On se souvient de l'affaire T1989/18, dans laquelle la Chambre 3.3.04 avait décidé que l'existence d'incohérences entre certaines parties de la description et les revendications ne pouvait affecter la clarté de ces dernières, de sorte que l'article 84 CBE n'obligeait pas à adapter la description.
Dans la présente affaire, la Chambre 3.2.06 décide au contraire que l'article 84 CBE exige d'adapter la description.
L'Opposante demandait à ce que la requête subsidiaire 2 soit rejetée du fait de contradictions entre son jeu de revendications et la (seule) description figurant au dossier. La revendication mentionnait deux âmes déposées chacune sur un non-tissé différent tandis que la description aux paragraphes [0047] à [0051] décrivait dans un mode de réalisation la formation des âmes sur un seul "écran".
Dans son opinion provisoire, la Chambre avait estimé que cette requête subsidiaire respectait les exigences de la CBE. Elle avait ultérieurement signalé à la Titulaire, qui avait indiqué ne pas vouloir participer à la procédure orale, qu'aucune description adaptée n'avait été déposée. La Titulaire n'avait pas répondu.
La Chambre rappelle que l'exigence de l'article 84 CBE selon laquelle les revendications doivent se fonder sur la description est interprétée par la jurisprudence de manière à exiger que la totalité de la description soit cohérente avec les revendications accordées. L'article 11 RPCR 2020 mentionne d'ailleurs l'étape d'adaptation de la description.
Les paragraphes incriminés sont effectivement incohérents avec la revendication modifiée, de sorte que celle-ci ne se fonde pas sur la description. Concernant la décision T1989/18, la Chambre estime que l'article 84 CBE, intitulé "revendications" ne porte pas que sur la clarté de ces dernières, mais sur trois exigences distinctes: la clarté, la concision et le fondement sur la description. Concernant cette dernière exigence, c'est sur la description, et non sur une partie seulement, que les revendication doivent se fonder. La description dans sa totalité doit donc être cohérente avec les revendications.
Des incohérences peuvent affecter l'interprétation des revendications par les juridictions nationales en application de l'article 69 CBE, et doivent par conséquent être évitées. C'est pour cette question fondamentale de sécurité juridique des tiers que cette exigence de fondement a lors des travaux préparatoires été déplacée du règlement vers la convention elle-même.
Ainsi, des modes de réalisation qui ne sont plus cohérents avec les revendications doivent être supprimés ou clairement identifiés comme ne faisant plus partie de l'invention.
La requête subsidiaire 2 est donc rejetée.
4 comments:
Aie Aie Aie, DX Thomas avait raison, une hirondelle ne fait pas le printemps, la récré est terminée après T1989/18 et ses espoirs d'assouplissement de la pratique pénible de reformater la description...
On a donc deux décision divergentes? une saisine de président SVP? On verra ce que l'avenir nous réserve mais faut pas trop rêver, les directives ont été mises à jour récemment, en ignorant T1989/18, donc ça ne perturbe pas trop le Président...
Bon, je préférai le post de vendredi avec le nourissage des requins.
Je ne tenais aucunement à jouer les oiseaux de mauvais augure, mais une analyse de la jurisprudence montrait clairement que les espoirs suscités dans la profession quant à ne plus avoir à mettre la description en accord avec les revendications tenait plus d’un vœu pieux que d'une appréciation réaliste de la situation.
T 1024/18 a remis les pendules à l'heure. Elle n'est, et de loin, pas une décision isolée mais il y a eu avant, et surtout après T 1989/18, bien d'autres décisions qui ont confirmé le fait que la description devait être adaptée aux revendications.
Si des CR décident directement la délivrance ou la maintenance sous forme modifiée en présence d'une description adaptée ou qu'elles renvoient à la première instance pour adaptation de la description, avant la délivrance ou la maintenance sous forme modifiée, elles montrent bien que la description doit être adaptée aux revendications.
L’intermède T 1989/18 est terminé!
Compter sur une saisine du président pour une décision qui va à l'encontre de la jurisprudence dominante est prendre ses désirs pour des réalités.
Je pense que T 1024/18 a été accueillie avec un soupir de soulagement à l’OEB.
