Les lectrices et les lecteurs qui ont une bonne mémoire se souviennent de la décision T384/15 dans laquelle il avait été décidé que l'opposition formée par le cabinet S et les interventions des sociétés Bose étaient recevables, quand bien même des éléments pouvait suggérer un lien entre le cabinet S et les intervenants. Aucun contournement abusif de la loi au sens de G3/97 n'avait pu être démontré.
La Titulaire avait ultérieurement formé une requête en révision
La Titulaire reprochait à la Chambre d'avoir regroupé les deux requêtes visant d'une part l'irrecevabilité de l'opposition et d'autre part l'irrecevabilité des interventions, rendant la décision peu compréhensible. En particulier, la décision ne reflétait pas suffisamment le fait que la Chambre ait examiné et pleinement pris en compte ses arguments concernant la recevabilité de l'opposition, notamment le fait qu'en ayant choisi de déposer son opposition par un homme de paille, Bose empêchait de déterminer avec certitude si l'intervenant était réellement un tiers ou non.
La Grande Chambre réaffirme (après R8/15) qu'un aspect du droit d'être entendu tel que couvert par l'article 113(1) CBE exige qu'une Chambre examine les observations d'une partie, c'est-à-dire évalue les faits, les preuves et les arguments présentés quant à leur pertinence et leur bien-fondé. L'article 113(1) CBE est enfreint si la Chambre ne traite pas les observations qui, selon elle, sont pertinentes pour la décision, d'une manière permettant de montrer que les parties ont été entendues, c'est-à-dire que la Chambre a examiné ces observations sur le fond.
Par conséquent, les Chambres n'ont l'obligation de traiter que les observations qu'elles jugent pertinentes, indépendamment du fait que ces observations soient ou non essentielles au yeux d'une partie. En outre, il suffit qu'une partie soit en mesure de comprendre, sur une base objective, que la Chambre a examiné ces observations sur le fond. La décision R8/15 constitue la jurisprudence en vigueur, et la jurisprudence ancienne (par exemple R2/14), selon laquelle une partie doit être en mesure de comprendre, sur une base objective, les motifs de la décision, n'est plus applicable.
La question suivante se pose alors: comment savoir, lorsque certaines observations ne figurent pas dans la décision, si la Chambre les a prises en considération, mais ne les a pas jugées pertinentes, ou simplement ne les a pas prises en considération?
Pour la Grande Chambre, on doit présumer qu'une Chambre a tenu compte des arguments d'une partie qu'elle n'a pas abordés dans les motifs de la décision, c'est-à-dire en a pris note, les a examinés et a évalués s'ils étaient pertinents et le cas échéant s'ils étaient corrects.
Une exception peut s'appliquer s'il existe des indications contraires, par exemple si une Chambre n'aborde pas dans les motifs de sa décision les observations d'une partie qui, sur une base objective, sont déterminantes pour l'issue de l'affaire, ou si elle rejette ces observations sans en apprécier préalablement le bien-fondé. Les observations objectivement déterminantes ne sont pas nécessairement celles que la partie considère comme essentielles, lesquelles peuvent ne pas être mentionnées dans la décision lorsqu'elles sont manifestement non-fondées (Ruiz Torija c. Espagne, CEDH).
Dans le cas d'espèce, la décision ne répond effectivement pas à certains arguments de la Titulaire, mais il ressort de la décision que ces arguments ont été pris en considération et que la Chambre ne les a pas considérés comme convaincants. Il n'y a donc pas eu de violation du droit d'être entendu et la requête en révision est rejetée comme étant manifestement non-fondée.
Et voilà où on en arrive, à faire examiner les requêtes en révision par les mêmes que ceux qui siègent dans les Chambres:
RépondreSupprimerune Chambre n'a pas traité vos observations? vous devez présumer qu'elles les a considérées non pertinentes, et cela suffit à la dispenser d'expliquer pourquoi
Ni l'Art 112bis(5) ni la R 109(2) CBE n'interdisent de sélectionner des membres externes de la Grande Chambre de Recours (Art 11(5) CBE): qu'attend Monsieur Josefsson pour démontrer le sérieux de la procédure de révision? La charge de travail n'est pas insurmontable: il n'y a plus qu'une bonne dizaine de requêtes par an et quelque vingt-cinq membres externes.
Je trouve cette décision regrettable. Quand j’ai commencé à travailler dans les chambres de recours, on m’a appris que pour chaque motif d’opposition, il fallait répondre à tous les arguments de la partie perdante. Pour la partie qui obtient gain de cause, ce n’est pas absolument nécessaire. Si on suit cette logique, une décision qui ne dit rien (implicitement ou explicitement) sur certains arguments de la partie perdante concernant des motifs d’opposition décisifs est insuffisamment motivée et doit être retoquée. Si je comprends bien la Grande chambre ici, il y a présomption que tous les arguments ont été pris en considération. Et de fait, c’est une présomption irréfragable. Je ne comprends pas pourquoi, et sur quelle base légale on peut affirmer une telle chose. Je comprends bien que dans la grande majorité des cas, les arguments non traités n’auraient pas changé l’issue, et qu’un renvoi n’est qu’une perte de temps et de ressources, parce que la seconde décision aura le même résultat que la première. Mais ce qui est en jeu, c’est la crédibilité des chambres, et la qualité de leurs décisions. Cette décision est un feu vert pour les chambres qui mettent l’efficacité au-dessus du bien-fondé de la décision (et mon impression est qu’il y en a de plus en plus qui travaillent comme ça).
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