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lundi 1 juillet 2024

T439/22: saisine de la Grande Chambre sur la prise en compte de la description pour l'interprétation des revendications

Le brevet en cause a pour objet une cigarette électronique comprenant un substrat générateur d'aérosol 1020 comprenant, dans la langue du brevet, "a gathered sheet".



La question est de savoir si la feuille enroulée en spirale de D1 est une telle "gathered sheet". 

La Division d'opposition avait estimé que ce terme avait un sens clair dans le domaine technique de l'industrie du tabac (feuille pliée le long de lignes pour occuper un espace tridimensionnel), et qu'il ne couvrait pas les feuilles enroulées de D1. 

L'Opposante argumentait au contraire qu'il fallait interpréter ce terme à la lumière de la description (§35 et 38), laquelle lui donnait un sens plus large (convoluted, folded or otherwise compressed), couvrant les feuilles enroulées de D1.

On notera que le cas de figure est différent de situations plus habituelles où la Titulaire entend se prévaloir d'une définition plus restrictive contenue dans la description.

La réponse dépend donc de la question de savoir si et dans quelle mesure la description peut ou doit servir à interpréter les revendications, question qui fait débat dans la jurisprudence (voir notamment T1473/19, T1924/20 et T169/20). Certaines décisions considèrent que l'article 69 ne peut être utilisé que l'application de l'article 123(3) CBE, tandis que d'autres jugent qu'il doit toujours être appliqué pour l'appréciation de la brevetabilité, et qu'encore d'autres considèrent que la description ne peut être consultée que pour clarifier le sens de termes obscurs.

Compte tenu des ces divergences, la Chambre pose les questions suivantes à la Grande Chambre de recours:

  1. L'article 69 (1), deuxième phrase CBE et l'article 1 du Protocole sur l'interprétation de l'article 69 CBE doivent-ils être appliqués à l'interprétation des revendications de brevet lors de l'évaluation de la brevetabilité d'une invention au titre des articles 52 à 57 CBE ?
  2. La description et les figures peuvent-elles être consultées lors de l'interprétation des revendications pour évaluer la brevetabilité et, dans l'affirmative, cela peut-il être fait de manière générale ou seulement si la personne du métier estime qu'une revendication n'est pas claire ou ambiguë lorsqu'elle est lue isolément ? 
  3. Une définition, ou information du même type, sur un terme utilisé dans les revendications qui est explicitement donnée dans la description peut-elle être ignorée lors de l'interprétation des revendications pour évaluer la brevetabilité et, dans l'affirmative, dans quelles conditions ?


Décision T439/22 (saisine G1/24)


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7 comments:

DXThomas a dit…

Que certains s’en amusent, peu me chaut, mais la présente saisine a effectivement été discutée dans un autre blog.

La question de l'application de l'Art 69 et de l'Art 1 du Protocole interprétatif dans les procédures devant l'OEB se pose de manière répétée depuis un certain temps, et il est bon qu'une CR ait maintenant décidé de saisir la GCR de cette importante question.

Il convient de noter que l'analyse de la jurisprudence divergente par la CR dans sa saisine est tout à fait impressionnante et démontre en fait la nécessité d'une telle saisine.

La saisine a été limitée à l'application de l'Art 69 et de l'Art 1 du Protocole interprétatif, lorsqu'une demande ou un brevet doit être évalué au regard des Art 52 à 57.

La CR n'a pas mentionné l'Art 123(2) dans sa saisine, Cette position diffère de celle adoptée dans les décisions T 450/20 et T 1473/19. Dans T 450/20, la CR a refusé de soumettre à la GCR des questions relatives à l'application de l'Art 69 et de l'Art 1 du Protocole interprétatif.

Bien que les T 450/20 et T 1473/19 les CR aient considéré la primauté des revendications, elles ont estimé l'Art 69 et de l'Art 1 du Protocole interprétatif devraient également être appliqués lors de l'évaluation de l’extension d’objet selon l’Art 123(2).

Il va de soi que l'Art 69 et de l'Art 1 du Protocole interprétatif puissent jouer un rôle dans le respect des dispositions de l’Art 123(3) en opposition.

Il faut espérer que la GCR ne commencera pas à réécrire les questions pour répondre à des questions qui ne lui ont pas été soumises.

La CR doit être soutenue dans sa volonté de ne pas inclure l'Art 123(2) dans sa saisine.

Laurent Teyssèdre a dit…


@DXThomas: vous pouvez mettre le lien vers votre blog, pas de soucis (il est d'ailleurs mentionné dans la colonne de gauche):
https://blog.ipappify.de/t-489-22-the-referral-to-the-eba-on-art-69-has-been-published/

Mandataire extérieur a dit…

@DXThomas : Faisant partie de ceux qui se sont "amusés", je tiens à vous préciser que ce n'était que dans l'esprit, dirais-je, parfois impertinent et léger des commentaires de ce blog. Mais si vous l'avez mal vécu, je le regrette, d'autant plus que je lis toujours avec intérêt vos commentaires et vos articles de blog.

