'invention à l'état de la technique. Bioo argumentait que le système du brevet ne fonctionnait pas et qu'il avait amélioré ce système, mais les juges retiennent que la modification apportée par Bioo applique toujours l'enseignement du brevet.

La personne du métier comprendrait que l'enseignement du brevet est clairement plus large que le libellé de la revendication 11: l'enseignement du brevet est d'ajouter une plante à une pile microbienne, ce que le système de Bioo réalise. 

Enfin, le système de Bioo aurait été brevetable à la date de priorité du brevet. Bioo ne peut donc bénéficier d'une défense de type Gillette ou Formstein (moyen de défense constituant à démontrer que le brevet ne peut valablement couvrir l'objet argué de contrefaçon car ce dernier n'était pas brevetable compte tenu de l'état de la technique opposable au brevet). 

Il y a donc contrefaçon par équivalence.

Décision ORD_598516/2023



jeudi 28 novembre 2024

JUB - Cour d'Appel - Ordonnance du 12.11.2024 - retrait d'opt-out en cas d'action nationale

Le brevet en cause avait été opt-outé le 12.5.2023, durant la "sunrise period". Le 5.7.2023, la Titulaire avait retiré son opt-out et engagé une action en contrefaçon devant la division locale d'Helsinki.

La défenderesse à l'action en contrefaçon argumentait que le retrait de l'opt-out n'était pas valide du fait d'actions en cours depuis 2020 devant le Bundespatentgericht et l'Oberlandsgericht de Munich.

Selon l'article 83(4) AJUB,  un opt-out peut être retiré, "à moins qu'une action n’ait déjà été engagée devant une juridiction nationale  [...]".

Pour la Cour, le terme "action" doit être lu dans le contexte de l'article 83 AJUB dans son ensemble, qui concerne un régime transitoire pendant lequel des actions peuvent être engagées aussi bien devant la JUB que devant les juridictions nationales. Le terme "action" se réfère donc uniquement aux actions engagées durant cette période transitoire, et non avant. L'article 83 ne s'intéresse pas aux actions engagées avant la période transitoire: elles ne sont pas affectées par le régime transitoire, de même qu'elles ne peuvent affecter le régime transitoire. Il n'y a pas de raisons pour lesquelles un litige passé devrait influencer les choix délibérément donnés aux brevetés durant la période transitoire.

Cette interprétation est également en ligne avec le but de l'article 83 AJUB, qui est de respecter les droits et attentes des brevetés antérieurement à l'entrée en vigueur de la JUB et de leur donner l'opportunité de se familiariser avec le fonctionnement de la JUB avant de soumettre leurs brevets à la nouvelle juridiction. Les limitations quant à la possibilité de déposer un opt-out visent à empêcher d'abuser du système: une fois que le breveté a déjà utilisé la JUB ou a permis à des tiers de le faire, un opt-out ultérieur serait inapproprié et contraire à la sécurité juridique des tiers. De même, une fois qu'un opt-out a été déposé, on ne peut abuser du système en passant indûment d'un régime juridictionnel à un autre. Mais il ne saurait y avoir d'abus dans le cas d'une action engagée avant l'entrée en vigueur du régime transitoire.

En résumé: seules les actions engagées devant les juridictions nationales après l'entrée en vigueur de la JUB peuvent empêcher un breveté de retirer son opt-out.


Ordonnance du 12/11/2024

lundi 25 novembre 2024

T433/22: élément non-technique et article 123(2) CBE

Pour répondre à une objection de défaut de clarté, et suivant la proposition faite par la division d'examen, la demanderesse avait remplacé "la deuxième bande de fréquence est autorisée à une puissance d'émission supérieure à celle de la première bande de fréquence" par "la deuxième bande de fréquence est conçue pour une puissance d'émission supérieure à celle de la première bande de fréquence".

La division d'opposition avait considéré que la notion d'autorisation était un fait non-technique, et que même les modifications portant sur des caractéristiques non-techniques doivent pouvoir être dérivées de la demande telle que déposée (T619/05).

La présente Chambre ne partage pas cette opinion. Pour elle, les exigences de l'article 123(2) CBE ne s'appliquent aux éléments non-techniques que si, en raison du contexte dans lequel se situe l'élément non-technique, les modifications apportent à la personne du métier de nouvelles informations techniquement pertinentes. Le fait de se fonder sur l'existence d'une nouvelle information technique et non simplement sur une information quelconque sans pertinence pour l'invention résulte notamment de G 2/10 (4.5.1) et de T 1269/06.

En l'espèce la notion d'autorisation contribue à résoudre le problème sous-jacent à l'invention, qui est de proposer un procédé de transmission de données permettant une portée plus grande sans violer certaines normes mentionnées dans la demande. La caractéristique supprimée contribue donc à résoudre un problème technique par l'effet technique d'exclure certaines puissances d'émission. Sa suppression fournit donc une nouvelle information techniquement pertinente à la personne du métier.


Décision T433/22 (en langue allemande)

jeudi 21 novembre 2024

T1311/21: niveau de preuve, l'approche binaire est trop simpliste

La Titulaire contestait le fait que le manuel d'utilisation E7 cité à l'encontre de la nouveauté ait été accessible au public.


La division d'opposition, appliquant le principe de la balance des probabilités, avait décidé que le manuel faisait partie de l'état de la technique. L'Opposante appliquait également le standard de la balance des probabilités tandis que la Titulaire était d'avis qu'il fallait appliquer un niveau de preuve plus strict ("au-delà de tout doute raisonnable"). Elle faisait valoir en particulier que le document explicatif E7b fourni par la société Sensors (fabriquant du système faisant l'objet du manuel) montrait que cette société soutenait activement l'opposant, et que certains documents montraient un lien d'affaire entre les sociétés, incluant le transfert des droits de distribution du système à l'opposant.

La Chambre estime que dans certains cas l'approche binaire (balance des probabilité / au-delà de tout doute raisonnable) devient trop formaliste et trop simpliste. E7 provient ici d'un tiers, et non de l'opposante, de sorte qu'on ne peut automatiquement utiliser le niveau de preuve le plus élevé. D'un autre côté, il existe effectivement un déséquilibre entre les parties quant à l'accès à E7 et à la possibilité d'établir sur ce document faisait partie de l'état de la technique, de sorte qu'on ne peut non plus appliquer la balance des probabilités sans autre forme de réflexion.

Il semble donc qu'en l'espèce aucun de deux critères ne peut être appliqué.

La Chambre fait remarquer que la Titulaire aurait pu chercher des preuves contraires, par exemple en contactant l'acheteur du système, mentionné dans le document E7d. En outre, si les deux critères classiques peuvent continuer à servir d'étalon dans les cas simples, ce qui compte est de savoir si l'organe décisionnaire est convaincu qu'un fait allégué s'est produit ou pas (T1138/20). 

La Chambre est ici convaincue que le manuel était accessible au public. Le système a été vendu en janvier 2007, et la pratique normale est de fournir un manuel d'utilisation. Il n'y a aucune raison de croire qu'acheter le système ne donne pas le droit de comprendre comment il fonctionne et d'accéder au manuel d'utilisation. Le fait que le manuel ne soit pas disponible sur Internet n'est pas une raison de douter de l'existence de E7. Il est en outre peu probable qu'un manuel aussi élaboré (117 pages) soit compilé, imprimé et régulièrement révisé sans être utilisé.


Décision T1311/21

lundi 18 novembre 2024

JUB - Division centrale, section de Paris, 5.11.2024 - extension de l'objet

Dans la présente affaire, la division centrale révoque le brevet EP3498115 pour extension de l'objet au-delà du contenu de la demande grand-parente telle que déposée. La division d'opposition de l'OEB avait abouti à la même conclusion.

