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jeudi 27 novembre 2025

T866/24: la clarté des revendications dépendantes est de moins en moins examinée

L’Opposante soutenait que les caractéristiques peu claires à la base des modifications apportées à la revendication 1, fondées sur la description du brevet, s’appuyaient sur des formulations correspondantes peu claires provenant de la revendication dépendante 6 telle que délivrée. A ses yeux, soulever une objection au titre de l’article 84 CBE contre des caractéristiques peu claires issues de revendications dépendantes délivrées devrait dans de telles circonstances être admissible.

La Chambre partage les préoccupations de l’opposant. Selon sa propre perception, il existe une tendance récente à ce que les revendications dépendantes soient de moins en moins examinées au regard de la clarté lors de la procédure d’examen, bien que leur examen complet au titre de l’article 84 CBE n’ait pas été jugé « irréaliste » dans la décision G 3/14 (pt 32). Un tel examen complet est même expressément encouragé par la Grande Chambre de recours dans la décision G 1/24 (pt 20) 

La justification d’une telle indulgence peut résider dans l’hypothèse que la protection conférée par un brevet délivré est définie uniquement par les revendications indépendantes. Mais lorsque des revendications dépendantes sont ensuite ajoutées à une revendication indépendante au cours de la procédure d’opposition, les opposants se trouvent finalement confrontés à des caractéristiques de revendication peu claires qui, comme dans le cas présent, sont réputées avoir été examinées quant à la clarté, bien que de facto elles ne l’aient pas été. Néanmoins, elles ne peuvent être contestées au titre de l’article 84 CBE en raison des conclusions de la décision G 3/14.

La Chambre juge ce résultat insatisfaisant, car une revendication indépendante comportant des caractéristiques peu claires laisse beaucoup de place à l’imagination des lecteurs et lectrices. De plus, les caractéristiques peu claires tendent à échapper à une comparaison sensée avec l’état de la technique pertinent. En outre, puisque les opposants ne peuvent anticiper avec certitude quelle interprétation des revendications sera adoptée par la Chambre ou par un tribunal dans le cadre d’une procédure en contrefaçon, ils peuvent se sentir obligés de présenter différentes lignes d’argumentation pour toutes les interprétations potentielles. Interdire catégoriquement aux opposants, dans de tels cas, de soulever des objections de clarté au titre de l’article 84 CBE entraîne des complexités indues dans la discussion sur la nouveauté et l’activité inventive, au détriment non seulement des opposants, mais aussi des divisions d’opposition et des chambres de recours.


Décision T866/24

lundi 24 novembre 2025

T1044/23: un usage antérieur non reproductible peut être choisi comme état de la technique le plus proche

Résumé: des produits commerciaux non reproductibles peuvent être choisis comme état de la technique le plus proche. La mesure dans laquelle un produit non reproductible doit être modifié pour obtenir l'objet revendiqué, et le niveau de connaissances sur ce produit et sa fabrication requis pour y parvenir ne deviennent pertinents que pour les étapes ultérieures de l'approche problème-solution.

L'Opposante citait des résines commerciales DMDA comme art antérieur, préjudiciable à la nouveauté  s'agissant du brevet tel que délivré, et à l'activité inventive pour les requêtes subsidiaires 2 et suivantes.

La division d'opposition avait décidé que ces résines ne faisaient pas partie de l'état de la technique car leur procédé de fabrication n'était pas suffisamment décrit pour que la personne du métier puisse les reproduire.

Compte tenu de G1/23, la Chambre annule cette décision, la reproductibilité du produit commercial n'étant plus un critère pour l'appartenance à l'état de la technique. Les factures et certificats d'analyse soumis par l'Opposante montrent d'une part que les résines ont été commercialisées avant la date de priorité du brevet et d'autre part qu'elles divulguent les caractéristiques revendiquées.

La requête subsidiaire 2 restreignait la plage de densité à 0,955-0,970 (contre 0,952 pour les résines DMDA).

L'Opposante soutenait que ces résines ne pouvaient constituer un point de départ valable, étant donné que la personne du métier n'était pas capable de les reproduire.

La Chambre fait remarquer que G1/23 (95 et 96) n'exclut pas qu'un produit non reproductible puisse être choisi comme état de la technique le plus proche; cela dépend des circonstances de l'affaire.

