Je remercie le lecteur qui m'a signalé cette décision extrêmement intéressante.
Le brevet avait pour objet une molécule (appelée SkE) ainsi que son utilisation comme médicament dans la prévention et le traitement du paludisme.
La molécule SkE était isolée de la plante Quassia amara, plante traditionnellement utilisée en Amazonie pour traiter le paludisme.Les Opposantes faisaient valoir une contrariété à l'ordre public et aux bonnes mœurs du fait de comportements contraires aux normes acceptées en ce qui concerne l'utilisation de savoir traditionnels, la Titulaire ayant selon elles profité du savoir de communautés autochtones sans les informer ou recueillir leur consentement. La Chambre répond toutefois que le critère de contrariété à l'ordre public ou aux bonnes mœurs porte sur l'exploitation de l'invention et non sur ses conditions d'obtention.
Sur la question de la nouveauté, les Opposantes argumentaient que l'objet revendiqué n'était pas nouveau au regard de D2, D3 et D5, articles décrivant l'activité antipaludique de décoctions ou d'infusions de feuilles de Quassia amara. Ces préparations contenaient de la SkE et entraient donc dans la portée de la revendication 1.
La Chambre est d'accord avec le fait que toutes les compositions contenant de la SkE sont couvertes par la portée de la revendication 1. Cependant, la question de savoir si les extraits de D2, D3 ou D5 entrent dans la portée de la revendication 1 n'est pas le critère correct pour évaluer si l'objet de cette revendication est nouveau.
Le critère est le suivant : une revendication manque de nouveauté si, compte tenu des connaissances générales de la personne du métier, son objet est divulgué dans l'art antérieur explicitement ou implicitement, mais directement et sans ambiguïté.
Donc, même si l'on accepte la présence de SkE dans les extraits de D2, D3 et D5, et même en interprétant la portée de la revendication 1 de la manière la plus large possible, pour inclure la plante Quassia amara et ses extraits divulgués en D2, D3 et D5, une divulgation directe et sans ambiguïté des caractéristiques techniques de la revendication 1, voire de la molécule SkE seule ou en combinaison avec d'autres composés, est toujours nécessaire pour conclure un manque de nouveauté.
Or aucun de ces documents ne divulgue explicitement la molécule SkE seule ou en combinaison avec d'autres composés.
Il n'est pas non plus question de divulgation implicite, car une divulgation ne peut être considérée comme implicite que si la personne du métier constate d'emblée qu'aucun autre élément que la caractéristique implicite alléguée fait partie de l'objet divulgué. Selon G2/88, la question qui se pose est de savoir ce qui a été rendu accessible au public et non ce qui pouvait être contenu intrinsèquement dans ce qui a été rendu accessible au public. La présence de la molécule SkE dans les feuilles de Quassia amara ou leur décoction n'a pas été rendue accessible au public par les extraits de D2, D3 ou D5. En outre, en application de l'avis G1/92, pour que l'art antérieur rende accessible la molécule SkE, il est nécessaire que la personne du métier identifie cette molécule dans les extraites de D2, D3 ou D5. Etant donné que l'identification de SkE représente un effort excessif, la SkE ne fait pas partie de l'état de la technique.
Les Opposantes faisaient valoir que l'objet d'une revendication ne pouvait être nouveau s'il était contrefait par une utilisation existante et que le brevet donnerait le droit au Titulaire d'interdire aux populations autochtones d'utiliser les feuilles de Quassia amara pour la préparation de leurs remèdes traditionnels. La Chambre n'est pas convaincue et rappelle que la même question s'est posée dans l'affaire G2/88 et que la question des droits fondés sur une utilisation antérieure relève des droits nationaux.
Ah les chimistes et les divulgations... Encore une décision tombée dans la marmite de potion magique!
RépondreSupprimerJ'ai l'impression que le chambre veut quelque part "récompenser" le titulaire pour sa contribution technique, qui est d'avoir identifié et isolé la molécule responsable de l'effet antipaludique.
RépondreSupprimerMais dans ce cas est-ce que la protection ne devrait pas être limitée au procédé d'isolement ?
Par ailleurs il va de soi que le titulaire n'ira pas agir en contrefaçon contre les personnes qui font des tisanes ou des décoctions, mais contre d'autres entreprises pharmaceutiques qui souhaiteraient vendre cette molécule dans des médicaments.
