Le sujet de la double brevetabilité est un peu le serpent de mer du droit des brevets.
L'an dernier, j'avais commenté la décision T307/03, dans laquelle la Chambre 3.3.07 avait rejeté une demande divisionnaire dont l'objet se recoupait avec l'objet du brevet "parent". La Chambre s'était alors basée sur l'Art 60 CBE, qui a ses yeux ne permettait d'obtenir qu'un seul brevet sur une invention donnée. La Chambre avait également souligné qu'au point 13.4 de la décision G1/05, la Grande Chambre avait admis l'existence d'un principe général d'interdiction de la double brevetabilité, dû au fait que le titulaire n'avait pas d'intérêt légitime à obtenir deux brevets sur la même invention.
Dans l'affaire toute récente T1423/07, la division d'examen avait rejeté la demande au motif que son objet était identique à celui du brevet européen issu de la demande prioritaire.
Dans cette décision, la Chambre 3.3.02 prend le contre-pied de la précédente décision, en tout cas en ce qui concerne l'interprétation de l'Art 60 CBE. Pour elle, l'Art 60 ne s'intéresse qu'à la question de définir qui a droit au brevet, et ne peut servir de base au rejet d'une demande selon l'Art 97(2) CBE.
L'obiter dictum de la décision G1/05 n'est pas non plus pertinent, puisqu'il concerne un conflit entre un brevet "parent" et une demande divisionnaire. Dans le cas d'espèce, la deuxième demande bénéficie d'une date de dépôt d'un an postérieure à celle du brevet parent : le titulaire a donc un intérêt légitime à obtenir un deuxième brevet, qui lui offre un an de protection supplémentaire.
Admettant que la CBE ne contient pas de disposition spécifique interdisant la double brevetabilité, la Chambre recherche si l'Art 125 CBE s'applique. Cet article permet à l'OEB, pour des questions de procédure, de prendre en considération les principes généralement admis dans les Etats contractants.
La plupart des Etats contractants évitent la double brevetabilité, dans le cas des demandes européennes déposées sous une priorité nationale, grâce à un phénomène de substitution du brevet national par le brevet européen, selon un mécanisme analogue à celui de l'Art L614-11 du Code de la Propriété Intellectuelle français.
Ce mécanisme est toutefois mis en oeuvre après la délivrance du brevet européen, et ne permet pas le rejet d'une demande.
Seuls le Royaume-Uni et l'Irlande prévoient la possibilité de rejeter une demande pour cause de double brevetabilité.
La Chambre en conclut que si les Etats contractants interdisent dans la grande majorité la double brevetabilité, cela ne fournit pas pour autant une base pour rejeter une demande européenne en application de l'Art 97(2) CBE.
L'application des principes généralement admis dans les Etats contractants conduirait plutôt à un mécanisme de cessation des effets attachés au premier brevet lorsque le deuxième est finalement délivré.
On pourrait ajouter que dans les faits, un titulaire sensé obtenant deux brevets identiques devrait abandonner le plus ancien au profit de celui expirant le plus tard.
Dans le cas d'espèce, le problème de double brevetabilité avait de toute façon été résolu grâce à une cession de la demande à une filiale.
Cette décision fondamentale a déjà été discutée il y a quelques jours par plusieurs de mes confrères blogueurs, ici, ici (en anglais) et ici (en suédois).
On notera dans le § 3 que la chambre semble chercher une "excuse" pour conclure que sa décision n'est pas en contradiction avec les décisions G 1/05 et G 1/06, alors qu'en réalité, les raisonnements qu'elle développe dans le § 2, qui l'amènent à conclure que la CBE ne contient pas de dispositions spécifiques permettant le rejet d'une demande de brevet européen pour double brevetabilité (ni l'art. 60, ni l'art. 125 ne le permettent), contredisent ce qu'a énoncé la grande chambre dans le § 13.4 de G 1/05 et G 1/06.
RépondreSupprimer- "double brevetabilité" pour ce blog et pour l'AIPPI.
RépondreSupprimer- "double protection par brevet" pour l'OEB.
- "double brevetage" pour l'OMPI.
alors que tout le monde dit "double patenting".