On notera que la JUB utilise un critère similaire à "l'étalon-or" (ou "norme de référence") utilisé par l'OEB:

Une modification est considérée comme introduisant un objet qui va au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée, et est donc irrecevable, si le changement global du contenu de la demande (qu'il s'agisse d'un ajout, d'une modification ou d'une suppression) a pour effet de présenter à la personne du métier des informations qui ne peuvent être déduites directement et sans ambiguïté de celles présentées précédemment dans la demande, même en tenant compte de ce qui est implicite pour une personne du métier. Toute modification ne peut être apportée que dans les limites de ce qu'un homme du métier déduirait directement et sans ambiguïté, en utilisant les connaissances générales courantes, et vu objectivement et par rapport à la date de dépôt (ou à la date de priorité, le cas échéant), de l'ensemble des documents tels qu'ils ont été déposés.

D'un point de vue procédural, les juges rappellent que l'article 65(3) AJUB permet de n'annuler qu'en partie un brevet. Cela suppose donc d'examiner individuellement les revendications du brevet délivré pour vérifier si les motifs de nullité affectent le brevet dans sa totalité ou seulement en partie.

Dans le cas d'espèce toutefois, la Titulaire a d'abord requis une modification de son brevet, selon 57 requêtes subsidiaires. Le tribunal doit donc d'abord examiner cette demande.

L'article 65(3) AJUB ne porte toutefois que sur le brevet délivré. Il ne saurait être question d'évaluer si une requête subsidiaire peut être accordée en partie.

Le demandeur en nullité demandait à ce que les requêtes subsidiaires soient rejetées en bloc car leur nombre n'est pas raisonnable (Règle 30.1 c) RdP). Les juges considèrent qu'un nombre déraisonnable ne doit pas nécessairement conduire à rejeter toutes les requêtes. En l'espèce, les requêtes subsidiaires 1 à 12 sont admises dans la procédure.

Les requêtes subsidiaires 1 à 10 sont rejetées pour les mêmes motifs que la requête principale.

S'agissant des requêtes subsidiaires 11 et 12, elles sont rejetées pour défaut de clarté. Le tribunal rappelle que lorsqu'une modification des revendications est demandée, la clarté est une condition fondamentale pour qu'une revendication soit considérée comme recevable, notamment en raison de sa fonction de définition de l'objet pour lequel la protection est demandée. En outre, selon la règle 50.2 RdP, toute demande de modification doit expliquer les raisons pour lesquelles les modifications satisfont aux exigences de l'article 84 CBE. Le simple fait d'assurer qu'une modification n'introduit aucune ambiguïté n'est pas suffisant à cet égard.

Le tribunal examine ensuite la requête suivante, à savoir l'annulation partielle, mais considère qu'aucune des revendications dépendantes du brevet délivré ne permet de résoudre le problème d'extension de l'objet.

Le brevet est donc annulé, avec effet dans les états parties à l'accord JUB.

Décision ORD_598482/2023



jeudi 14 novembre 2024

T738/20 : requêtes conditionnées à des motifs

L'interprétation de l'adjectif "transparent" était cruciale pour décider de la nouveauté par rapport à D1, et la question se posait en particulier de savoir s'il fallait utiliser la définition donnée au paragraphe [0010] du brevet (comme proposé par la Titulaire) ou une définition plus large (choisie par la Chambre dans son opinion provisoire). 

La Titulaire avait demandé à ce que la procédure soit suspendue dans l'attente de la décision G1/24, dans le cas où la Chambre ne tiendrait pas compte de la définition donnée dans le brevet.

L'Opposante considérait qu'une telle requête conditionnelle ne pouvait être admissible.

La Chambre fait remarquer que rien dans la CBE ne s'oppose au dépôt de requêtes conditionnelles. Les requêtes subsidiaires sont d'ailleurs des requêtes conditionnelles. Dans le cas d'espèce, la condition ne porte toutefois pas sur les conclusions de la Chambre concernant une requête précédente, mais sur les motifs de la Chambre, ici le recours à des faits prétendument nouveau par la Chambre et l'interprétation du terme "transparent".

Le problème de ce type de requêtes est que les parties ne peuvent savoir si la condition est effectivement remplie: la Chambre est bien sûr libre d'expliquer ses raisons lors de la procédure orale mais elle n'est pas obligée de le faire, les motifs complets n'étant mis à disposition que dans la décision écrite. Une partie ne peut,  par le biais d'une requête conditionnelle, obliger la Chambre à fournir les motifs complets de sa décision avant que la décision finale ne soit rendue.

De telles requêtes peuvent toutefois contribuer à l'efficacité procédurale et aider la Chambre à prendre une décision sans avoir à discuter de questions qui pourraient s'avérer non décisives pour l'issue finale du recours. Toutefois, ces  requêtes ne lient pas la Chambre en ce sens qu'une partie pourrait obliger la Chambre à mener la procédure uniquement dans un ordre particulier ou en se limitant à des questions particulières, comme le souhaite une partie, ce qui permettrait d'éviter des résultats indésirables pour cette partie. Dans les procédures impliquant plusieurs parties, les autres parties sont également libres de faire valoir les raisons pour lesquelles la Chambre ne devrait pas accepter une telle demande conditionnelle. En principe, la  Chambre est libre de mener la procédure dans n'importe quel ordre approprié et de discuter de n'importe quelle question, tant que les demandes pertinentes des parties en matière de fond et de procédure sont correctement examinées et tranchées.

En l'espèce, la Chambre conclut finalement au défaut de nouveauté même en prenant en compte la définition du brevet, de sorte que la condition n'est pas remplie et que le sursis à statuer n'est pas nécessaire.


Décision T738/20

mardi 12 novembre 2024

T437/20: sur la motivation des requêtes subsidiaires

L'Opposante avait formé recours contre la décision de rejet de son opposition. Avec sa réponse au mémoire de recours, la Titulaire avait déposé des requêtes subsidiaires identiques à celles déposées en première instance, mais sans les motiver.

La Chambre rappelle que selon l'article 12(3) RPCR, le mémoire exposant les motifs du recours et la réponse doivent contenir l'ensemble des moyens invoqués par une partie dans le cadre du recours, et qu'à défaut la Chambre peut ne pas admettre des éléments dans la procédure en application de l'article 12(5) RPCR.

Dans le cas d'espèce, ces requêtes subsidiaires n'ont pas été discutées en première instance puisque la division d'opposition a rejeté l'opposition. Il ne fait pas de doute que ces requêtes subsidiaires auraient été admises dans la procédure en première instance, de sorte qu'elles ne constituent pas une modification au sens de l'article 12(4) RPCR. Il n'empêche que ces requêtes doivent néanmoins être motivées, au sens où la réponse au mémoire de recours aurait dû expliquer en quoi elles se distinguaient de la requête principale, indiquer la base des modifications dans la demande telle que déposée et donner les raisons pour lesquelles elles répondaient aux objections formulées contre la requête principale dans le mémoire de recours.

Si la requête principale tombe, la Titulaire requiert alors l'annulation de la décision et doit donc expliquer les motifs pour lesquels il est demandé d'annuler cette décision, comme exigé par l'article 12(3) RPCR.

La Chambre fait remarquer qu'il est aussi du devoir de l'Opposante de présenter l'ensemble de ses objections contre les requêtes subsidiaires, soit dans un délai prévu par le RPCR, soit, en l'absence de délai, dans un délai raisonnable après avoir reçu les requêtes subsidiaires. Bien qu'il ne soit pas obligatoire de traiter des requêtes qui n'ont pas encore été formellement déposées dans la procédure de recours (contra T664/20), les opposants diligents sont également libres de les traiter de manière préventive dans leur mémoire de recours.

