L'an dernier, la division centrale de la JUB avait annulé le brevet EP3666797 (Sanofi/Amgen). La Cour d'Appel décide au contraire de rejeter les demandes en nullité formées contre ce brevet.
La Cour en profite, ainsi que dans une autre décision du même jour (Meril/Edwards), pour indiquer la méthode à suivre par les instances de la JUB pour évaluer la suffisance de description et l'activité inventive.
Sur l'activité inventive:
- il faut d’abord établir le problème objectif, du point de vue de la personne du métier, avec ses connaissances générales, à la date pertinente du brevet. Cela doit être fait en déterminant ce que l’invention apporte à l’état de la technique, non pas en examinant les caractéristiques individuelles de la revendication, mais en comparant la revendication dans son ensemble, dans le contexte de la description et des dessins, en considérant ainsi également le concept inventif sous-jacent à l’invention (l’enseignement technique), lequel doit être fondé sur les effets techniques que la personne du métier comprend, sur la base de la demande, comme étant obtenus avec l’invention revendiquée.
- afin d’éviter un raisonnement a posteriori, le problème objectif ne doit pas contenir d’indices orientant vers la solution revendiquée.
- la solution revendiquée est évidente lorsque, à la date pertinente, la personne du métier, partant d’un point de départ réaliste dans le domaine technique pertinent, et souhaitant résoudre le problème objectif, serait (et non seulement : pourrait) arrivée à la solution revendiquée.
- le domaine technique pertinent est celui qui est lié au problème objectif à résoudre ainsi que tout domaine dans lequel le même problème ou un problème similaire se pose et dont il faut s’attendre à ce que la personne du métier du domaine spécifique ait connaissance.
- un point de départ est réaliste si son enseignement aurait présenté un intérêt pour une personne du métier qui, à la date pertinente, souhaite résoudre le problème objectif. Cela peut par exemple être le cas si l’élément de l’état de la technique pertinent divulgue déjà plusieurs caractéristiques similaires à celles de l’invention revendiquée et/ou aborde le même problème sous-jacent ou un problème similaire à celui de l’invention revendiquée. Il peut y avoir plus d’un point de départ réaliste et l’invention revendiquée doit impliquer une activité inventive à partir de chacun d’eux.
- la personne du métier n’a ni compétences inventives ni imagination et nécessite un indice ou une motivation qui, à partir d’un point de départ réaliste, l’oriente vers la mise en œuvre d’une étape suivante dans la direction de l’invention revendiquée. En règle générale, une solution revendiquée doit être considérée comme dépourvue d’activité inventive / évidente lorsque la personne du métier franchirait l’étape suivante suggérée par l’indice ou par simple routine, et arriverait à l’invention revendiquée.
- pour qu’une activité inventive soit présente, il n’est pas nécessaire de démontrer une amélioration de l’enseignement technique tel que défini par les revendications du brevet par rapport à l’état de la technique. Une activité inventive peut également être reconnue si les revendications du brevet divulguent une alternative non évidente aux solutions connues dans l’état de la technique.
- une solution revendiquée est évidente si la personne du métier aurait franchi l’étape suivante en s’attendant à trouver une solution envisagée à son problème technique. C’est généralement le cas lorsque les résultats de l’étape suivante étaient clairement prévisibles ou lorsqu’il existait une espérance raisonnable de réussite.
- la charge de la preuve que les résultats étaient clairement prévisibles ou que la personne du métier aurait raisonnablement attendu une réussite, c’est-à-dire que la solution qu’elle envisage en franchissant l’étape suivante résoudrait le problème objectif, incombe à la partie qui invoque la nullité du brevet.
- une espérance raisonnable de réussite implique la capacité de la personne du métier à prédire de manière rationnelle, sur la base d’une évaluation scientifique des faits connus avant le début d’un projet de recherche, la conclusion réussie de ce projet dans des délais acceptables.
