J'ai à nouveau le plaisir d'accueillir Matthieu Dhenne, Avocat, docteur en droit et président de l'Institut Stanislas de Boufflers.
L'article a également été publié sur www.dhenne-avocats.fr
1. Alors même que plusieurs décisions récentes, en particulier dans le domaine pharmaceutique (voir par ex. notre billet relatif aux mesures d’interdiction provisoire, laissent à penser que les juges français tendraient à devenir plus favorables aux brevetés, davantage « pro-brevets » dira-t-on, qu’ils ne l’étaient auparavant, l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 21 mai 2019 prolonge cette tendance aux inventions mises en œuvre par ordinateur.
2. Le 17 décembre 2010, Thalès a déposé une demande de brevet français portant sur un procédé d’affichage temporel de la mission d’un aéronef. Le 17 juillet 2018 l’INPI a notifié une décision de rejet fondé sur les motifs suivants : d’une part, l’objet de la demande de brevet consistait dans une présentation d’informations en tant que telle exclue du domaine de la brevetabilité selon l’article L. 611-10 (2) du Code de la propriété intellectuelle ; d’autre part, l’objet de la demande n’autorisait pas l’établissement d’un rapport de recherche, faute de caractéristiques techniques suffisantes.
3. Cette décision a été réformée en appel à la suite du recours formé par la déposante à l’encontre du Directeur général de l’INPI. À titre liminaire, la Cour rappelle qu’une présentation d’informations s’entend d’une présentation se caractérisant par sa capacité à transmettre des informations, concernant ainsi à la fois leur contenu cognitif et la manière dont elles sont présentées. En l’espèce, la revendication 1, qui était en cause, se caractérisait : d’une part, en ce que les différentes étapes sont affichées dans une première fenêtre graphique comportant une échelle graduée en temps ou « timeline » (TL), les différentes étapes étant affichées au regard de l’horaire correspondant à leur accomplissement ; d’autre part, en ce que si la longueur de la « timeline » est supérieure à la longueur de la première fenêtre graphique, la fenêtre graphique n’affiche alors qu’une partie de la « timeline », partie imposée par l’utilisateur du dispositif de visualisation. La Cour a jugé que si la première caractéristique concernait, effectivement, une transmission d’information, il n’en allait pas de même pour la seconde caractéristique qui était bien technique, de telle sorte que ce moyen technique distinct de l’information rendait l’ensemble de la revendication valable. Parallèlement, la Cour exclut également toute impossibilité de réaliser un rapport de recherche, en rappelant que cet argument relèverait de la suffisance de la description, laquelle ne constituait pas un motif de rejet que l’INPI avait le pouvoir d’examiner.
4. Jusqu’à présent, les commentateurs ont, à juste titre, noté que cette décision apparaissait en quelque sorte anachronique, dans la mesure où la réforme de l’INPI introduit par la loi PACTE devrait confier davantage de pouvoir à l’INPI dans le cadre de l’examen des demandes (voir Philippe Schmitt et Renaud Fulconis). De telle sorte que le débat d’aujourd’hui, qui porte essentiellement sur les exclusions de la brevetabilité, devrait demain tourner court avec l’examen de l’activité inventive. Renaud Fulconis a en outre remarqué que l’argument selon lequel un rapport de recherche ne pouvait pas être établi paraissait, de fait, peu convaincant. Ce dont nous convenons aisément avec lui, dans la mesure où il ressort effectivement des textes que les examinateurs, notamment à l’OEB, ne peuvent refuser d’établir un rapport de recherches que s’il est effectivement impossible d’effectuer une recherche significative (pour l’OEB selon la règle 63 CBE prévoit cette possibilité précisément « si l'Office européen des brevets estime que la demande de brevet européen n'est pas conforme aux dispositions de la convention, au point qu'une recherche significative sur l'état de la technique ne peut être effectuée au regard de tout ou partie de l'objet revendiqué »). On évoque donc, sans doute, une impossibilité d’effectuer une recherche exigeant des précisions que le déposant pourra soumettre dans un délai de deux mois, sauf pour le cas particulier des demandes euro-PCT pour lesquelles l’article 39 du Règlement d’exécution du PCT prévoit expressément qu’une administration chargée de la recherche peut ne pas l’effectuer si la demande porte sur un élément exclu de la brevetabilité, (comme un programme d’ordinateur ou une présentation d’informations par exemple). Cette pratique du refus d’établissement du rapport de recherche en présence d’exclusions de la brevetabilité, qui s’est développée depuis une dizaine d’années par l’OEB dans le secteur de l’informatique, semble donc, à notre sens, prendre la facilité pour mauvais guide tout en portant une atteinte injustifiable à la sécurité juridique, dans la mesure où elle peut apparaître un tant soit peu arbitraire.
