Un lecteur, que je remercie, me signale cette décision, dans laquelle la Chambre 3.5.06 apporte une contribution intéressante au débat actuel sur l'adaptation de la description.
La description proposée était à plusieurs égards incohérente avec le jeu de revendications modifié: elle définissait l'invention en n'incluant pas toutes les caractéristiques revendiquées et définissait comme mode de réalisation de l'invention des dispositifs ne contenant pas toutes les caractéristiques revendiquées. En outre, elle indiquait que des modifications obtenues par toutes combinaisons (non spécifiées) restaient dans la portée de la revendication.
Même si elle n'a pas d'objections quant au libellé des revendications, la Chambre considère que du fait des incohérences entre la description et les revendications, l'étendue de la protection ne peut être déterminée précisément, de sorte que l'article 84 CBE n'est pas respecté.
S'il n'existe pas dans la CBE d'obligation explicite "d'adapter" la description, la demande ou le brevet devrait toujours être modifié dans son ensemble de sorte que la description de l'invention reste en cohérence avec les revendications.
La décision motive cette obligation en se basant sur le but de l'article 84 CBE. Selon cet article, les revendications "définissent l'objet de la protection demandée", ce qui pour la Chambre confère des exigences supplémentaires à la demande dans son ensemble.
L'objet de la protection est en effet crucial pour déterminer l'étendue de la protection conférée selon l'article 69 CBE. En tant que titre juridique, il est essentiel que l'étendue de la protection puisse être déterminée précisément et les exigences de clarté et de concision de l'article 84 CBE servent ce but (G2/88, 2.5). Les exigences de clarté et de concision de l'article 84 CBE ont pour but de permettre de déterminer précisément l'étendue de la protection, mais elles ne sont pas suffisantes en elles-mêmes pour atteindre ce but.
L'interprétation des revendications doit se faire par une personne du métier, la description pouvant parfois définir un terme particulier. L'article 69 CBE exprime le fait qu'un brevet ou une demande doit être interprétée dans son ensemble. La fonction des revendications n'est atteinte que si l'étendue de la protection peut être déterminée précisément, et la description doit être prise en compte pour en décider.
Si une revendication porte sur un objet qui est différent de celui décrit comme étant l'invention, la demande se contredit elle-même et l'on peut se demander pour quel objet la protection est vraiment recherchée. Pour déterminer précisément l'étendue de la protection, la définition donnée par les revendications doit donc être cohérente avec la définition de l'invention donnée par les revendications.
La cohérence est aussi nécessaire pour des raisons de sécurité juridique.
La Chambre se déclare donc en désaccord avec la décision T1989/18, ainsi qu'avec la décision T2194/19, car, vis-à-vis de cette dernière, elle considère que les "modes de réalisation de l'invention" doivent tomber dans la portée revendiquée.
La décision n'est pas contradictoire avec la jurisprudence selon laquelle les revendications doivent être claires en elles-mêmes, car l'exigence de clarté de l'article 84 CBE se distingue du but de cet article, lequel est de pouvoir déterminer précisément l'étendue de la protection.
2 comments:
La question de la cohérence est un point de consensus il me semble qui est déjà réglé:
Quand la revendication 1 porte sur A+B+C1, un mode de réalisation de la description qui décrit A+B+C2 est incohérent avec la revendication 1 si et seulement si C2 est incompatible avec C1.
Aussi, un mode de réalisation qui décrit uniquement D n'est pas incohérent avec la revendication 1 s'il est compatible avec la revendication 1, même s'il n'en décrit pas tous les éléments, voire aucun élément.
Je comprends pas comment on peut remettre ça en question puisque c'est de la pure logique.
Je vois plus le débat sur le vocabulaire. Est-ce que "embodiment", ou "invention" ne doivent être utilisés dans la description que pour quelque chose qui apparaît effectivement dans les revendications (et je parle pas de protection ou de cohérence mais juste d'un truc qui est écrit dans une revendication). Et là-dessus, il n'y a aucune base légale justifiant les positions extrémistes de certains.
Le souci de la demande objet de la décision ne me semble pas que la description comporte des modes de réalisation non couverts par les revendications...
... mais simplement que la description ne comporte pas de mode de réalisation couvert par les revendications et uniquement des modes de réalisations incompatibles avec celles-ci. (cf. point 32, 34 de la décision)
Autant j'ai du mal avec les arguments selon lesquels tous les exemples de réalisation doivent tomber dans la portée des revendications, autant je ne peux qu'admettre qu'effectivement au moins l'un d'eux doit être dans la portée des revendications, ne serait-ce que pour une question de suffisance de description.
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