Dans le cas d'espèce, le fait que les requêtes subsidiaires ne soient pas traitées dans le mémoire de recours ne peut justifier l'absence de motivation. Etant donné qu'une requête subsidiaire ne devient pertinente que si la requête de rang supérieure n'est pas acceptée, il va de soi que les arguments soumis pour une requête ne range supérieure ne suffisent pas.

Les requêtes subsidiaires ne sont donc pas admises en application des articles 12(3) et (5) RPCR.

Les requêtes n'ont été motivées qu'après réception de l'avis provisoire de la Chambre, et leur admission a été demandée à nouveau. Dans ce cas ce sont les dispositions des articles 13(1) et (2) RPCR qui s'appliquent. Les requêtes ne sont pas admises en application de ces dispositions à défaut de circonstances exceptionnelles et car les requêtes ne respectent pas à première vue les exigences de l'article 123(2) CBE.


Décision T437/20

vendredi 8 novembre 2024

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jeudi 7 novembre 2024

T2022/22: circonstances exceptionnelles

Dans son avis provisoire, la Chambre se déclarait en accord avec l'Opposante sur le fait que la revendication 15 ne respectait pas l'article 123(2) CBE.

La Titulaire avait alors déposé une nouvelle requête principale dans laquelle la revendication dépendante 15 avait été supprimée.

La requête ayant été déposée après l'avis provisoire, sa recevabilité doit être évaluée à l'aune de l'article 13(2) RPCR: il doit exister des circonstances exceptionnelles. 

La Chambre fait remarquer que le dépôt de la requête principale n'affecte pas la question de l'extension de l'objet des revendications 1 et 9 - les revendications principales d'appareil et de procédé du brevet en cause - sur lesquelles la décision attaquée était fondée et auxquelles les parties ont consacré la majeure partie de leurs observations dans la procédure de recours. Par conséquent, il n'en résulte pas une situation pour laquelle l'Opposante ou la Chambre pourraient arguer d'être pris au dépourvu. 

L'admission de la requête principale est donc compatible à la fois avec les principes d'économie procédurale et d'équité procédurale et n'ajoute rien à l'objet de la procédure de recours.

La Chambre rappelle que de nombreuses décisions ont conclu que dans de tels cas il existait des circonstances exceptionnelles au sens de l'article 13(2) RPCR. Dans l'affaire T2295/19 il a été décidé que la modification n'avait pas à être causée par des circonstances exceptionnelles : il suffit que de telles circonstances existent, et ces dernières peuvent être de nature juridique, comme l'évaluation juridique de la situation procédurale.

La requête est donc admise dans la procédure.

Décision T2022/22

mardi 5 novembre 2024

Offre d'emploi

AVOXA, cabinet d’avocats basé à Rennes, s’appuyant sur une clientèle importante et un réseau d’avocats reconnus, comprend un département PI qui a une activité brevets depuis plus de 15 ans.

Il s’associe aujourd’hui avec un cabinet de CPI pour former une Société Pluriprofessionnelle de CPI et d’avocats, filiale d’AVOXA dédiée aux brevets.

Pour renforcer et développer cette filiale « brevets », nous recherchons un Ingénieur Brevets H/F, idéalement chimiste et/ou biotech mais pouvant également traiter des dossiers généralistes.

Le candidat idéal sera diplômé du CEIPI et aura au moins 5 ans d'expérience. Les qualifications de CPI et/ou de Mandataire européen seront évidemment des atouts.

En lien avec un CPI ou un avocat de l’équipe, cet ingénieur interviendra sur l'ensemble des sujets traités par la filiale « brevets » :

  • mise en œuvre de stratégies d’attaque ou de défense de droits de propriété industrielle,
  • études de brevetabilité ou de liberté d’exploitation,
  • rédaction de demandes de brevet,
  • conduite des procédures d’obtention des droits tant en France qu’à l’étranger,
  • analyse de la validité et la portée des titres de nos clients et/ou de leurs concurrents,
  • assistance de nos clients dans des situations de précontentieux, de litiges ou de négociations (oppositions, contrats…).

Le contenu du poste sera évolutif et adaptable en fonction du profil et des souhaits du candidat. Vous pourrez notamment gérer de façon autonome un portefeuille de clients, participer au développement du cabinet de PI…

Si vous souhaitez en savoir plus, vous pouvez vous adresser à Louis-Paterne Bouan (lpbouan@bouan.fr) et Bertrand Ermeneux (bermeneux@axoxa.fr).

lundi 4 novembre 2024

JUB - Division locale de Düsseldorf - 31/10/2024 - interprétation des revendications

La Titulaire du brevet EP1793917 reprochait à la Défenderesse de contrefaire ledit brevet par la vente des ses machines à eau gazeuse "Aarke Carbonator Pro".

Le cœur du débat portait sur l'interprétation à donner au terme "flask" utilisé pour qualifier le récipient 20 destiné à recevoir la bouteille 10.

La Défenderesse argumentait qu'il s'agissait d'un récipient d'une certaine hauteur, comme représenté dans les figures du brevet, capable de contenir la plus grande partie de la bouteille.


Selon elle, un tel récipient n'existait pas dans le produit argué de contrefaçon (voir figure ci-dessous). 

Ce produit ne faisait qu'utiliser une base sur laquelle poser la bouteille, comme dans l'art antérieur cité dans le brevet (voir figure ci-dessous).
Les juges considèrent que la portée d'une revendication n'est normalement pas limitée par un dessin, qui ne montre qu'une forme spécifique d'un composant. La portée conférée par un brevet est déterminée par les revendications, interprétées à l'aide de la description et des dessins, et non à l'aide de l'art antérieur. Cela ne veut toutefois pas dire que l'art antérieur n'est pas pertinent quant à l'interprétation à donner: si l'art antérieur est discuté dans la description du brevet et que ce dernier s'en distingue d'une certaine manière, une interprétation qui nierait cette distinction doit être évitée.

Dans le cas d'espèce, le terme "flask" n'est pas limité au mode de réalisation représenté dans les figures du brevet, et la personne du métier interprète le terme en se tournant vers sa fonction technique, dans le contexte des autres caractéristiques, à savoir recevoir la bouteille et former une cavité fermée et sécurisée en coopération avec la tête de remplissage, contribuant ainsi à une résistance à l'éclatement. L'art antérieur cité dans le brevet ne conduit pas à une autre interprétation, car il ne décrit qu'une base et non une structure séparée dans laquelle la bouteille peut être placée et qui contribue à la résistance à l'éclatement.

Le produit argué de contrefaçon possède bien une "flask", car le plateau en métal, le joint et l'anneau en plastique permettent de recevoir la bouteille, et forment avec la tête de remplissage une cavité fermée en position de carbonatation.



Décision ORD_598499/2023


jeudi 31 octobre 2024

T123/22: l'ajout de revendications indépendantes n'est pas nécessairement contraire à la règle 80 CBE

En réponse à une objection de défaut de nouveauté, la Titulaire avait remplacé la revendication 1 par 3 revendications indépendantes.

L'Opposante prétendait que cette modification était contraire à la règle 80 CBE. Certaines décisions ont admis ce type de modifications, mais à titre d'exception, lorsque les revendications indépendantes correspondaient des à des combinaisons de revendications du brevet délivré (T181/02, T453/19, T2063/15). Dans le cas d'espèce en revanche, les revendications incriminées contenaient à la fois des caractéristiques provenant d'anciennes revendications dépendantes et des caractéristiques provenant de la description.

La Chambre n'est pas d'accord avec cet argument.

Elle note tout d'abord que les décisions citées tirent leur raisonnement de la décision T295/87, qui a toutefois été rendue à une époque où la règle 57bis (devenue règle 80) n'existait pas encore. En outre, la règle 80 CBE n'indique pas sous quelle forme une revendication peut être modifiée pour la respecter, et en particulier ne fait pas de distinction entre des caractéristiques venant de la description ou venant de revendications dépendantes. Le seul critère déterminant est de savoir si la modification peut être considérée comme une tentative sérieuse de remédier à un motif d'opposition.