5. Quoi qu’il en soit, un apport de l’arrêt commenté, qui nous semble pourtant important, paraît être passé jusqu’à maintenant inaperçu : le juge français semble adopter l’approche Hitachi bien connue des mandataires européens dans le domaine de l’informatique. Rappelons simplement que cette approche issue de la décision Hitachi (T 258/03), qu’elle est dédiée à l’appréciation de la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur et qu’elle prône que tout moyen technique suffit pour considérer qu’une revendication ne porte pas sur un élément exclu en tant que tel du domaine de la brevetabilité par l’article 52 CBE (repris en substance par l’article L. 611-10 CPI). En revanche, la contribution inventive, examinée au titre de l’activité inventive, doit être de nature technique. Cette méthode, qui confère une grande souplesse dans l’appréciation de la brevetabilité des inventions informatiques, n’a jamais été clairement adoptée par le juge français qui semblait lui préférer une vision structurelle plus stricte visant à rechercher si le noyau de l’invention résidait dans une exclusion (voir par ex. CA Paris, 16 décembre 2016, nos commentaires dans Propr. industr. 2017, étude 20). La doctrine française était quasi-unanimement opposée à l’approche Hitachi (voir néanmoins notre ouvrage Technique et droit des brevets, LexisNexis, Bibliothèque droit de l’entreprise, t. 89, Paris, 2016, no 594). Quoi qu’il en soit, dans l’arrêt commenté, le juge précise bien que la première caractéristique, jugée non technique, était « centrale » dans le brevet. Pourtant, il a été jugé que la seule présence d’un moyen technique permettait de considérer l’invention valable dans son ensemble. C’est ainsi la première fois que le juge français retient nettement un raisonnement s’apparentant à l’approche Hitachi, sans que le commentateur n’ait donc besoin de recourir à une interprétation a fortiori ou a contrario pour en arriver à cette conclusion (voir à ce propos les deux jugements antérieurs évoqués dans notre ouvrage précité aux nos 595 et 596).
6. Notons que tout cela apparaît d’autant plus étonnant que le rejet de l’INPI était lié à un refus d’établissement du rapport de recherche provenant de l’examinateur de l’OEB. La demande française a en effet été envoyée à l'OEB pour une recherche d’art antérieur comme c'est le cas pour toutes les demandes françaises ne revendiquant pas une priorité étrangère. Et l'examinateur de l'OEB a refusé d'effectuer la recherche au motif que les revendications « se rapportaient à un processus abstrait et générique d'affichage de données, indépendamment de toute technologie. Cet objet est exclu de la brevetabilité, comme toute méthode abstraite de représentation graphique en tant que telle, car il est équivalent à une méthode mathématique ». Autrement dit, l’examinateur de l’OEB n’a même pas pris la peine d’examiner la demande, considérant qu’il était évident que l’invention revendiquée constituait une présentation d’informations.
7. Il ne fait en fin de compte guère de doute que la cour d’appel de Paris a adopté ici une approche favorable aux titulaires de « brevets de logiciels ». Reste désormais à ce que le juge français ait l’occasion de confirmer ce choix d’emprunter la voie de l’activité inventive pour exclure une réalisation se caractérisant par une contribution inventive non technique, comme cela semblait être le cas en l’espèce. En tout cas, à l’avenir, la loi PACTE permettra à l’INPI de rejeter une telle invention en raison d’un défaut d’activité inventive.
L’arrêt Thalès du 21 mai 2019 : le juge français adopte-t-il (enfin) l’approche « Hitachi » relative aux inventions mises en œuvre par ordinateur ?
1. Alors même que plusieurs décisions récentes, en particulier dans le domaine pharmaceutique (voir par ex. notre billet relatif aux mesures d’interdiction provisoire, laissent à penser que les juges français tendraient à devenir plus favorables aux brevetés, davantage « pro-brevets » dira-t-on, qu’ils ne l’étaient auparavant, l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 21 mai 2019 prolonge cette tendance aux inventions mises en œuvre par ordinateur.
