Contrairement à ce qui avait été annoncé ici l'an dernier, la Grande Chambre ne sera (pour l'instant) pas saisie de questions concernant l'adaptation de la description.
La demande en question avait été rejetée car la demanderesse insistait pour conserver dans la description des clauses de type revendication décrites comme des "modes de réalisation spécifiques" mais qui n'étaient plus conformes à l'invention considérée comme brevetable.
La Chambre 3.3.04 juge dans cette décision de 90 pages qu'en procédure d'examen ni l'article 84 CBE, ni les règles 42, 43 et 48 CBE ne sont une base juridique pour exiger que la description soit adaptée afin de correspondre à des revendications limitées.
La pratique d'adaptation de la description a historiquement pour but d'assurer la sécurité juridique des tiers quant à la protection conférée, en lien avec le rôle de la description dans l'interprétation des revendications.
La Chambre examine donc les liens entre les articles 69 et 84 CBE et en conclut que:
- devant l'OEB l'étendue de la protection n'est pertinente que dans le cadre de l'article 123(3) CBE, donc après délivrance,
- l'examen de la clarté et du support est distinct de la détermination de l'étendue de la protection,
- le but de l'article 84 CBE est d'arriver à une définition de l'objet brevetable en termes de caractéristiques techniques le distinguant de l'art antérieur,
- l'article 69(1) CBE et son protocole interprétatif visent à permettre une protection au-delà d'une contrefaçon littérale basée sur une interprétation restrictive des revendications,
- l'article 69(1) CBE et son protocole interprétatif ne portent pas sur l'interprétation des revendications au sens de la détermination du sens des termes des revendications pour évaluer la brevetabilité,
- se baser sur la description pour résoudre des ambiguïtés ou contradictions dans les revendications avant d'évaluer leur conformité avec les exigences de clarté et de support priverait les revendications de leur effet consacré par l'article 84 CBE,
- le sens des revendications doit être compris avant d'évaluer la conformité aux exigences de brevetabilité,
- l'article 84 CBE n'est ni complémentaire ni subordonné à l'article 69(1) CBE. Ce dernier ne doit donc pas être appliqué pendant l'examen.
Pour la Chambre, la justification traditionnellement donnée pour exiger l'adaptation de la description méconnaît donc le lien entre les articles 69 et 84 CBE.
Certaines Chambres mettent en avant l'idée que les autorités, les tribunaux et le public devraient autant que possible arriver à une même compréhension de l'invention revendiquée que l'OEB. Cela peut peut-être considéré comme une situation idéale mais cet objectif n'a aucun fondement dans la CBE.
L'article 84 CBE porte sur les revendications: c'est aux revendications d'être supportées par la description, au sens où l'on ne peut revendiquer que ce qui est décrit, mais pas à la description d'être modifiée pour correspondre à ce qui est finalement revendiqué. L'article 84 CBE porte également une exigence de clarté, mais qui porte sur les revendications en elles-mêmes.
Pour la Chambre, la sécurité juridique des tiers est mieux servie par des revendications claires et concises qui permettent de délimiter la "zone interdite" sans avoir à recourir à la description que par une description adaptée.
La Chambre reconnaît un cas de figure problématique, dans lequel la description donne une définition d'un terme plus large que son sens habituel dans la technique (comme dans l'affaire à l'origine de la saisine G1/24), mais estime que cela peut donner lieu à une objection selon la règle 49(2) CBE ensemble l'article 2(10) de la décision du Président OEB du 25.11.2022 (JO OEB 2022, A113, "La terminologie et les signes utilisés doivent être uniformes dans toute la demande de brevet européen.").