Je partage l'avis du commentaire précédent: la chambre ouvre la porte à ce qu'on protège des explications récemment découvertes de produits ou procédés connus depuis longtemps, ce qui me semble aller globalement à l'encontre de la jurisprudence. Une telle ligne ne manquera pas de poser un vrai problème dans l'exercice des droits (mais on a bien compris que ce n'était pas le problème de la chambre): comment savoir si un tiers réalisant une décoction de Quassia amara recherchait volontairement ou non la molécule SkE, a fortiori si celle-ci est partiellement isolée ?
RépondreSupprimerJe ne comprends pas cette décision...
RépondreSupprimerLa R1 revendique la molécule, c'est tout.
Cette molécule est dans les feuilles de Quassia amara (les requérants ont fourni des résultats de spectrométrie de décoctions en annexe 2, §3.6 des raisons de la décision) : la molécule n'est pas nouvelle, puisqu'elle est dans les feuilles! (Elle est librement accessible au public depuis que ces feuilles de Quassia amara existent...).
@Anonyme du 23 octobre 2024 à 08:49
RépondreSupprimerAu §4.9 des raisons de la décision, on lit que "l'annexe 2 soumise par les requérants montre, a posteriori, l'existence de la molécule SkE dans son environnement naturel en mélange avec d'autres molécules en ayant déjà connaissance de la structure chimique et ses caractéristiques spectrométriques, puisque toutes ces informations étaient déjà décrites dans le brevet.", et au §4.11, on lit que "sans l'information comprise entre autres dans le brevet, il n'y a aucune raison de conclure que l'auteur de l'annexe 2 aurait identifié le SkE dans l'extrait testé."
Autrement dit, il a fallu la contribution du brevet pour que la molécule devienne accessible au public. Donc, avant le brevet, elle ne l'était pas...
Comme l'anonyme du 23 octobre, 8h49, je ne comprends pas la revendication 1.
RépondreSupprimerLa description du brevet dans son alinéa [0001] nous dit :" L'invention a pour objet une nouvelle molécule, la Simalikalactone E, qui peut être extraite de la plante Quassia amara...".
On peut donc s'interroger sur la simple brevetabilité de cette molécule au regard de l'exception des découvertes de l'article 52(2)a).
J’ai commenté la décisions dans mon blog, plutôt sous l’angle appropriation de connaissances traditionnelles qui était l'angle adopté par les opposants.
RépondreSupprimerCette décision m’a rappelé T 416/01 sur l’utilisation de l’huile de nem, usage lui aussi traditionnel.
D’un autre côté, la pénicilline, la digitaline ou l’acide salicylique et ses dérivés sont aussi des remèdes d’origine naturelle. Les décoctions de digitales étaient bien connue des anciens pour ses vertus pour le cœur. Il en est de même de l’utilisation de salix alba.
Auriez-vous dénié a Flemming un brevet sur la pénicilline au prétexte qu’il s’agissait d’un produit d’origine naturelle ? Découvrir et isoler le principe actif d’un produit naturel ne mérite-t-il pas un brevet ? Je ne suis pas chimiste et je n’ai pas la réponse, mais la question vaut d’être posée.
Décrire la structure de la molécule est une découverte. Simple.
RépondreSupprimerAssocier la molécule à une activité utile (effet thérapeutique) est une invention. Basique.
Il manque juste le mot "isolée" ou "purifiée" dans la revendication de molécule 1. Une décoction n'est pas un produit purifié, les remèdes traditionnels n'entrent plus dans le champ de la revendication et aucun lecteur ne sautera (à raison) au plafond en lisant le résumé "la revendication 1 est nouvelle bien que l'art antérieur tombe dans son champ".
« Si cela va sans le dire, cela ira encore mieux en le disant. » (Talleyrand)
Je comprends que la décision fasse bondir les mécaniciens, mais en chimie un produit peut contenir une molécule, sans que cette dernière soit rendue accessible au public de ce seul fait.
