La société BSH a engagé une action en contrefaçon du brevet EP1434512 contre Electrolux devant les juridictions suédoises, dans le but de faire cesser la contrefaçon non seulement en Suède mais aussi dans les autres Etats dans lequel le brevet a été validé, certains étant situés dans l'UE et d'autres non (Turquie). Electrolux faisait valoir que les parties nationales autres que suédoise du brevet étaient nulles et que les juridictions suédoises n'étaient pas compétentes pour statuer sur leur validité selon l'article 24, point 4 du Règlement Bruxelles I bis. La juridiction suédoise devait dès lors se déclarer incompétente pour statuer sur la contrefaçon dans les autres pays que la Suède.
C'est sur ce point de compétence des juridictions suédoises que la CJUE a été saisie.
Selon l'article 4(1) du Règlement Bruxelles I bis, les personnes domiciliées dans un Etat membre sont attraites devant les juridictions de cet Etat membre, sous réserve d'autres dispositions, et notamment de celles de l'article 24(4), selon lesquelles la question de la validité d'un brevet relève de la seule compétence des juridictions de l'Etat dans lequel l'enregistrement du brevet a été demandé ou effectué, et ce que la question soit soulevée par voie d'action ou d'exception.
Dès lors, si la défenderesse d'une action en contrefaçon conteste par voie d'exception la validité d'un brevet, la juridiction d'un autre Etat membre ne peut constater la nullité de ce brevet. La question se pose toutefois de savoir si la juridiction reste compétente pour statuer sur l'action en contrefaçon ou si elle doit se déclarer incompétente pour l'intégralité du litige. La Cour choisit la première option, relevant notamment que dans l'autre option l'exception deviendrait la règle, car la validité du brevet est la plupart du temps contestée dans les actions en contrefaçon. Cette option est conforme à l'objectif de sécurité juridique et de prévisibilité des règles de compétence du Règlement. L'article 24(4) ne vise que les litiges qui portent eux-mêmes sur la validité du brevet.
La Cour décide donc que la juridiction de l'Etat membre du domicile du défendeur est compétente pour connaître d'une action en contrefaçon d'un brevet délivré dans un autre Etat membre, même si la validité de ce brevet est contestée par voie d'exception. Il est ainsi possible de concentrer l'ensemble des demandes en contrefaçon et d'obtenir une réparation globale devant un seul for, en évitant le risque de décisions divergentes.
En revanche, la compétence pour statuer sur cette validité appartient exclusivement aux juridictions de cet autre Etat membre. Ceci peut conduire à une scission de la procédure en contrefaçon et du litige relatif à la validité mais, par exemple, la juridiction saisie de l'action en contrefaçon peut suspendre la procédure si elle estime qu'il existe une chance raisonnable pour que le brevet soit annulé par le juge compétent de l'autre Etat membre.
La question se posait également de la compétence vis-à-vis d'Etats tiers (hors UE), en l'espèce la Turquie. Dans ce cas la Cour juge que la juridiction du domicile du défendeur est compétente pour statuer sur la validité du brevet délivré dans un Etat tiers, sauf limitations imposées par d'autres conventions, internationales ou bilatérales. La décision n'aura toutefois qu'un effet inter partes, et ne sera pas de nature à affecter l'existence ou le contenu du brevet dans cet Etat tiers.
Arrêt de la CJUE du 25.2.2025, Affaire C-339/22, BSH c/ Electrolux
7 comments:
A la lecture cu CR, je me fais 3 réflexions :
1/ Il semble qu'on soit dans le cas d'un brevet avec "opt-out", qui reflète la volonté du demandeur de mettre la procédure unique de la JUB à la porte... Avec cette décision, la procédure unique revient par la fenêtre, au moins pour la contrefaçon...
2/ On peut aussi noter que la partie turque sera examinée quant à la validité... c'est un peu limite (car la partie de n'importe quel état de l'UE ne le sera pas), pourquoi pas le brevet US de la même famille si les revendications sont identiques?
3/ Enfin, le breveté résidant dans l'UE (qui fait opt out) est désavantagé par rapport au breveté hors UE (qui ne peut pas subir cette décision, car il n'y a pas de juridiction de l'Etat membre du domicile...)
Question bête : est-ce qu'avec Bruxelles I bis on pourrait attaquer en Suède une société suédoise pour contrefaçon d'un brevet américain ?
C’est du n’importe quoi cette décision. La juridiction Suèdoise décide de la CF d’un brevet FR. Pourquoi avoir créé la JUB ?
Vis-à-vis des états tiers, voir aussi cette intéressante décision UPC_CFI_355/2023 de la division locale de Düsseldorf de la JUB dans l'affaire "Fujifilm/Kodak" où la Cour s'estime compétente pour traiter d'un acte de contrefaçon en Grande-Bretagne :
"If the defendant is domiciled in a Contracting Member State (here: Germany), the Unified Patent Court has jurisdiction to hear the infringement action in respect of the UK part of the patent in suit. This also applies if the defendant has filed a counterclaim for revocation in respect of the German part of the patent in suit. Even then, as regards the infringement action concerning the United Kingdom, the Unified Patent Court has jurisdiction to hear the case."
https://www.unified-patent-court.org/sites/default/files/files/api_order/CC5DDB59B23C4060B18ADA327BFB5640_en.pdf
Oui, un article de blog est prévu jeudi sur le sujet
Pour les systèmes qui le permettent, traditionnellement la séparation entre la procédure de contrefaçon et celui de la validité a pour vocation d'accélérer les délais de décision: typiquement la bifurcation; ici cela semble plutôt être le contraire du au sursit: l'examen de la contrefaçon semblant tributaire de la validité... Merci Laurent pour ce compte rendu!
Non, le brevet doit être en vigueur sur le territoire de l'UE (national, EP ou unitaire) sinon il n'y a pas d'acte de contrefaçon sur le territoire de l'UE et le règlement Bruxelles Ibis ne saurait s'appliquer
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