D1 et D9 enseigne que les résines DMDA étaient des composition de polyéthylène utilisables en moulage par injection et donnant de bonnes résistances mécaniques. Ceci correspond au domaine technique et aux avantages alléguées par le brevet en cause. Cette information rend donc les résines DMDA comme pertinentes pour la personne du métier.

Même si ces résines n'étaient pas reproductibles, ceci ne constitue pas une raison pour les écarter, car la personne du métier peut modifier des résines commerciales, dans la limite de ces compétences, pour obtenir des propriétés différentes. La personne du métier aurait aussi pu analyser la composition des résines DMDA et essayer de reproduire certaines de leurs propriétés.

Les résines DMDA sont donc un point de départ réaliste.

La Chambre fait en outre remarquer qu'un produit commercial non reproductible, qui peut être utilisé, analysé et modifié, n'est pas comparable à un art antérieur défectueux ou spéculatif.

La question de savoir dans quelle mesure ces résines doivent ou peuvent être modifiées n'est pertinente que pour les étapes suivantes de l'approche problème-solution.

Le problème technique objectif est de fournir une composition de résine alternative. Ainsi, il n'y a pas besoin d'un pointeur particulier vers une augmentation de la densité.

La question pertinente est de savoir si la personne du métier aurait été capable d'identifier les moyens permettant d'aboutir à une composition telle que revendiquée, sans efforts indus. La personne du métier aurait certes su comment augmenter la densité de la résine, mais il n'est pas démontré qu'elle aurait pu maintenir sans difficulté les autres caractéristiques du polymère (MIE, MIF, ER...). 

La Chambre considère qu'il n'a donc pas été prouvé que la personne du métier aurait su comment modifier les résines DMDA afin d'atteindre une résine telle que revendiquée.

La résine de la requête subsidiaire 2 implique donc une activité inventive en partant des résines commerciales DMDA.


Décision T1044/23

jeudi 20 novembre 2025

T1469/24: opposition par un homme de paille

Le brevet en cause était à la fois soumis à une opposition et à une action reconventionnelle en nullité devant une division locale de la JUB.

L'Opposant était un mandataire en brevets européen, et agissait par ailleurs, devant la JUB, en tant que représentant des demandeurs à la nullité et défendeurs de l'action en contrefaçon.

La Titulaire demandait à ce que l'opposition soit rejetée comme irrecevable car l'utilisation d'un homme de paille constituait dans ce cas un contournement abusif de la loi, empêchant de savoir quelle société du groupe attaqué devant la JUB était réellement l'opposante.

La Chambre rappelle que G3/97 a donné deux exemples de contournement abusif de la loi: que l'opposante agisse pour le compte de la titulaire, ou pour contourner les obligations en terme de représentation par des mandataires agréés. Ceci ne s'applique pas au cas d'espèce.

Ces deux exemples ne sont pas exhaustifs. Mais il ressort de G3/97 que l'intérêt économique pour les titulaires de savoir qui attaque le brevet n'est pas protégé par les dispositions législatives de la procédure d'opposition. L'opposition est ouverte à toute personne, qui n'a pas à justifier d'un intérêt à agir.

Une opposition formée par un homme de paille n'est pas nécessairement recevable, mais on ne peut certes pas objecter une opposition simplement parce que l'opposantes agit en tant qu'homme de paille. Par ailleurs, la division d'opposition n'a pas à investiguer d'office sur cette question d'abus de procédure: la charge de la preuve revient à la partie qui prétend que l'opposition serait irrecevable, laquelle doit apporter une preuve claire et convaincante.

 Décision T1469/24

lundi 17 novembre 2025

T2615/22: pas de remise en cause en opposition d'une décision de la section de dépôt sur la restauration du droit de priorité

Dan la présente affaire, la section de dépôt avait fait droit à la requête en restauration du droit de priorité pour la demande parente. 

A l'issue de la procédure de recours dans le cadre de l'opposition contre le brevet parent, la Chambre avait décidé (T1482/21) (1) que la section de dépôt était compétente pour rendre une telle décision, et (2) que cette décision devenait immédiatement définitive, de sorte que la division d'opposition ou la Chambre de recours ayant à décider sur les questions de priorité dans des procédures subséquentes ne pouvaient la remettre en question.

Dans le cadre de la procédure d'opposition contre le brevet issu d'une division de cette demande parente, la même Chambre, dans une composition différente, confirme cette jurisprudence.