Si d’aventure la dernière phrase de l’Art 84 était supprimé, alors effectivement il n’y aurait plus besoin d’adapter la description aux revendications.
Par contre, les déclarations du déposant au cours de l’examen devraient alors être prises en compte lors d’un litige portant sur l’interprétation des revendications délivrées. En d’autres termes, il n’est pas possible d’avoir le beurre et l’argent du beurre.
Je suis de la profession mais pour autant la précédente décision n'avait suscité aucun espoir chez moi, bien au contraire. Que dire à son client lorsque le brevet du concurrent est limité dans ses revendications à un mode de réalisation, mais que d'autres modes sont toujours présentés comme conformes à l'invention dans la description? N'y a-t-il pas un risque qu'un juge peu regardant veuille élargir la revendication pour couvrir ces autres modes? En tout cas l'avocat du titulaire le tentera, ce qui génèrera des débats longs et inutiles.
La sécurité juridique avant tout! Et en pratique ce n'est pas si pénible que ça d'adapter la description. En tout cas je n'ai jamais eu de difficultés à le faire.
Je n'avais pas compris non plus la précédente décision qui se focalisait sur la clarté, comme si l'article 84 ne portait que sur la clarté.
Je souhaite simplement attirer votre attention sur deux décisions publiées aujourd'hui 08.04.2022 qui montrent clairement que les CR ne sont pas prêtes à suivre T 1989/18.
Dans l'affaire T 2613/18 Raisons 2.1), la chambre a estimé qu'une revendication qui n'est pas conforme à la description n'est pas soutenue par la description au titre de l'article 84. L'exigence de "soutien par la description" reflète le principe juridique général selon lequel l'étendue du monopole du brevet, telle que définie par les revendications, doit correspondre à la contribution technique à l'art pour qu'il soit soutenu ou justifié (voir par exemple T 133/85, Headnote 1 ; T 409/91, Motifs 3.3).
La demande a été refusée pour manque d'AI, mais le refus a été confirmé car la revendication 1 de la RA n'était pas supportée par la description et les RA1-4 n'ont pas été admises dans la procédure car déposés tardivement.
Dans T 121/20 raisons 10), le brevet a pu être maintenu sous une forme modifiée selon la RA4. S'appuyant sur T1989/18 le titulaire a considéré qu'il n'y avait pas de disposition générale dans la CBE qui exigeait une adaptation de la description.
La chambre a clairement indiqué qu'elle ne suivait pas la décision T 1989/18.
A cet égard, la présente chambre a approuvé le raisonnement exposé dans la décision T 1024/18 (voir point 3.1 des motifs), selon lequel la disposition de l'article 84 concerne les revendications en général et couvre en fait trois exigences distinctes sur les revendications, à savoir leur clarté, leur concision et leur soutien par la description.
Selon la chambre, le critère selon lequel les revendications doivent être "soutenues par la description" n'est en aucun cas subordonné à l'exigence de "clarté" des revendications, mais constitue une exigence propre (tout comme la concision des revendications). L'exigence de l'article 84, selon laquelle les revendications doivent être soutenues par la description, inclut l'exigence que la description soit cohérente avec les revendications, non seulement dans une partie mais dans son intégralité.
Ainsi, lorsque des modifications sont apportées aux revendications (modification des revendications acceptées dans le cas présent), la description doit être rendue cohérente avec celles-ci dans le sens où le lecteur ne se voit pas présenter d'informations contradictoires avec le libellé des revendications.
La chambre a renvoyé à la division d'opposition pour maintien du brevet sur la base de la RA4, ce qui implique que la description doit être adaptée aux revendications.
Ce n'est que si la dernière condition de l'Art 84 est supprimée que la description n'aura plus besoin d'être mise en conformité avec les revendications, mais ceci arrivera le jour où les poules auront des dents.
je me permets aussi de rappeler que toute la saga Actavis/Eli Lilly n'aurait pas eu lieu si la description avait été limitée à la contribution effective du brevet qui était l'association du disodium de pemetrexed associé à un antifolate tel que la vitamine B12. Rien d'autre n'a été divulgué et revendiqué.
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