S'agissant du remplacement d'une revendication indépendante par plusieurs, la Chambre est d'accord avec la décision T431/22: une telle modification ne contrevient pas à la règle 80 CBE dès lors que que l'objet des nouvelles revendications est restreint ou modifié. Il est tout à fait légitime pour un titulaire de tenter de protéger des parties d'une revendication indépendante pour surmonter un motif d'opposition, le cas échéant au moyen de deux ou plusieurs revendications indépendantes.

De telles modifications peuvent apporter une complexité pouvant jouer un rôle dans les décisions discrétionnaires d'admission de revendications tardives, mais de telles décisions sont à distinguer de l'application de la règle 80 CBE.

En l'espèce, les revendications ont été limitées par rapport à la revendication indépendante telle que délivrée, ces limitations servant manifestement à surmonter le défait de nouveauté. La requête satisfait donc la règle 80 CBE.


Décision T123/22 (en langue allemande)

lundi 28 octobre 2024

T846/22: opposition par une société dormante

La titulaire demandait à ce que l'opposition soit déclarée irrecevable car formée au nom d'une "société dormante" (dormant company) au sens du droit britannique. 


En vertu de l'article 99(1) CBE, toute personne (physique ou morale) peut former opposition. La question de savoir si l'opposante est une personne relève du droit national. 

Selon la loi britannique, une société est dormante pendant toute la période où elle n'effectue pas de transactions comptables significatives, et peut être réactivée. Bien qu'inactive, une société dormante n'est pas radiée mais reste inscrite au registre des sociétés, et conserve donc son statut de personne morale.

La titulaire faisait aussi valoir qu'en tant que société dormante, l'opposante n'aurait pas pu s'acquitter des frais liés à l'opposition et au recours. La Chambre considère toutefois que le fait de savoir si l'opposante a engagé des transactions pouvant entraîner la perte de son statut de société dormante va au-delà de l'évaluation de son statut de personne morale. 

La titulaire argumentait également que l'opposante était un homme de paille et qu'il y avait contournement abusif de la loi car il était évident que la vraie opposante avait ainsi agi dans le but d'éviter toute responsabilité dans une éventuelle répartition des frais. La Chambre fait toutefois remarquer qu'il n'existe dans la CBE aucune obligation pour une partie d'être dotée de moyens financiers suffisants pour se conformer à une décision purement hypothétique quant à la répartition des frais.

L'opposition et le recours sont donc recevables.

Décision T846/22

mercredi 23 octobre 2024

T2510/18: le fait qu'un art antérieur tombe dans la portée revendiquée n'est pas le bon critère pour évaluer la nouveauté

Je remercie le lecteur qui m'a signalé cette décision extrêmement intéressante.

Le brevet avait pour objet une molécule (appelée SkE) ainsi que son utilisation comme médicament dans la prévention et le traitement du paludisme.

La molécule SkE était isolée de la plante Quassia amara, plante traditionnellement utilisée en Amazonie pour traiter le paludisme.

Les Opposantes faisaient valoir une contrariété à l'ordre public et aux bonnes mœurs du fait de comportements contraires aux normes acceptées en ce qui concerne l'utilisation de savoir traditionnels, la Titulaire ayant selon elles profité du savoir de communautés autochtones sans les informer ou recueillir leur consentement. La Chambre répond toutefois que le critère de contrariété à l'ordre public ou aux bonnes mœurs porte sur l'exploitation de l'invention et non sur ses conditions d'obtention.

Sur la question de la nouveauté, les Opposantes argumentaient que l'objet revendiqué n'était pas nouveau au regard de D2, D3 et D5, articles décrivant l'activité antipaludique de décoctions ou d'infusions de feuilles de Quassia amara. Ces préparations contenaient de la SkE et entraient donc dans la portée de la revendication 1.

La Chambre est d'accord avec le fait que toutes les compositions contenant de la SkE sont couvertes par la portée de la revendication 1. Cependant, la question de savoir si les extraits de D2, D3 ou D5 entrent dans la portée de la revendication 1 n'est pas le critère correct pour évaluer si l'objet de cette revendication est nouveau.

Le critère est le suivant : une revendication manque de nouveauté si, compte tenu des connaissances générales de la personne du métier, son objet est divulgué dans l'art antérieur explicitement ou implicitement, mais directement et sans ambiguïté.

Donc, même si l'on accepte la présence de SkE dans les extraits de D2, D3 et D5, et même en interprétant la portée de la revendication 1 de la manière la plus large possible, pour inclure la plante Quassia amara et ses extraits divulgués en D2, D3 et D5, une divulgation directe et sans ambiguïté des caractéristiques techniques de la revendication 1, voire de la molécule SkE seule ou en combinaison avec d'autres composés, est toujours nécessaire pour conclure un manque de nouveauté.

Or aucun de ces documents ne divulgue explicitement la molécule SkE seule ou en combinaison avec d'autres composés.

Il n'est pas non plus question de divulgation implicite, car une divulgation ne peut être considérée comme implicite que si la personne du métier constate d'emblée qu'aucun autre élément que la caractéristique implicite alléguée fait partie de l'objet divulgué. Selon G2/88, la question qui se pose est de savoir ce qui a été rendu accessible au public et non ce qui pouvait être contenu intrinsèquement dans ce qui a été rendu accessible au public. La présence de la molécule SkE dans les feuilles de Quassia amara ou leur décoction n'a pas été rendue accessible au public par les extraits de D2, D3 ou D5. En outre, en application de l'avis G1/92, pour que l'art antérieur rende accessible la molécule SkE, il est nécessaire que la personne du métier identifie cette molécule dans les extraites de D2, D3 ou D5. Etant donné que l'identification de SkE représente un effort excessif, la SkE ne fait pas partie de l'état de la technique.

Les Opposantes faisaient valoir que l'objet d'une revendication ne pouvait être nouveau s'il était contrefait par une utilisation existante et que le brevet donnerait le droit au Titulaire d'interdire aux populations autochtones d'utiliser les feuilles de Quassia amara pour la préparation de leurs remèdes traditionnels. La Chambre n'est pas convaincue et rappelle que la même question s'est posée dans l'affaire G2/88 et que la question des droits fondés sur une utilisation antérieure relève des droits nationaux.


Décision T2510/18

lundi 21 octobre 2024

JUB - Division locale de Hambourg - 26/6/2024 - interprétation devant la JUB et devant l'OEB

Cette décision est intéressante en ce que la JUB adopte une interprétation de la revendication différente de celle adoptée jusqu'ici par l'OEB, et considère qu'indépendamment de sa propre opinion sur la validité du brevet, il est probable que l'OEB conserve son opinion et révoque le brevet.

La société Alexion avait formé une action en interdiction provisoire contre la société Amgen devant la division locale de Hambourg sur la base de son brevet unitaire EP3167888 portant sur une composition pharmaceutique comprenant un anticorps liant C5 et constitué d'une chaîne lourde d'une certaine séquence et une chaîne légère d'une autre séquence.

En parallèle, Amgen a formé opposition devant l'OEB contre le brevet européen. 

Amgen argumentait que son produit BEKEMV (eculizumab), indiqué pour le traitement de l'hémoglobinurie paroxystique nocturne, ne contrefaisait pas le brevet car la chaîne légère était différente de celle revendiquée, cette dernière contenant 22 acides aminés supplémentaires par rapport à la chaîne légère de l'eculizumab. 

Il apparaît toutefois que ces 22 acides aminés, qui constituent la séquence signal à l'extrémité N-terminale, empêchent de lier au C5, et sont clivés avant que l'anticorps ne soit formé et secrété par la cellule. En outre le brevet mentionne à 120 reprises la chaîne légère de l'eculizumab, dont on peut retrouver la séquence dans des bases de données, et qui ne comprend pas ces 22 premiers acides aminés. 