- Le fait qu’il existe une espérance raisonnable de réussite dépend des circonstances de l’affaire. Plus un domaine technique de recherche est inexploré, plus il est difficile de faire des prédictions quant à sa conclusion réussie et plus l’attente de succès est faible. Les difficultés pratiques ou techniques envisagées ainsi que les coûts liés à la vérification de l’obtention du résultat souhaité lors du franchissement d’une étape suivante peuvent également dissuader la personne du métier de franchir cette étape. En revanche, plus l’indice en faveur de la solution revendiquée est fort, plus le seuil pour une espérance raisonnable de succès est bas.
- lorsque le titulaire du brevet avance et étaye suffisamment des incertitudes et/ou des difficultés pratiques ou techniques, la charge de la preuve que celles-ci n’empêcheraient pas la personne du métier d’avoir une espérance raisonnable de réussite incombe à la partie alléguant l’évidence.
- le fait que d’autres personnes ou équipes travaillaient simultanément sur le même projet n’implique pas nécessairement qu’il existait une espérance raisonnable de réussite. Cela peut également indiquer qu’il s’agissait d’un domaine intéressant à explorer avec un simple espoir de réussir.
Sur la suffisance:
- elle doit être évaluée sur la base du brevet dans son intégralité, du point de vue d'une personne du métier munie de ses connaissances générales à la date de dépôt ou de priorité.
- le test à appliquer est de savoir si la personne du métier est capable de reproduit l'objet revendiqué sur la base du brevet sans effort inventif ni efforts indus. Une invention est suffisamment décrite si le brevet montre à la personne du métier au moins une manière (et pour des caractéristiques fonctionnelles, au moins un concept technique) de mette en œuvre l'invention revendiquée.
- lorsqu’une revendication contient une ou plusieurs caractéristiques fonctionnelles, il n’est pas exigé que la description comprenne des instructions spécifiques sur la manière d’obtenir chacune des réalisations concevables entrant dans la ou les définitions fonctionnelles. Une protection équitable requiert que des variantes des modes de réalisation spécifiquement divulgués, qui sont également aptes à atteindre le même effet et qui n’auraient pas pu être envisagées sans l’invention, soient également couvertes par la revendication. Par conséquent, l’indisponibilité de certaines réalisations d’une revendication définie fonctionnellement est sans incidence sur la suffisance, tant que la personne du métier, grâce à la description, est en mesure d’obtenir des réalisations appropriées dans le cadre de la revendication.
- une quantité raisonnable d’essais et d’erreurs ne fait pas obstacle à la mise en œuvre de l’invention.
Décision UPC_CoA_528/2024 du 25.11.2025
Décision UPC_CoA_464/2024 du 25.11.2025






6 comments:
Le fait de retenir le même "problème objectif" pour le choix du point de départ réaliste et pour la recherche d'une motivation pour la combinaison avec le document secondaire paraît très protecteur des brevetés, car souvent l'amélioration apportée par le document secondaire n'a pas grand-chose avoir avec le contexte potentiellement très spécifique du point de départ réaliste. On sent qu'il suffit de bien formuler son problème objectif pour qu'il soit incompatible soit avec les points de départ, soit avec les document complémentaires. En ce sens, l'approche de l'OEB qui considère d'abord un problème général pour choisir un point de départ, puis un problème technique objectif pour la différence avec ce point de départ, semble plus équilibrée.
C’est peut-être plus favorable aux déposants, mais cela rend l’approche aussi un peu moins artificielle à mon goût. Mais assurément plus subjective aussi selon la formulation du PTO (déjà qu’avec la méthode OEB…).
Que se passe-t-il dans cette méthode si le problème objectif n'est en fait pas résolu sur toute la portée de la revendication ?
Dans une décision récente de la JUB, il a été jugé que l'invention impliquait une activité inventive car à partir du point de départ (une cigarette électronique) on ne résolvait pas le problème objectif (visualiser le liquide) en ajoutant la caractéristique distinctive (une paroi transparente). Il y avait donc dissuasion à aller dans le sens de l'invention pour résoudre le problème objectif. Mais ce dernier n'était en fait tout simplement pas résolu !
