Depuis que la JUB existe, toutes les personnes intéressées se demandent comment cette nouvelle juridiction va traiter la contrefaçon par équivalence. Il existe en effet des divergences en la matière entre les différents tribunaux nationaux.
Dans la présente décision, la division locale de La Haye, tenant compte des pratiques de diverses juridictions nationales et après avoir interrogé les parties, propose le test suivant en 4 points:
- Équivalence technique : la variante résout-elle (essentiellement) le même problème que l'invention brevetée et remplit-elle (essentiellement) la même fonction dans ce contexte ?
- L'extension de la protection de la revendication à l'équivalent est-elle proportionnée à une protection équitable du breveté compte tenu de sa contribution à l'art [et la manière d'appliquer l'élément équivalent était-elle évidente pour la personne du métier à partir de la publication du brevet (au moment de la contrefaçon)]* ?
- Sécurité juridique raisonnable pour les tiers : la personne du métier comprend-elle, à la lecture du brevet, que la portée de l'invention est plus large que ce qui est littéralement revendiqué ?
- Le produit allégué de contrefaçon est-il nouveau et inventif par rapport à l'état de la technique ? (défense Gillette/Formstein)
Le produit argué de contrefaçon (Bioo Panel, à gauche dans la figure ci-dessous) ne reproduisait pas littéralement toutes les caractéristiques de la revendication 11 du brevet EP2137782 car la plante et ses racines n'étaient pas disposées dans le compartiment anodique, mais dans un compartiment supérieur, le compartiment anodique étant quant à lui disposé dans la partie inférieure.
Pour les juges, la plante (ainsi que son positionnement) a la même fonction que dans le brevet et résout le même problème, et le fait de manière similaire car les matériaux organiques générés dans la partie supérieure peuvent atteindre l'anode dans la partie inférieure.
Le brevet couvre une nouvelle catégorie de piles à bactéries, appelée P-MFC, en introduisant une plante dans le réacteur pour produire de l'électricité à partir des matières organiques venant de la photosynthèse par la plante. Un champ de protection assez large est donc conforme à la contribution de l'invention à l'état de la technique. Bioo argumentait que le système du brevet ne fonctionnait pas et qu'il avait amélioré ce système, mais les juges retiennent que la modification apportée par Bioo applique toujours l'enseignement du brevet.
La personne du métier comprendrait que l'enseignement du brevet est clairement plus large que le libellé de la revendication 11: l'enseignement du brevet est d'ajouter une plante à une pile microbienne, ce que le système de Bioo réalise.
Enfin, le système de Bioo aurait été brevetable à la date de priorité du brevet. Bioo ne peut donc bénéficier d'une défense de type Gillette ou Formstein (moyen de défense constituant à démontrer que le brevet ne peut valablement couvrir l'objet argué de contrefaçon car ce dernier n'était pas brevetable compte tenu de l'état de la technique opposable au brevet).
Bonjour Laurent et merci beaucoup pour ce résumé. C'est vraiment très intéressant parce qu'un mélange entre différentes approches (allemande et anglaise, notamment, les questions 1 & 3 correspondant sensiblement à celles de "Schneidmesserkante" connue de tous les germanophones et la 2e est celle d'Improver/Epilady, la 4e, effectivement "Formstein Einwand", n'étant étonnamment que très peu appliquée par le TFB suisse alors qu'à titre personnel, elle me semble essentielle parce qu'il n'est pas possible d'étendre la protection d'un brevet, même par équivalence, à une solution qui doit être considérée comme faisant partie de l'état de la technique).
RépondreSupprimerExit la "nouveauté de la fonction" des tribunaux français, qui ne veut pas dire grand chose, on ne la regrettera pas.
RépondreSupprimerEt ceux qui ont enterré la défense Gillette ont été un peu rapides. On verra comment la Cour d'appel jugera.
Gillette Formestein / ce n'est plus en fantasme, c'est désormais la réalité en EP/UP, les équivalents ne seront plus qu'une doctrine, mais désormais une jurisprudence ? Oui à voir ce que dira l'appel (ou pas)...
RépondreSupprimerLe point 3 va être intéressant (impossible) à mettre en œuvre. Que comprend l'homme du métier à la lecture d'un brevet ?
RépondreSupprimerRien, et nous sommes tous payés pour le savoir.
L'homme du métier est un technicien, pas un juriste, s'il lit qu'un brevet couvre A+B il n'imagine pas une minute que cela puisse couvrir A'+B.
A moins que l'on nous explique dans les mois à venir que l'homme du métier, en plus d'être une équipe qui comprend 5 docteurs et 12 ingénieurs, a également suivi le CEIPI et passé avec succès l'EQE.
Merci pour ce CR.
RépondreSupprimerPour ma part, je suis étonné que le point 4 soit spécifiquement attaché à la CF par équivalence... Si on reproduit l'art antérieur, on ne risque logiquement rien : ni CF littérale, ni CF par équivalence...
Par contre, c'est bien d'avoir cet examen systématique.