Anonyme a dit…

Je fais aussi partie de ceux ayant parfois, c'est vrai, souri à la lecture de la mention du fait que la décision a été commentée sur un autre blog. Et si peu vous chaut ché que ché pas chi grave.

Franco-belge a dit…

L'avantage de ce blog-ci (et la raison pour laquelle je l'aime bien) est que les messages sont courts et concis, avec juste ce qu'il faut de la décision pour la compréhension du message. D'autres blogs (au pluriel, je n'en vise aucun en particulier) se sentent obligés de nous fournir un long résumé de la décision ou de longs extraits qui ne me sont utiles que lorsque la décision est en allemand, car sinon je préfère lire l'original.
L'on aura donc compris que le simple fait de mentionner qu'une décision commentée ici l'a été ailleurs ne me suffit pas pour aller voir ailleurs. Et que cela ne me fait même pas sourire (dommage, dirons certains).

Francis Hagel a dit…

C’est peu dire que cette décision est surprenante. Elle traite en effet de l’interprétation des revendications à l’OEB en se focalisant uniquement sur l’application de l’article 69, en passant complètement sous silence le principe bien établi dans la jurisprudence des chambres de recours sur les règles d’interprétation pour l’appréciation de la nouveauté, tant et si bien qu’on ignore si la décision met en cause ou au contraire approuve ce principe.
Ce principe est exposé comme suit dans la section I.C.4.1 du recueil de la jurisprudence des chambres de recours, intitulée « Règles générales d’interprétation » (édition 2022, non modifiée en 2024) :
« En vertu d’un principe bien établi de la jurisprudence des chambres de recours, il faut donner à une définition générale figurant dans une revendication sa signification techniquement la plus large (T 79/96 et T 596/96). »

Ce principe implique à l’évidence que la description et le cas échéant les dessins sont utilisés pour la compréhension des termes d’une revendication. C’est très clair dans la section I.C.4.1 et de plus, illustré très concrètement par le fait que lorsque la demande contient des dessins, les repères numériques reliant la description aux dessins doivent figurer dans les revendications.

Ce qui me conduit à considérer que le débat entre les CR sur les modalités d’utilisation de la description dans le cadre de l’article 69, qui concerne l’appréciation de l’étendue de la protection, en particulier le contexte des procédures devant les tribunaux, est largement académique et ne doit surtout pas être appliqué à l’appréciation de la validité par l’OEB comme le recommande la chambre dans la raison 6.3.2.

Plusieurs décisions récentes font application du principe d’interprétation de la jurisprudence exposé dans la section I.C.4.1 : T 1705/17, T 1553/19, T 1628/01, et tout dernièrement
T 1208/21 du 9 avril 2024 qui souligne dans la raison 2 qu’il s’agit là de l’approche partagée par les chambres de recours :
Reason 2. A claim which is clear by itself should be interpreted as broadly as technically reasonable in the relevant technical field. This represents the commonly accepted approach on claim interpretation by the Boards of Appeal when assessing inter alia the patentability requirements of Articles 54 and 56 EPC, as was also confirmed in recent decisions, for example T 1628/21, reasons 1.1.2 and 1.1.7, or T 447/22 reasons 13.1 (see also the case law cited in these decisions).


Francis Hagel a dit…

Suite

Je pense pour ma part qu’il y a une erreur de principe dans la décision T 439/22, consistant à sous-estimer les différences entre le contexte de l’interprétation des revendications devant les tribunaux et celui de l’examen devant l’OEB, et à vouloir en conséquence unifier les règles d’interprétation quel que soit le contexte.

Dans une procédure de contrefaçon comportant également une action reconventionnelle en annulation du brevet, la question de l’interprétation des revendications est focalisée sur les termes de la revendication sur lesquels les parties sont en désaccord. Les termes en débat sont ceux qui sont critiques pour l’appréciation de la contrefaçon, et sont donc fonction de l’objet argué de contrefaçon. Ils sont donc définis in concreto.

A l’inverse, dans l’examen d’une demande devant l’OEB, il n’y a pas d’objet argué de contrefaçon auquel l’invention revendiquée peut être comparée. La question de l’interprétation des revendications se pose in abstracto. Cela justifie que la règle d’interprétation soit la plus simple et générale possible, ce qui est le cas de la règle définie dans la section I.C.4.1.

Une autre différence considérable est celle des ressources qui peuvent être consacrées à la question. A ce point de vue, le contexte de l’examen, avec les limites drastiques de temps et de ressources qu’il impose, est évidemment très éloigné de celui d’une procédure devant les tribunaux.

La chambre recommande à la raison 6.2.5 une modification radicale de la procédure d’examen, qui consisterait à instituer une étape préalable pour vérifier que les termes des revendications sont pleinement justifiés au regard de la description et les dessins. Cette recommandation est cohérente avec sa perspective d’unification des règles d’interprétation dans le cadre de l’article 69. Mais une telle vérification représenterait une surcharge très significative pour les examinateurs, qui me semble tout à fait irréaliste compte tenu des limites dictées par leurs objectifs de production. Et elle créerait à coup sûr des sources fréquentes voire systématiques de débat avec les déposants, et autant d’incertitudes et d’augmentation des coûts et des délais.

 
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