Cette décision est intéressante en ce que la JUB adopte une interprétation de la revendication différente de celle adoptée jusqu'ici par l'OEB, et considère qu'indépendamment de sa propre opinion sur la validité du brevet, il est probable que l'OEB conserve son opinion et révoque le brevet.
La société Alexion avait formé une action en interdiction provisoire contre la société Amgen devant la division locale de Hambourg sur la base de son brevet unitaire EP3167888 portant sur une composition pharmaceutique comprenant un anticorps liant C5 et constitué d'une chaîne lourde d'une certaine séquence et une chaîne légère d'une autre séquence.
En parallèle, Amgen a formé opposition devant l'OEB contre le brevet européen.
Amgen argumentait que son produit BEKEMV (eculizumab), indiqué pour le traitement de l'hémoglobinurie paroxystique nocturne, ne contrefaisait pas le brevet car la chaîne légère était différente de celle revendiquée, cette dernière contenant 22 acides aminés supplémentaires par rapport à la chaîne légère de l'eculizumab.
Il apparaît toutefois que ces 22 acides aminés, qui constituent la séquence signal à l'extrémité N-terminale, empêchent de lier au C5, et sont clivés avant que l'anticorps ne soit formé et secrété par la cellule. En outre le brevet mentionne à 120 reprises la chaîne légère de l'eculizumab, dont on peut retrouver la séquence dans des bases de données, et qui ne comprend pas ces 22 premiers acides aminés.
Les juges considèrent qu'une personne du métier, qui doit prendre en compte l'objectif de toute revendication, qui est de fournir à la personne du métier un enseignement technique qui, lorsqu'il est retravaillé, conduit au succès escompté, conclurait que la chaîne légère ne comprend pas la séquence signal, car dans le cas contraire l'enseignement du brevet ne procurerait pas une composition pharmaceutique liant C5.
Les juges sont donc convaincus avec une certitude suffisante que le produit d'Amgen contrefait littéralement le brevet.
Concernant la validité du brevet, la question est de savoir s'il est plus probable que le brevet soit valide ou non valide. Toutefois, comme une opposition est en cours devant l'OEB, le tribunal ne peut pas se baser que sur sa propre opinion, mais doit aussi évaluer les chances de succès de l'opposition. L'OEB a en effet compétence pour tous les Etats contractants, de sorte qu'une décision ultérieure de révocation de l'OEB infirmerait une décision de la JUB qui aurait conclu à la validité.
Or, les juges considèrent comme probable que l'OEB révoque le brevet pour insuffisance de description car la Chambre de recours, en recours sur examen (T1515/20), avait interprété la revendication comme couvrant littéralement la séquence avec les 22 acides aminés supplémentaires et la demanderesse l'avait convaincue que cela n'empêchait pas de lier C5. Cet argument ne peut toutefois plus être soutenu compte tenu des nouveaux éléments au dossier.
Les juges estiment que, même si la titulaire a présenté des faits qui reflètent un niveau de connaissance plus complet de la personne du métier sur la question des séquences signal, il n'est pas certain que l'OEB adopte la même interprétation que la JUB, et ce d'autant plus que la Chambre de recours a toujours refusé toute requête en correction d'erreur visant à supprimer les 22 acides aminés.
La requête en interdiction provisoire est donc rejetée.
UPC_CFI_124/2024 - Ordonnance du 26.6.2024