Le 19.9.2023, la division locale de Munich avait fait droit à une demande d'interdiction provisoire pour contrefaçon du brevet unitaire EP4108782C0. La Cour d'Appel vient de renverser cette décision.
La décision est importante en ce qu'elle précise les règles d'interprétation des revendications, en application de l'article 69 CBE et de son protocole interprétatif :
- les revendications sont décisives, mais leur interprétation ne dépend pas seulement du sens étroit et littéral de leur libellé: la description et les figures doivent toujours être utilisées comme une aide à l'interprétation, et pas seulement pour résoudre des ambiguïtés.
- Cela ne signifie toutefois pas que la protection s'étendrait à ce qui apparaît, après consultation de la description et des figures, comme étant l'objet pour lequel la titulaire cherche une protection.
- Les revendications doivent être interprétées du point de vue de la personne du métier.
- Les principes d'interprétation s'appliquent de la même manière pour l'appréciation de la contrefaçon et de la validité. (La Cour cite ici G2/88 2.5),
La Cour fait sienne l'interprétation de la règle 211(2) RdP faite par les juges de la division locale de Munich: le critère du "degré de certitude suffisant" s'applique en considérant la balance des probabilités.
Mais, contrairement à la première instance, la Cour considère ici que l'absence de validité du brevet semble plus probable que sa validité.
Elle estime en effet que l'objet revendiqué semble évident au vu de D6, qui décrit la même méthode, mais appliquée à des analytes qui ne sont pas présents dans un échantillon de cellules ou de tissus. Le fait que D6 utilise plusieurs cycles n'est pas une caractéristique distinctive, en particulier car la méthode de la revendication 1 "comprend" une étape d'incubation et une étape de détection, mais ne spécifie pas que ces étapes ne puissent être mises en œuvre plusieurs fois.
La Cour, comprenant 2 juges techniques, estime en outre que la personne du métier aurait naturellement cherché à appliquer cette méthode à des cellules ou tissus, et qu'elle aurait résolu, sur la base de son expertise, les problèmes classiquement rencontrés lorsqu'il s'agit d'adapter une méthode in vitro pour l'appliquer à des cellules ou tissues. On notera que la décision cite à plusieurs reprises une étude de brevetabilité réalisée par l'Office des brevets suédois. On notera aussi que la Cour ne définit pas de problème technique objectif.
6 comments:
Pour la validité la JUB pourra donc interpréter les revendications différemment de l'OEB, puisque ce dernier ne consulte que la description que pour éclaircir d'éventuelles ambiguïtés.
Un collègue anglais (Mike Snodin) a fait remarquer dans un post LinkedIn que la headnote de la décision est en désaccord avec la décision elle-même (page 27) concernant l’objet de la protection. Notamment, une traduction automatique de la headnote (la phrase qui commance par "Behebung"et qui se termine par "darstellt") semble suggérer que l’objet s’étend bien au-delà des revendications. Ce qui a été confirmé par une amie allemande qui m’a dit que le passage de la page 27, en allemand, peut bien être lu avec une ou deux négations. C’est-à-dire que la traduction de la headnote (qui n’est pas du tout en ligne avec l’article 69 EPC et son protocole) pourrait ne pas être erronée.
Merci pour ce commentaire.
J'ai considéré pour ma part que le résumé était erroné et me suis basé sur le texte de la décision :
"Das bedeutet aber nicht, dass der Patentanspruch lediglich als Richtlinie dient und sich sein Gegenstand auch auf das erstreckt, was sich nach Prüfung der Beschreibung und der Zeichnungen als Schutzbegehren des Pateninhabers darstellt."
qui peut se traduire en :
Cela ne signifie pas pour autant que la revendication ne sert que de ligne directrice et que son objet s'étend également à ce qui, après examen de la description et des dessins, se présente comme une demande de protection du titulaire du brevet.
Une décision comme celle-là ne va pas dissuader l'OEB de demander l'adaptation drastique de la description.
Tous les points commentés par Laurent sont très importants.
J'ajoute une observation : la décision ne fait pas référence explicitement à l'approche problème-solution (en cohérence avec le fait qu'elle ne définit pas d'état de la technique le plus proche comme le note Laurent).
Un bémol, il s'agissait d'une demande d'interdiction provisoire, non d'une action en révocation.
A noter aussi que le brevet fait l'objet d'une opposition devant l'OEB de la part du défendeur Nanostring. L'opposant a ajouté très récemment des arguments reprenant très vraisemblablement ceux qu'il a présenté devant la JUB.
La JUB a publié aujourd'hui une version rectifiée de la fameuse headnote.
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