2. Le 17 décembre 2010, Thalès a déposé une demande de brevet français portant sur un procédé d’affichage temporel de la mission d’un aéronef. Le 17 juillet 2018 l’INPI a notifié une décision de rejet fondé sur les motifs suivants : d’une part, l’objet de la demande de brevet consistait dans une présentation d’informations en tant que telle exclue du domaine de la brevetabilité selon l’article L. 611-10 (2) du Code de la propriété intellectuelle ; d’autre part, l’objet de la demande n’autorisait pas l’établissement d’un rapport de recherche, faute de caractéristiques techniques suffisantes.
3. Cette décision a été réformée en appel à la suite du recours formé par la déposante à l’encontre du Directeur général de l’INPI. À titre liminaire, la Cour rappelle qu’une présentation d’informations s’entend d’une présentation se caractérisant par sa capacité à transmettre des informations, concernant ainsi à la fois leur contenu cognitif et la manière dont elles sont présentées. En l’espèce, la revendication 1, qui était en cause, se caractérisait : d’une part, en ce que les différentes étapes sont affichées dans une première fenêtre graphique comportant une échelle graduée en temps ou « timeline » (TL), les différentes étapes étant affichées au regard de l’horaire correspondant à leur accomplissement ; d’autre part, en ce que si la longueur de la « timeline » est supérieure à la longueur de la première fenêtre graphique, la fenêtre graphique n’affiche alors qu’une partie de la « timeline », partie imposée par l’utilisateur du dispositif de visualisation. La Cour a jugé que si la première caractéristique concernait, effectivement, une transmission d’information, il n’en allait pas de même pour la seconde caractéristique qui était bien technique, de telle sorte que ce moyen technique distinct de l’information rendait l’ensemble de la revendication valable. Parallèlement, la Cour exclut également toute impossibilité de réaliser un rapport de recherche, en rappelant que cet argument relèverait de la suffisance de la description, laquelle ne constituait pas un motif de rejet que l’INPI avait le pouvoir d’examiner.
4. Jusqu’à présent, les commentateurs ont, à juste titre, noté que cette décision apparaissait en quelque sorte anachronique, dans la mesure où la réforme de l’INPI introduit par la loi PACTE devrait confier davantage de pouvoir à l’INPI dans le cadre de l’examen des demandes (voir Philippe Schmitt et Renaud Fulconis). De telle sorte que le débat d’aujourd’hui, qui porte essentiellement sur les exclusions de la brevetabilité, devrait demain tourner court avec l’examen de l’activité inventive. Renaud Fulconis a en outre remarqué que l’argument selon lequel un rapport de recherche ne pouvait pas être établi paraissait, de fait, peu convaincant. Ce dont nous convenons aisément avec lui, dans la mesure où il ressort effectivement des textes que les examinateurs, notamment à l’OEB, ne peuvent refuser d’établir un rapport de recherches que s’il est effectivement impossible d’effectuer une recherche significative (pour l’OEB selon la règle 63 CBE prévoit cette possibilité précisément « si l'Office européen des brevets estime que la demande de brevet européen n'est pas conforme aux dispositions de la convention, au point qu'une recherche significative sur l'état de la technique ne peut être effectuée au regard de tout ou partie de l'objet revendiqué »). On évoque donc, sans doute, une impossibilité d’effectuer une recherche exigeant des précisions que le déposant pourra soumettre dans un délai de deux mois, sauf pour le cas particulier des demandes euro-PCT pour lesquelles l’article 39 du Règlement d’exécution du PCT prévoit expressément qu’une administration chargée de la recherche peut ne pas l’effectuer si la demande porte sur un élément exclu de la brevetabilité, (comme un programme d’ordinateur ou une présentation d’informations par exemple). Cette pratique du refus d’établissement du rapport de recherche en présence d’exclusions de la brevetabilité, qui s’est développée depuis une dizaine d’années par l’OEB dans le secteur de l’informatique, semble donc, à notre sens, prendre la facilité pour mauvais guide tout en portant une atteinte injustifiable à la sécurité juridique, dans la mesure où elle peut apparaître un tant soit peu arbitraire.