Les juges considèrent qu'une personne du métier, qui doit prendre en compte l'objectif de toute revendication, qui est de fournir à la personne du métier un enseignement technique qui, lorsqu'il est retravaillé, conduit au succès escompté, conclurait que la chaîne légère ne comprend pas la séquence signal, car dans le cas contraire l'enseignement du brevet ne procurerait pas une composition pharmaceutique liant C5.

Les juges sont donc convaincus avec une certitude suffisante que le produit d'Amgen contrefait littéralement le brevet.

Concernant la validité du brevet, la question est de savoir s'il est plus probable que le brevet soit valide ou non valide. Toutefois, comme une opposition est en cours devant l'OEB, le tribunal ne peut pas se baser que sur sa propre opinion, mais doit aussi évaluer les chances de succès de l'opposition. L'OEB a en effet compétence pour tous les Etats contractants, de sorte qu'une décision  ultérieure de révocation de l'OEB infirmerait une décision de la JUB qui aurait conclu à la validité.

Or, les juges considèrent comme probable que l'OEB révoque le brevet pour insuffisance de description car la Chambre de recours, en recours sur examen (T1515/20), avait interprété la revendication comme couvrant littéralement la séquence avec les 22 acides aminés supplémentaires et la demanderesse l'avait convaincue que cela n'empêchait pas de lier C5. Cet argument ne peut toutefois plus être soutenu compte tenu des nouveaux éléments au dossier. 

Les juges estiment que, même si la titulaire a présenté des faits qui reflètent un niveau de connaissance plus complet de la personne du métier sur la question des séquences signal, il n'est pas certain que l'OEB adopte la même interprétation que la JUB, et ce d'autant plus que la Chambre de recours a toujours refusé toute requête en correction d'erreur visant à supprimer les 22 acides aminés.

La requête en interdiction provisoire est donc rejetée.

UPC_CFI_124/2024 - Ordonnance du 26.6.2024



jeudi 17 octobre 2024

T972/22: refus par avance du dépôt de requêtes subsidiaires

Un lecteur, que je remercie, me signale cette décision 

Lors de la procédure orale, la division d'opposition avait changé d'avis concernant l'activité inventive, et considéré qu'une attaque formulée par des observations de tiers était pertinente. La titulaire avait alors déposé une requête subsidiaire, qui a été rejetée comme non-conformes aux articles 84 et 123(2) CBE, et la division d'opposition avait refusé tout dépôt de requête supplémentaire.

La Chambre rappelle que le fait de refuser par avance tout dépôt de requête subsidiaire, sans en connaître le contenu, n'est pas une manière raisonnable d'exercer le pouvoir discrétionnaire selon la règle 116(2) CBE et constitue un vice substantiel de procédure. Il s'agit en outre d'une violation du droit d'être entendu puisqu'il est impossible pour la division d'opposition de vérifier si les modifications sont appropriées et si les requêtes sont prima facie admissibles. Il est possible de refuser toute modification supplémentaire s'il devient évident après plusieurs tentatives infructueuses que le titulaire ne cherche pas à surmonter les objections mais seulement à allonger la procédure, mais aucun abus de procédure n'était apparent dans le cas d'espèce.

La Chambre est en outre d'avis que la division d'opposition n'a pas correctement pris en compte les circonstances de l'affaire. Les observations de tiers avaient été formées après une première opinion préliminaire de la division d'opposition. La procédure orale ayant été reportée deux fois, la division d'opposition avait envoyé d'autres opinions provisoires, mais sans prendre position sur l'attaque d'activité inventive formulée par le tiers. De telles observations étaient tardives, et la division d'opposition aurait dû commenter leur pertinence et prendre une décision quant à leur recevabilité, ce qu'elle n'a pas fait. L'opposante n'avait pas non plus commenté les observations de tiers dans ses écritures. Le changement d'avis de la division d'opposition était donc surprenante, de sorte que la titulaire était en droit de réagir en déposant de nouvelles requêtes subsidiaires.

Enfin, la décision de la division d'opposition ne motive pas le fait qu'elle n'ait pas permis à la Titulaire de déposer de nouvelles requêtes subsidiaires.

En raison de ces trois vices substantiels de procédure, l'affaire est renvoyée devant la division d'opposition.


Décision T972/22

mardi 15 octobre 2024

T56/21: pas de base légale pour exiger d'adapter la description en examen

Contrairement à ce qui avait été annoncé ici l'an dernier, la Grande Chambre ne sera (pour l'instant) pas saisie de questions concernant l'adaptation de la description.

La demande en question avait été rejetée car la demanderesse insistait pour conserver dans la description des clauses de type revendication décrites comme des "modes de réalisation spécifiques" mais qui n'étaient plus conformes à l'invention considérée comme brevetable.

La Chambre 3.3.04 juge dans cette décision de 90 pages qu'en procédure d'examen ni l'article 84 CBE, ni les règles 42, 43 et 48 CBE ne sont une base juridique pour exiger que la description soit adaptée afin de correspondre à des revendications limitées.

La pratique d'adaptation de la description a historiquement pour but d'assurer la sécurité juridique des tiers quant à la protection conférée, en lien avec le rôle de la description dans l'interprétation des revendications. 

La Chambre examine donc les liens entre les articles 69 et 84 CBE et en conclut que:

  • devant l'OEB l'étendue de la protection n'est pertinente que dans le cadre de l'article 123(3) CBE, donc après délivrance, 
  • l'examen de la clarté et du support est distinct de la détermination de l'étendue de la protection,
  • le but de l'article 84 CBE est d'arriver à une définition de l'objet brevetable en termes de caractéristiques techniques le distinguant de l'art antérieur,
  • l'article 69(1) CBE et son protocole interprétatif visent à permettre une protection au-delà d'une contrefaçon littérale basée sur une interprétation restrictive des revendications,
  • l'article 69(1) CBE et son protocole interprétatif  ne portent pas sur l'interprétation des revendications au sens de la détermination du sens des termes des revendications pour évaluer la brevetabilité,
  • se baser sur la description pour résoudre des ambiguïtés ou contradictions dans les revendications avant d'évaluer leur conformité avec les exigences de clarté et de support priverait les revendications de leur effet consacré par l'article 84 CBE,
  • le sens des revendications doit être compris avant d'évaluer la conformité aux exigences de brevetabilité,
  • l'article 84 CBE n'est ni complémentaire ni subordonné à l'article 69(1) CBE. Ce dernier ne doit donc pas être appliqué pendant l'examen.

Pour la Chambre, la justification traditionnellement donnée pour exiger l'adaptation de la description méconnaît donc le lien entre les articles 69 et 84 CBE.

Certaines Chambres mettent en avant l'idée que les autorités, les tribunaux et le public devraient autant que possible arriver à une même compréhension de l'invention revendiquée que l'OEB. Cela peut peut-être considéré comme une situation idéale mais cet objectif n'a aucun fondement dans la CBE.

L'article 84 CBE porte sur les revendications: c'est aux revendications d'être supportées par la description, au sens où l'on ne peut revendiquer que ce qui est décrit, mais pas à la description d'être modifiée pour correspondre à ce qui est finalement revendiqué. L'article 84 CBE porte également une exigence de clarté, mais qui porte sur les revendications en elles-mêmes.

Pour la Chambre, la sécurité juridique des tiers est mieux servie par des revendications claires et concises qui permettent de délimiter la "zone interdite" sans avoir à recourir à la description que par une description adaptée.

La Chambre reconnaît un cas de figure problématique, dans lequel la description donne une définition d'un terme plus large que son sens habituel dans la technique (comme dans l'affaire à l'origine de la saisine G1/24), mais estime que cela peut donner lieu à une objection selon la règle 49(2) CBE ensemble l'article 2(10) de la décision du Président OEB du 25.11.2022 (JO OEB 2022, A113, "La terminologie et les signes utilisés doivent être uniformes dans toute la demande de brevet européen."). 