L’approche problème-solution a été introduite par l’OEB avec l’objectif - ô combien louable - de minimiser le caractère rétrospectif d’une appréciation de l’activité inventive basée sur des documents dont le déposant n’a été informé que postérieurement au dépôt. Il faut veiller à ne pas réintroduire de la rétroactivité par la définition d’un « problème technique objectif » tout à fait différent du problème tel qu’il a été posé dans la demande et qui a été à la base de la rédaction de la demande.
Il y a notamment un risque si le déposant ne peut s’appuyer sur des informations qu’il aura acquises postérieurement au dépôt, telles que des données d’essais comparatifs. La jurisprudence de l’OEB est très restrictive à ce sujet. Il peut paraître inéquitable que le déposant ne puisse invoquer des éléments qu’il a acquis après le dépôt à l’égard d’un document dont il n’avait pas connaissance lors du dépôt.
La définition assez fréquente du « problème technique objectif » comme étant la recherche d’une solution alternative pose également question pour l’appréciation du critère « would/could ». Si une solution alternative peut être toute solution différente du point de départ le plus proche, c’est seulement une définition négative, qui ne donne aucune direction spécifique à la personne du métier et ne lui permet pas d’aller à une« étape suivante ». Comment apprécier alors si on est dans le cas « would » ?
La décision de la JUB Amgen c. Sanofi présente par ailleurs un intérêt particulier concernant la définition de la personne du métier. Sa définition inclut en effet un spécialiste de la découverte de médicaments (« drug discovery »). A ma connaissance, c’est une innovation. Elle pourrait être jugée difficilement compatible avec ce qui dit la décision JUB de la personne du métier, supposée dépourvue de compétences inventives et d’imagination.
Elle implique en outre que la personne du métier dispose des outils d’intelligence artificielle spécialisés dans la découverte de nouveaux médicaments, dont on sait qu’ils sont disponibles commercialement sous différentes formes. Cela pourrait conduire à mettre en cause le principe selon lequel la manière dont l’invention a été obtenue ne doit pas entrer en ligne de compte dans l’appréciation de l’activité inventive. Affaire à suivre. En premier lieu pour les collègues du secteur pharma, et sans doute au delà, à mesure que l’utilisation de l’intelligence artificielle se diffuse dans tous les secteurs techniques.
Cette approche consistant à retenir le même "problème objectif" pour le choix du point de départ et la recherche d'une motivation à la combinaison paraît poser problème même dans le cas où celui-ci est résolu sur toute la portée de la revendication et où la référence secondaire aborde elle aussi ce "problème objectif". Dans une autre affaire Edwards c/ Meril (UPC_CFI_189/2024), la Division Centrale de Paris appliquant cette approche a en effet conclu à la présence d'une activité inventive du fait que, le point de départ objectif résolvant le problème objectif, l'homme du métier ne pouvait pas avoir d'incitation à aller chercher une solution différente dans un autre document car une telle solution serait "contraire" à l'enseignement du point de départ objectif (voir points 165-166). Or, fournir une solution B à un problème technique pour lequel le point de départ objectif enseigne une solution A implique nécessairement d'aller à l'encontre de l'enseignement du point de départ objectif que le problème technique est résolu par cette solution A. Il ne semble donc pas possible de fournir une solution alternative sans que celle-ci ne soit, dans une certaine mesure, contraire à l'enseignement du point de départ objectif. Avec une telle approche, la nouveauté entraîne automatiquement la présence d'une activité inventive...
Une alternative n'est pas forcément contraire à l'enseignement du point de départ. "Contraire" veut dire que le point de départ dissuade d'aller dans la direction de l'invention, par exemple contient un enseignement qui conduirait à penser que la solution B ne peut pas fonctionner, ou part dans la direction contraire.
Enregistrer un commentaire