La présente décision est importante en ce qu'elle prend position sur un débat controversé: faut-il ou non appliquer l'article 69(1) CBE, notamment dans l'appréciation de l'article 123(2) CBE ? Selon un courant majoritaire, cet article est surtout destiné à l'examen de la contrefaçon par les tribunaux nationaux et ne s'applique pas dans le contexte des articles 54, 56 ou encore 123(2) CBE. Mais cette ligne de jurisprudence est régulièrement remise en cause.
La question cruciale était ici de savoir si la caractéristique M5.1 ("un premier tube de dérivation (62) relié avec les flux de fluide en parallèle avec le troisième échangeur de chaleur (53)") se déduisait directement et sans ambiguïté de la demande telle que déposée.
La caractéristique n'était pas claire et permettait deux interprétations:
a) les flux de fluides sont en parallèle avec le troisième échangeur de chaleur (ce qui ajouterait de la matière et conduirait au piège inextricable 123(2)/(3))
b) le premier tube de dérivation est en parallèle avec le troisième échangeur de chaleur (ce qui est incontestablement divulgué dans la demande telle que déposée)
La Chambre considère que l'interprétation a) ne serait possible qu'hors contexte et qu'il faut donc suivre l'interprétation b).
Une revendication doit être interprétée dans son contexte, lequel comprend non seulement les autres caractéristiques de la revendication mais aussi la description et les figures (T556/02, T3097/19). En outre une revendication doit être interprétée par une personne du métier qui doit s'efforcer d'aboutir à une interprétation qui soit techniquement sensée et qui tienne compte de l'ensemble de la divulgation du brevet.
La présente Chambre fait sienne les conclusions de la décision T1473/19, selon laquelle l'article 69(1) CBE et l'article 1 de son protocole interprétatif doivent être pris en compte, y compris pour l'application de l'article 123(2) CBE. Elle note que les tribunaux nationaux utilisent ces articles pour juger la validité des brevets, et mentionne des décisions de divers pays (GB, DE, FR, NL, CH, AT, ES), dont un jugement du TJ de Paris du 24/3/2023.
La Chambre considère par conséquent que les principes d'interprétation de l'article 69(1) CBE et de l'article 1 de son protocole interprétation doivent s'appliquer pour établir la signification des caractéristiques revendiquées et déterminer l'objet revendiqué. Il faut donc prendre en compte toute la divulgation du brevet tel que délivré (T450/20).
L'évaluation de la conformité à l'article 123(2) CBE comprend donc deux étapes, une première dans laquelle l'objet revendiqué doit être déterminé en interprétant les revendications du point de vue de la personne du métier et une deuxième étape dans laquelle on évalue si cet objet est divulgué dans la demande telle que déposée.
Dans le cas d'espèce, la première étape conduit à conclure que la bonne interprétation est l'interprétation b). La Chambre rejette l'argument de l'Opposante selon lequel toutes les interprétations possibles doivent se déduire de la demande: seul l'objet revendiqué - et non un objet hypothétiquement revendiqué - doit découler de la demande. L'organe décisionnaire ne peut adopter deux interprétations qui s'excluent mutuellement et se doit, si cela est décisif, choisir une des interprétations.
Et pour l'article 84 CBE aussi j'imagine.
RépondreSupprimerIl semble logique que le principe de l’Art 69 soit applicable à tous les critères de validité d’un brevet délivré, sinon on risquerait de créer un défaut de cohérence dans l’appréciation de la validité.
RépondreSupprimerIl faut surtout distinguer ce principe de celui qui s’applique à l’examen des demandes, sinon ce serait la confusion la plus totale. Pour l’examen des demandes, le principe est de donner aux revendications leur signification techniquement raisonnable la plus large, donc de ne pas limiter la portée des revendications en y incorporant implicitement des caractéristiques qui ne figurent que dans la description (jurisprudence des chambres de recours II.A.6.3.4).
La présente décision a été commentée dans un autre blog.
RépondreSupprimerIl existe en fait une jurisprudence divergente quant à l’application de l’Art 69 et du Protocole dans les procédures devant l’OEB.
Certaines CR considèrent qu’il a lieu de recourir systématiquement à l’Art 69 dans les procédures devant l’OEB, d’autres que ce ne devrait pas être le cas, sauf si la revendication n’est pas claire en soi, ou en opposition quand il s’agit d’appliquer l’Art 123(3).
Il serait temps pour la GCR de clarifier cela.
@dxthomas
RépondreSupprimerConcernant l’interprétation des revendications pendant l’examen, je me permets de citer la decision T 2283/17 Reason 4.1 :
“The normal rule of claim construction is that the terms used in a claim should be given their broadest technically sensible meaning in the context of the claim in which they appear, and in order to ensure legal certainty, independently from any alleged intention derivable from the description that the claim should be read in a more restrictive way (Case Law of the Boards of Appeal of the EPO, 9th Edition, 2019, II.A.6.3.4).”
L'édition 2022 de la jurisprudence des chambres de recours n’a pas été modifiée sur ce point. On peut noter que la jurisprudence US et le MPEP utilisent exactement la même formule pour l’interprétation pendant l’examen.
Il y a une ambiguïté sur le sens du mot “interprétation”. Pendant l’examen, la description est évidemment utilisée car elle est nécessaire pour comprendre les revendications. Mais la base est le texte littéral des revendications pris dans son sens raisonnabement le plus large.
L’interprétation au sens de l’article 69 autorise en revanche des écarts par rapport au texte littéral,en particulier des extensions basées sur des équivalents mais aussi le cas échéant des limitations inspirées de la description. A mon humble avis, il est prudent d’éviter les confusions.