Décision T56/21

mercredi 9 octobre 2024

T572/19: une signature manquait

La décision de révocation du brevet, rendue en 2018, n'avait pas été signée par l'examinatrice juriste. 

Suite à une observation de la Chambre selon laquelle cette absence de signature constituait un vice substantiel de procédure, l'Opposante avait demandé à la division d'opposition de corriger cette erreur.

La division d'opposition avait fait droit à cette demande, expliquant qu'il n'y avait aucun doute sur le fait que l'examinatrice juriste avait participé au processus de décision et que l'absence de signature résultait d'une erreur due au fait que les membres de la division étaient répartis sur différents sites. L'examinatrice juriste ayant quitté l'OEB en 2019, la décision selon la règle 140 CBE faisant droit à la requête en correction d'erreur était signée par la présidente pour compte de l'examinatrice juriste.

La Chambre rappelle que selon la jurisprudence bien établie, une signature manquante est un vice substantiel de procédure et rend la décision invalide. Cette exigence de signature s'applique à la décision écrite, incluant la motivation de la décision. Il ne s'agit pas d'une simple formalité mais d'une étape essentielle du processus décisionnel, qui vise à prévenir l'arbitraire et les abus et à permettre de vérifier que c'est bien l'organe compétent qui a pris la décision.

L'objectif de l'exigence de signature au titre de la règle 113(1) CBE n'est atteint que s'il existe une chaîne ininterrompue de responsabilité personnelle manifeste, assumée par chaque membre de l'organe de décision chargé de l'affaire, tout au long du processus décisionnel, y compris pour la décision écrite. L'obligation de signature par tous les membres vise, en partie, à protéger une minorité de membres d'un organe décisionnel contre d'éventuels actes répréhensibles de la part de la majorité. Si la majorité pouvait, sans aucune limite, substituer sa déclaration aux signatures de la minorité, cette protection n'existerait pas. Au contraire, les signatures de la minorité sont nécessaires pour montrer qu'elle reconnaît que la décision écrite, y compris la justification, reflète correctement la décision collégiale. La capacité des parties et du public à faire confiance à l'intégrité des processus décisionnels de l'OEB est un intérêt fondamental, dont la protection est cruciale pour la crédibilité globale de l'OEB en tant qu'autorité publique internationale.

Une approche pragmatique, dans laquelle un autre membre de la division signe pour le compte d'un membre malade, décédé, ou qui a quitté l'Office est permise. Cette approche n'est toutefois pas applicable ici, notamment car l'examinatrice juriste était en position de signer la décision lorsqu'elle a été émise.

L'absence de signature ne peut être considérée comme une "erreur évidente" au sens de la rège 140 CBE. Le public lisant la décision ne pouvait en effet savoir la raison de cette absence: est-ce un oubli, ou l'examinatrice juriste a-t-elle décidé de ne pas signer, ou avait-elle même vu la décision?

L'affaire est donc renvoyée devant la division d'opposition.


Décision T572/19

lundi 7 octobre 2024

T1882/23: cessation de l'empêchement quand un tiers est chargé du paiement des annuités

La mandataire en charge de la demande avait reçu le 4.6.2019 une notification de perte de droit due au non-paiement de la taxe annuelle. N'étant pas en charge du paiement des annuité, elle avait transmis cette notification à la personne chargée de la PI chez la demanderesse. Cette dernière, étant en congés maladie, n'avait pris connaissance du message que le 10.7.2019. La demanderesse avait formé une requête en restitutio in integrum le 10.9.2019.

La demanderesse argumentait que le délai de 2 mois de la règle 136(1) CBE partait du 10.7.2019, car sa mandataire n'était explicitement pas en charge du paiement des annuités. Pour elle la cessation de l'empêchement correspond au moment où la personne en charge de ce paiement a connaissance de la perte de droit.

La Chambre n'est pas de cet avis. Selon la jurisprudence constante, le délai court dès lors que la personne responsable de la demande vis-à-vis de l'OEB, donc la mandataire, prend conscience de la perte de droit. La cessation de l'empêchement doit pour être déterminée de manière claire et objective et ne peut dépendre de l'organisation interne de la demanderesse. La date à laquelle la personne en charge de la PI a connaissance de la perte de droit n'est donc pas pertinente.

La demanderesse citait la décision T942/12, selon laquelle lorsqu'un tiers a été chargé du paiement des annuités, l'exigence de vigilance requise n'impose pas aux mandataires de surveiller que les annuités aient bien été acquittées. Cette décision n'est toutefois pas pertinente dans le cas d'espèce, où la question n'est pas de savoir si la vigilance requise a été exercée mais celle de savoir quand a eu lieu la cessation de l'empêchement.

 

Décision T1882/23

mercredi 2 octobre 2024

JUB - Division centrale - 16.9.2024 - la personne représentant le client doit être indépendante

La titulaire Suinno Mobile & AI Technologies Licensing Oy a assigné Microsoft  en contrefaçon de son brevet EP2671173B1 portant sur un système pour naviguer sur Internet tout en marchant.


La titulaire avait demandé (règle 262A) à ce que certains documents (des contrats de licence) soient retirés de l'inspection publique et ne puissent être consultés que par les avocats et responsables de Microsoft ayant une besoin légitime de les consulter. Le juge-rapporteur avait accédé à cette demande.

Microsoft argumentait que la demande était irrecevable pour manque d'indépendance du représentant de Suinno. Cette dernière était en effet représentée par son président, mandataire agréé devant l'OEB et représentant devant la JUB (et accessoirement inventeur du brevet en cause).

Le juge-rapporteur avait rejeté l'argument, estimant que le manque d'indépendance devait être évalué sur le base d'un préjudice potentiel pour la partie représentée, et non dans un sens absolu.

Le panel de juges de la division centrale considèrent en revanche l'argument de Microsoft comme bien fondé.

Selon l'article 48(5) AJUB, "les représentants des parties jouissent des droits et garanties nécessaires à l’exercice indépendant de leurs fonctions, y compris du privilège de confidentialité couvrant les communications entre un représentant et la partie représentée ou tout autre personne dans le cadre des procédures engagées devant la Juridiction [...]", disposition calquée sur celle de l'article 19(5) des statuts de la CJUE. 

Devant la CJUE, cette disposition a été interprétée dans le sens qu'une partie doit être représentée par un tiers autorisé à pratiquer devant le tribunal d'un Etat de l'EEE. Le rôle de l'avocat est de collaborer à l'administration de la justice en toute indépendance. Si certaines législations autorisent une représentation par des personnes employées par les parties ou ayant un pouvoir financier et administratif au sein de la partie en question, ce n'est pas le cas devant les tribunaux de l'UE.

Les juges estiment que le fait d'avoir calqué l'article 48(5) AJUB sur les dispositions applicables devant la CJUE suggère que les Etats ayant signé l'AJUB entendaient incorporer cette interprétation.

Dans le cas d'espèce, le représentant de la partie en question, qui est président et actionnaire principal, ne peut être considéré comme indépendant dans le but d'une représentation valable de son client.


Ordonnance du 16.9.2024

mardi 1 octobre 2024

Offre d'emploi


Ingénieur brevets expérimenté ou mandataire (H/F) mécanique, électronique, ou ingénierie
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Le cabinet Bandpay & Greuter recrute en CDI un ingénieur brevets ou mandataire (H/F) dans le
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lundi 30 septembre 2024

Opposabilité du brevet et inscription de sa cession : quand la Cour de cassation sacrifie la cohérence à la demi-mesure (Arrêt « Sony » du 24 avril 2024), par Matthieu Dhenne

J'ai à nouveau le plaisir d'accueillir Matthieu Dhenne.  Avocat au Barreau de Paris, Représentant devant la Juridiction Unifiée du Brevet (JUB), Docteur en droit, Matthieu est également chargé d’enseignement à l’université Panthéon-Assas (Paris 2), et Expert auprès de l’OCDE (PMAI).