5. Quoi qu’il en soit, un apport de l’arrêt commenté, qui nous semble pourtant important, paraît être passé jusqu’à maintenant inaperçu : le juge français semble adopter l’approche Hitachi bien connue des mandataires européens dans le domaine de l’informatique. Rappelons simplement que cette approche issue de la décision Hitachi (T 258/03), qu’elle est dédiée à l’appréciation de la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur et qu’elle prône que tout moyen technique suffit pour considérer qu’une revendication ne porte pas sur un élément exclu en tant que tel du domaine de la brevetabilité par l’article 52 CBE (repris en substance par l’article L. 611-10 CPI). En revanche, la contribution inventive, examinée au titre de l’activité inventive, doit être de nature technique. Cette méthode, qui confère une grande souplesse dans l’appréciation de la brevetabilité des inventions informatiques, n’a jamais été clairement adoptée par le juge français qui semblait lui préférer une vision structurelle plus stricte visant à rechercher si le noyau de l’invention résidait dans une exclusion (voir par ex. CA Paris, 16 décembre 2016, nos commentaires dans Propr. industr. 2017, étude 20). La doctrine française était quasi-unanimement opposée à l’approche Hitachi (voir néanmoins notre ouvrage Technique et droit des brevets, LexisNexis, Bibliothèque droit de l’entreprise, t. 89, Paris, 2016, no 594). Quoi qu’il en soit, dans l’arrêt commenté, le juge précise bien que la première caractéristique, jugée non technique, était « centrale » dans le brevet. Pourtant, il a été jugé que la seule présence d’un moyen technique permettait de considérer l’invention valable dans son ensemble. C’est ainsi la première fois que le juge français retient nettement un raisonnement s’apparentant à l’approche Hitachi, sans que le commentateur n’ait donc besoin de recourir à une interprétation a fortiori ou a contrario pour en arriver à cette conclusion (voir à ce propos les deux jugements antérieurs évoqués dans notre ouvrage précité aux nos 595 et 596).
6. Notons que tout cela apparaît d’autant plus étonnant que le rejet de l’INPI était lié à un refus d’établissement du rapport de recherche provenant de l’examinateur de l’OEB. La demande française a en effet été envoyée à l'OEB pour une recherche d’art antérieur comme c'est le cas pour toutes les demandes françaises ne revendiquant pas une priorité étrangère. Et l'examinateur de l'OEB a refusé d'effectuer la recherche au motif que les revendications « se rapportaient à un processus abstrait et générique d'affichage de données, indépendamment de toute technologie. Cet objet est exclu de la brevetabilité, comme toute méthode abstraite de représentation graphique en tant que telle, car il est équivalent à une méthode mathématique ». Autrement dit, l’examinateur de l’OEB n’a même pas pris la peine d’examiner la demande, considérant qu’il était évident que l’invention revendiquée constituait une présentation d’informations.
7. Il ne fait en fin de compte guère de doute que la cour d’appel de Paris a adopté ici une approche favorable aux titulaires de « brevets de logiciels ». Reste désormais à ce que le juge français ait l’occasion de confirmer ce choix d’emprunter la voie de l’activité inventive pour exclure une réalisation se caractérisant par une contribution inventive non technique, comme cela semblait être le cas en l’espèce. En tout cas, à l’avenir, la loi PACTE permettra à l’INPI de rejeter une telle invention en raison d’un défaut d’activité inventive.
Y a-t-il un lien à faire avec le post de la veille (11 juillet)...:-) ?
RépondreSupprimerd’autre part, l’objet de la demande n’autorisait pas l’établissement d’un rapport de recherche, faute de caractéristiques techniques suffisantes.
RépondreSupprimerIl est arrivé que l'INPI cherche à se débarasser d'un dossier embêtant du genre "mouvement perpétuel" en suggérant à l'OEB le contenu du rapport de recherche désiré. Mais, chut! Et puis tout ça est d'ailleurs prescrit...
Intéressante situation créée par l'arrêt.
RépondreSupprimerLe rejet de l’INPI était lié à un refus d’établissement du rapport de recherche provenant de l’examinateur de l’OEB, au motif que les revendications se rapportaient à un processus abstrait et générique d'affichage de données, indépendamment de toute technologie.
Il va être intéressant de voir comment l'INPI va réagir, sachant que l'accord INPI-OEB ne prévoit à ma connaissance pas que l'INPI puisse renvoyer la demande pour une nouvelle recherche.
Au risque d'être un tant soi peu provocateur, peut-être va-t-il s'asseoir dessus, pendant des années, comme pour d'autres demandes "gênantes" où il n'a pas le fondement légal pour la rejeter, en espérant que le déposant décide d'abandonner...une notif toutes les 4 ans, et voilà, le tour est joué.
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