RépondreSupprimer@Anonyme du 23 octobre 2024 à 16:35
RépondreSupprimerJe suis mécanicien et pourtant je n'ai pas bondi en lisant la décision. Peut-être est-ce parce que j'ai fait trop de chimie pendant mes études ? :)
En tout cas, pour compléter la discussion, je relève que le brevet correspondant aux États-Unis (US 8,604,220 B2) a été délivré avec la même revendication 1 sur la molécule. Pourtant, de mémoire, la jurisprudence américaine exclut de la brevetabilité les produits de la nature. On ne saura sans doute jamais si l'examinateur de l'USPTO n'a pas suivi la jurisprudence en acceptant cette revendication, car le brevet est déchu pour cause de non-paiement d'annuités.
Il faudra relire cette décision lorsque la décision G1/23 sera publiée.
RépondreSupprimerMon intuition (de non-chimiste) me suggère que la différence entre G1/23 et cette décision tient en la nature artificielle ou naturelle de l'antériorité.
SupprimerDans G1/23, il est question d'un "produit mis sur le marché". Le produit est artificiel, a été conçu par un (des) humain(s) avec un contenu intentionnel, dont notamment l'invention concernée.
Ici, il est question d'une plante, trouvée et trouvable dans la nature. Nulle intentionnalité de reproduire l'invention (même indirectement) dans cette "mise à disposition du public" ici.
On pourrait arguer que dès lors qu'un produit (i.e. une réalisation humaine) est conçu et diffusé publiquement, son contenu technique a été divulgué, là où il n'en est rien concernant un objet naturel. C'est justement l'identification, dans un objet naturel, qui constitue l'invention.
@Anonyme du 23 octobre, 10h26 : les directives (G-II, 3.1) indiquent en effet que "[l]e fait de trouver une substance auparavant non reconnue dans la nature ne constitue [...] qu'une simple découverte et son objet n'est donc pas brevetable"... mais nuancent ce constat en précisant que "si l'on peut montrer qu'une substance trouvée dans la nature produit un effet technique, elle peut être brevetable. C'est, par exemple, le cas d'une substance qui se trouve à l'état naturel, et dont on découvre qu'elle a un effet antibiotique".
RépondreSupprimerJ'imagine que c'est au nom de cette nuance – qui constitue en quelque sorte une exception à l'exclusion – que la molécule SkE revendiquée n'a pas été considérée comme une découverte exclue de la brevetabilité au sens de l'Article 52(2)a) CBE puisque la molécule SkE est, certes, une substance à l'état naturel, mais qui produit un effet technique par ses propriétés antipaludiques.
Les CR ne sont pas liées par les Directives, mais le commentaire est pertinent.
SupprimerBeaucoup de médicaments ont pour origine un produit naturel. Si ce produit isolé produit un effet thérapeutique, il est parfaitement brevetable.
Pour le chimiste que je suis, très belle décision pleine de sens et d'enseignements
RépondreSupprimer@ Anonyme du 25.10.2024 – 10.27
RépondreSupprimerDans G1/23, il est certes question d'un "produit mis sur le marché". Au Point 12 de l'avis préliminaire de la GCR, il est cependant clairement souligné qu’un produit naturel peut aussi être mis sur le marché.
Il n’y a donc pas lieu de distinguer entre un produit artificiel, qui a été conçu par un (des) humain(s) avec un contenu intentionnel, et une produit se trouvant dans la nature mais dont personne n’a auparavant isolé le principe actif.
Alors cette décision T2510/18 pourrait très bien être contredite par G1/23 si jamais G1/23 dit que la mise sur le marché d'un produit revient à en divulguer toutes les caractéristiques.
RépondreSupprimerJe suis aussi 'mécanicien', et je pense que cette décision est à la fois logique et légèrement erronée.
RépondreSupprimerEn effet :
- la simple découverte de la molécule n'est pas brevetable,
- la 1ère (ou 2eme...) application thérapeutique de cette molécule est brevetable (A54 - applicables aux revendications 2-6)
- la molécule (rev.1) est aussi brevetable, mais uniquement en tant que molécule isolée, ce qui récompense les efforts d'identification et rafinnage/synthèse de la molécule - ici à mon avis la requête subsidiaire était brevetable car elle introduisait cette restriction "sous forme isolée", mais pas la requête principale et c'est l'erreur de la chambre.
Tout à fait d'accord avec Benjamin.
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