Par un important arrêt rendu le 24 avril 2024, la Chambre commerciale de la Cour de cassation juge que la cession d’un brevet n’est, à défaut d’inscription au registre, pas opposable aux tiers, mais que la régularisation de cette situation en cours d’instance concerne tous les actes de contrefaçon, y compris ceux antérieurs à ladite régularisation. Bien que pragmatique et mesurée, cette position n’en demeure pas moins incohérente. Une prise en compte nette de la fonction de la formalité publicitaire permettrait d’éviter ce biais en retenant qu’en l’occurrence la publicité n’a pas été conçue pour les tiers contrefacteurs. Ainsi, le cessionnaire serait à même de poursuivre tous les actes de contrefaçon se situant entre la cession et son inscription au registre (NDLR la présente publication résume un commentaire détaillé à paraître prochainement au Recueil Dalloz).

La société Sony Computer Entertainment a, au cours des années 1997 et 2001, déposé trois demandes de brevets européens désignant la France et relatives à des fonctionnalités de la manette de la console « PlayStation ». Au terme d’une opération de scission-création, achevée le 1er avril 2010, les brevets correspondants ont été transférés à la société Sony Interactive Entertainment (ci-après « Sony »). Cette cession a fait l’objet d’une inscription au registre national des brevets le 28 juin 2018. Cependant, avant même cette inscription, le 14 décembre 2016, Sony avait déjà été autorisée à faire exécuter des opérations de saisie-contrefaçon dans les locaux de la société Subsonic tandis que, le 16 janvier 2017, les sociétés filiales de Sony exploitant les brevets en France avaient assigné Subsonic en contrefaçon devant le tribunal judiciaire de Paris.

Les juges du fond, en première instance puis en appel, ont alors retenu, en application de l’article L. 613-9 du Code de la propriété intellectuelle (ci-après « CPI »), que la cession n’était opposable aux tiers qu’à compter de son inscription. Ainsi, seuls les actes de contrefaçon postérieurs à la date de cette publicité – le 28 juin 2018 – étaient sanctionnables. Trois moyens ont été formés à l’encontre de l’arrêt d’appel, dont seul le premier visait la cession, celui-ci monopolisera notre attention ici. La Haute juridiction était en effet interrogée, via ce premier moyen, sur l’impact de la formalité publicitaire d’inscription au registre national des brevets d’une cession de brevet sur l’opposabilité de ce dernier, autrement dit, sur le lien entre la publicité de ladite cession et l’opposabilité du brevet (ou, plus précisément, du droit de brevet avec lequel le brevet demeure souvent confondu). Au visa de l’article L. 613-9 du CPI, la Cour régulatrice rappelle que, à défaut d’inscription du transfert au registre, les droits découlant de la cession ne sont pas opposables aux tiers et que le cessionnaire n’est donc pas recevable à agir en contrefaçon. Toutefois, la régularisation d’une inscription en cours de procédure, conformément à l’article 126 du Code français de procédure civile (ci-après « CPC »), couvrira tous les actes de contrefaçon, c’est-à-dire autant ceux postérieurs à l’inscription que ceux qui lui sont antérieurs.

La première réponse de la Cour de cassation, qui rejette l’opposabilité d’une cession en l’absence d’inscription, est classique. En revanche, la deuxième réponse constitue une nouveauté, ou du moins une clarification (eu égard à la jurisprudence antérieure de la Cour), susceptible de surprendre, notamment en raison d’une certaine incohérence du raisonnement adopté : d’abord, la Cour déduit l’inopposabilité du droit de l’absence d’inscription alors que, ensuite, elle considère que la régularisation de l’inscription en cours de procédure concerne autant les actes qui lui sont postérieurs que ceux qui lui sont antérieurs, bien que ces derniers soient pourtant intervenus entre la cession et l’inscription, durant la période parfois qualifiée de « grise », à un moment où le droit n’était donc, à suivre la première, pas opposable. Bien que l’argument d’opportunité, c’est-à-dire celui du pragmatisme, se comprenne aisément, dès lors que le défaut de publicité peut laisser des actes de contrefaçon sans sanction pour une période parfois relativement longue – en l’espèce presque huit années s’étaient écoulées – il n’en demeure pas moins que d’un point de vue juridique, à proprement parler, voire plus largement sous l’angle de la logique, le raisonnement interpelle par la contradiction des réponses apportées aux deux premières branches du moyen. D’autant plus que l’absence de motivation enrichie de l’arrêt n’est pas faite pour faciliter son interprétation.

Face à l’impasse de l’incohérence du raisonnement de la Cour de cassation, un retour au cœur de la problématique est indispensable : les notions d’opposabilité et de publicité ainsi que leurs relations. La cohérence doit donc, semble-t-il, être recherchée au croisement de ces deux notions. Rappelons que l’article L. 613-9 du CPI prévoit à ce sujet que « tous les actes transmettant ou modifiant les droits attachés à une demande de brevet ou à un brevet doivent, pour être opposables aux tiers, être inscrits sur un registre, dit Registre national des brevets, tenu par l’Institut national de la propriété industrielle ». La doctrine a, quasi unanimement, conclu de ce texte que l’opposabilité du droit de brevet cédé était subordonnée à l’inscription de la cession au registre, autrement dit à la publicité de la cession (dont d’ailleurs le Traité de droit des brevets co-écrit par l’auteur lui-même). Sans doute parce que peu d’auteurs ont consacré la réflexion méritée par cette question. Pourtant, nous sommes bien obligés de reconnaître, que si la réponse théorique classique semble de prime abord s’imposer, le pragmatisme qui irrigue l’arrêt rapporté, se comprend, quant à lui, aisément : tout un chacun admettra que l’atteinte à un droit de brevet, que sa cession ait été ou non inscrite au registre, constitue une contrefaçon et qu’il est inadmissible que le simple défaut d’inscription puisse bénéficier au contrefacteur. À ce titre l’arrêt de la Cour de cassation, en dépit de son incohérence, présente le mérite non négligeable de mettre en lumière la problématique, de sorte qu’il suscite la réflexion. Devrait-on, comme le propose la Haute juridiction, distinguer selon que la publicité ait été régularisée avant l’introduction de l’instance ou au cours de celle-ci ? Cette distinction ne paraît pas justifiable. Devrait-on pour autant se contenter d’une application (mécanique) du texte qui ferait abstraction de son sens ? Nous ne le croyons pas.

Revenons donc au cœur du débat : l’opposabilité. Que recouvre cette notion ? En principe, l’opposabilité est contingente à la notion de droit subjectif, car la reconnaissance par le droit objectif d’un droit subjectif implique son respect par les tiers (i.e., inviolabilité), de sorte que tous les droits sont opposables (i.e., exigibilité). L’opposabilité étant alors définie comme l’aptitude d’un droit à faire sentir ses effets à l’égard des tiers. Dès lors, en l’absence de dispositions législatives limitant l’opposabilité, le droit sera opposable par son titulaire à tous les tiers, même ceux n’en n’ayant pas connaissance : c’est le cas, notamment, quand un tiers commet un acte de contrefaçon, même de bonne foi, ou encore lorsqu’il est confronté à la situation juridique créée par un contrat (C. Civ., art. 1200). La loi peut néanmoins prévoir des exceptions soumettant l’opposabilité à une formalité de publicité : c’est le cas pour la cession d’un brevet, mais aussi, entre autres, pour la publicité foncière (C. Civ., art. 1198), le nantissement d’un fonds de commerce (C. Com., art. L. 142-3) ou encore la fiducie-sûreté (C. Civ., art. 2019, al. 2).