La section de dépôt était compétente en application de la règle 10 CBE, et l'examen au dépôt de l'article 90(1) CBE inclut l'examen formel pour l'attribution d'une date de dépôt, étant entendu que selon l'article 89 CBE la date de priorité compte comme date de dépôt dans certaines circonstances et que la déclaration de priorité doit de préférence être faite au moment du dépôt.

La Chambre ne partage pas l'opinion de l'Opposante selon laquelle il n'existerait pas de base légale quant au fait qu'une décision accordant une restauration des droits deviendrait finale et définitive. Si la section de dépôt fait droit à la requête, la demanderesse ne peut former un recours (article 107 CBE); cette décision, contre laquelle aucune partie ne peut former de recours devient donc immédiatement définitive. 

La procédure d'opposition n'est pas conçue pour être le prolongement de la procédure d'examen, de sorte qu'une division d'opposition n'a pas le pouvoir de réviser et d'annuler une décision procédurale prise en examen. L'opposition doit être fondée sur un nombre limité de motifs. Une division d'opposition peut révoquer un brevet ou rejeter une opposition, mais ne peut annuler une décision prise par la division d'examen ou par la section de dépôt. La décision de restauration du droit de priorité ne concerne pas l'examen d'exigences de fond de la CBE qui pourrait former un motif d'opposition. Elle ne concerne qu'une question procédurale qui a été décidée dans une procédure ex parte. Le fait que cette question procédurale puisse avoir un impact sur l'existence du brevet n'est pas pertinent. Il en est de même pour une décision de restauration concernant un délai de paiement de taxes, qui ne peut être révisée en opposition. Le fait de pouvoir réviser à tout moment une décision de la section de dépôt créerait une insécurité juridique considérable.


Décision T2615/22

jeudi 13 novembre 2025

T769/23: pas de "teach away" dans le cas d'une modification non-fonctionnelle

Le procédé de réduction de sons indésirables revendiqué se distinguait de celui de D2 par une caractéristique (e) selon laquelle "l'étape d'atténuation comprend en outre la détermination de l’atténuation de fréquences sélectionnées sur la base de la magnitude ou de la puissance de la différence entre les signaux des microphones gauche et droit, ou d’une valeur dérivée de cette magnitude ou puissance."

La Chambre considère que l'effet technique allégué d'amélioration du rapport signal-sur-bruit n'est pas obtenu de manière crédible sur toute la portée de la revendication. En effet, le simple fait de "déterminer" n'implique pas que la valeur déterminée soit appliquée d'une manière ayant un quelconque effet technique. Cette étape pourrait simplement servir un objectif non-technique, tel que l'enregistrement ou l'affichage d'une valeur à titre informatif, sans impact fonctionnel.

La Chambre reconnaît que dans un tel cas, il est usuel de reformuler le problème technique objectif comme étant de fournir une alternative, ce qu'a fait la division d'opposition. C'est notamment l'approche de T1179/16, selon laquelle la personne du métier prendrait dans ce cas en compte toute alternative connue dans le domaine technique, à moins que l'état de la technique le plus proche ne dissuade explicitement d'y recourir (teach away).

La présente Chambre est toutefois d'avis qu'une telle approche peut conduire à des paradoxes. Le teaching away présuppose en effet une raison technique pour éviter la caractéristique, ce qui n'est pas logique si la caractéristique en elle-même n'a pas d'effet technique. Pour la Chambre une caractéristique dépourvue d'effet technique ne peut faire l'objet d'un teach away

Il convient de faire la distinction entre des alternatives fonctionnelles et des modification non-fonctionnelles. Ce n'est que dans le premier cas que le problème doit être reformulé comme la fourniture d'une alternative. Dans l'autre cas, il faut appliquer l'approche de T1465/23, à savoir directement conclure à l'absence d'activité inventive, sans formuler de problème technique objectif qui serait artificiel.

La caractéristique (e) étant une modification non-fonctionnelle de D2, elle ne peut contribuer à une activité inventive.


Décision T769/23

lundi 10 novembre 2025

T1849/23: où la consultation de la description confère un sens plus large à la revendication

Dans cette décision, la description du brevet est utilisée par la Chambre pour donner à des caractéristiques un sens plus large que le sens littéral, car une interprétation littérale conduirait à exclure la seule mise en œuvre spécifique décrite dans le brevet.