Outre la notion d’opposabilité, il convient de s’intéresser à une autre notion à laquelle elle est intimement liée ici : la publicité. Cette dernière connaît plusieurs sens juridiques, elle est notamment comprise comme le caractère de ce qui est effectivement connu du public ou le caractère de qui est destiné à être connu du public et mis à sa disposition sous forme de moyen d’information à consulter. Ces définitions peuvent être rapprochées de deux compréhensions de la publicité. L’une (dite « subjective »), selon laquelle le droit est opposable indépendamment de la publicité si la finalité réside essentiellement dans la protection des tiers, de sorte qu’il convienne de déterminer quels sont les tiers protégés et que leur connaissance effective d’un acte puisse suppléer le défaut de publicité (comme c’est le cas pour une inscription immobilière), et l’autre (dite « objective »), selon laquelle la publicité constitue l’unique moyen possible de l’information des tiers (comme c’est par exemple le cas pour le droit de préférence issu d’un nantissement). Le choix entre l’une de ces conceptions dépend de la fonction assignée à la publicité, selon que l’on souhaite tenir compte de la bonne ou mauvaise foi des tiers ou, plutôt, garantir la sécurité d’un crédit par exemple. Elles peuvent ainsi être utilisées de façon distributive selon que la publicité soit ou non une condition de validité d’un acte : ce sera le cas pour l’inscription d’une sûreté préférentielle, car le droit de préférence naît de l’inscription en ce qu’il participe du classement nécessaire du droit (C. Com., art. L. 142-3), mais ce ne sera pas le cas en matière de propriété foncière quand il s’agit de déterminer quel est le véritable propriétaire (C. Civ., art. 1198). Cette dernière solution, qui consiste à prendre en considération des tiers concernés par la publicité, est celle qui a été retenue par la Cour de justice de l’Union européenne au sujet de licences de dessin et modèle communautaire et de marque de l’Union dans les affaires Hassan et Philipps : un tiers contrefacteur ne peut se prévaloir de l’absence de publicité de telles licences. En ce sens, l’inscription aurait pour unique rôle l’arbitrage des conflits opposant les propriétaires successifs d’un même bien incorporel. S’il est vrai que la réponse de la Cour de cassation à la seconde branche du moyen semble se rapprocher d’une telle solution, la réponse à la première branche la contredit.

Prudence de la Cour régulatrice sans doute dictée par une crainte de prétendue contrariété avec le droit de l’Union qui connaîtrait une distinction entre licences et transferts de droit, pour les seconds opposabilité et inscription seraient liées, ce qui ne serait pas le cas pour les premières. Le lecteur l’aura compris : nous ne sommes pas d’avis qu’une telle distinction existe, d’autant plus que, fondamentalement, elle nous semble peu justifiable. Pourquoi distinguer la cession de la licence ? Dans un cas comme dans l’autre la fonction de l’inscription n’a pas vocation à être différente, sinon il faudrait retenir que les tiers visés par l’information issue de ces actes ne seraient pas les mêmes. Sans compter, last but not least, que les dispositions européennes spéciales ne devraient être interprétées comme susceptibles de neutraliser l’effectivité de la propriété intellectuelle, laquelle est protégée par l’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

In fine, la question fondamentale que soulève l’article L. 613-9 du CPI réside dans la fonction attribuée à la formalité publicitaire que constitue l’inscription de la cession d’un brevet. Quelle fonction est assignée à la publicité instaurée par l’article L. 613-9 du CPI ? Il semble qu’elle ne concerne pas, essentiellement, les tiers qui auraient intérêt à demander l’annulation du brevet (car cette action semble plutôt fondée sur la liberté du commerce et de l’industrie, et non sur un quelconque droit issu du système des brevets), de sorte que, semble-t-il, elle concerne, avant tout, les propriétaires successifs, au cas où un conflit éclaterait entre eux. Ici, l’examen tend à démontrer que la publicité n’est pas vouée à protéger tous les tiers, mais seulement certains d’entre eux. Nous rejoignons donc la position de la Cour de justice de l’Union en matière de licences, qui se rapproche elle-même de la publicité foncière, en considérant que la publicité vient protéger certains tiers (en l’occurrence les propriétaires d’inventions) et que la connaissance effective de l’acte objet de l’inscription par ces tiers peut suppléer le défaut de publicité.

En pratique deux situations seront ainsi à distinguer. Celle des contrefacteurs, qui ne pourront se prévaloir de l’absence de publicité. Celle des propriétaires successifs, en l’absence de publicité il reviendra au dernier d’entre eux que le tiers avait effectivement connaissance de la cession. Cette compréhension de la publicité au sens de l’article L. 613-9 est confortée par le fait que la formalité de publicité ne constitue pas une condition de validité du droit de brevet per se, en ce que celui-ci existe et est, de lege, opposable indépendamment de son inscription. Le droit de brevet existe et est opposable par lui-même, de sorte que les tiers sont tenus de le respecter en application de la loi, ce qui explique que l’État puisse en tout cas intervenir pour protéger ce droit via l’action pénale.

Pour conclure, si nous pouvons regretter que la Cour de cassation n’ait pas poursuivie plus loin son raisonnement, qu’elle se soit en quelque sorte perdue en chemin, sans doute inquiète d’une prétendue contradiction avec le droit de l’Union, au prix de la cohérence de ses réponses, il n’en demeure pas moins que la position pragmatique adoptée constitue une avancée et qu’elle semble amorcer une prise en compte accrue des tiers (réellement) concernés par l’inscription d’une cession de brevet.



vendredi 27 septembre 2024

T1741/22: la simple génération de données à partir de mesures déjà effectuées n'est pas technique

L'invention portait sur un système d'analyse de données de suivi du taux de glucose dans le sang. Le système se distinguait de celui de D1 en ce qu'il déterminait et représentait des minima et maxima journaliers.


La demanderesse argumentait que cela permettait d'améliorer l'analyse des données pour guider les patient·es et les médecins, en pointant vers des valeurs extrêmes importantes d'un point de vue médical, valeurs qui seraient éliminées par le calcul de percentiles effectué par D1. Le système était ainsi capable de générer de "nouvelles données" utiles.

La Chambre n'est pas convaincue que la simple génération de "nouvelles données" soit suffisante pour conférer un caractère technique. Les méthodes mathématiques, exclues de la brevetabilité, génèrent aussi de nouvelles données. De nouvelles données qui auraient pu conférer une contribution technique seraient des données issues de nouvelles mesures, ce qui n'est pas le cas ici, car le système a déjà effectué des mesures et l'invention porte sur le traitement ultérieur des données générées par ces mesures.

La demanderesse se prévalait de la décision T2681/16. Dans cette affaire la caractéristique distinctive portait sur un algorithme traitant des données déjà mesurées, et la Chambre avait considéré que cette caractéristique, bien que non-technique per se, contribuait à produire un effet technique servant un but technique (en l'espèce la "mesure" de la variabilité en glucose, résultant en une meilleure prédictibilité des événements glycémiques). La présente Chambre est en désaccord avec cette décision et considère que cela n'est pas un effet technique. Le terme "mesure" est souvent employé pour donner un vernis technique, mais en réalité une vraie mesure suppose une interaction avec la réalité technique. Dans cette précédente affaire il ne s'agissait pas d'une vraie mesure, mais de la simple génération de données, qui n'est pas technique.

De même un exemple de contribution technique donné dans les Directives G-II 3.3 (fournir un diagnostic médical à l'aide d'un système automatisé de traitement de mesures physiologiques) n'est pas correct, car la fourniture d'un diagnostic médical ne possède pas de caractère technique (G1/04, 5.3 et 6.3).

Décision T1741/22

 
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