Le dispositif de contrôle de la stabilité et de détection des oscillations d’une remorque revendiqué comprenait (1.3) un capteur de vitesse angulaire positionné et configuré pour mesurer la vitesse de la déflexion angulaire de la remorque (1.3.1) autour d’un point de pivot d’attelage et (1.3.2)  pour générer des signaux correspondants de vitesse de déflexion angulaire de la remorque. 


La Chambre reconnaît, comme le soutient la Titulaire, que lorsque la revendication est lue isolément, les caractéristiques 1.3.1 et 1.3.2 peuvent être interprétées littéralement, de sorte que le capteur de vitesse angulaire mesure la vitesse de l’angle formé par un axe passant par le point de pivot de l’attelage par rapport à un axe de référence.

Cependant, conformément à la décision G 1/24, la description et les dessins doivent toujours être consultés pour interpréter les revendications lors de l’évaluation de la brevetabilité, ce qui implique que l’interprétation des revendications doit prendre en compte à la fois le libellé de la revendication et le contenu de la description.

Or, le brevet divulgue un capteur gyroscopique comme seule mise en œuvre spécifique du capteur de vitesse angulaire revendiqué. Un tel capteur mesure la vitesse de lacet de la remorque, c'est-à-dire la vitesse de l’angle formé par un axe passant par le point de pivot de l’attelage par rapport à un axe de référence, lorsque la vitesse de lacet du véhicule tracteur est nulle ou négligeable (par exemple, lorsque le véhicule tracteur se déplace en ligne droite). 

Par conséquent, lorsqu’on consulte la description, la revendication ne peut être interprétée strictement comme exigeant la mesure de la vitesse de l’angle formé par un axe passant par le point de pivot de l’attelage par rapport à un axe de référence dans toutes les conditions ou mouvements du véhicule tracteur. Elle exige seulement que cette vitesse puisse être mesurée dans certaines conditions, par exemple lorsque la vitesse de lacet du véhicule tracteur est nulle ou négligeable.

Puisque le document D4 divulgue un capteur de vitesse de lacet monté sur la remorque qui mesure la vitesse de la déflexion angulaire autour du point de pivot de l’attelage lorsque le véhicule tracteur roule en ligne droite, il s’ensuit que les caractéristiques 1.3 à 1.3.2 sont connues de D4.


Décision T1849/23

lundi 3 novembre 2025

T883/23: la divulgation directe et non ambigüe de G2/98 n'est qu'une condition nécessaire

La revendication 1 de la requête principale portait sur l'irinotécan liposomal pour une utilisation dans un procédé de traitement du cancer du pancréas, par administration toutes les deux semaines de certaines doses précises de 4 substances, dont 60mg/m² d'irinotécan liposomal et 60mg/m² d'oxaliplatine . 

Le brevet démontre que la double sélection de 60mg/m² d'irinotécan liposomal et de 60mg/m² d'oxaliplatine permet d'obtenir une tolérance au traitement, contrairement à des doses plus élevées.

P1 décrivait en revendications 5 et 8 des doses de 60 ou 80mg/m² pour l'irinotécan liposomal et 60mg/m², 75mg/m² ou 85mg/m² pour l'oxaliplatine. Mais il faut procéder à une double sélection pour aboutir à la combinaison revendiquée.

P1 contenait en outre, dans le cadre d'une étude d’escalade/désescalade de dose, une proposition conditionnelle pour l'utilisation de ces doses, en tant qu'élément d'une étude à réaliser, mais les résultats de l'étude ne sont pas donnés. 

Pour la Chambre, cette proposition conditionnelle ne peut être considérée comme un pointeur vers cette combinaison comme étant la seule à être tolérable.

L'enseignement selon lequel la combinaison revendiquée est la seule à pouvoir être tolérée, à l'inverse des doses plus élevées, ne figure pas dans P1. a tolérance clinique de la combinaison revendiquée n'était révélée que dans la demande ultérieure et la Chambre considère cette tolérance comme une caractéristique fonctionnelle essentielle dans le cadre de l'article 54(5) CBE.

La Chambre fait en outre remarquer que la condition de divulgation directe et non ambiguë de G2/98 est une condition essentielle mais pas suffisante. Par exemple, la jurisprudence exige en outre une suffisance de description de l'invention dans le document de priorité.


Décision T883/23

 
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