La question de savoir si et dans quelle mesure l'article 69 CBE doit être pris en compte pour interpréter les revendications dans le cadre de l'examen de la brevetabilité revient régulièrement sur la devant de la scène. Nous avons récemment vu que la Cour d'Appel de la JUB considère quant à elle que la description et les figures doivent toujours être utilisées comme une aide à l'interprétation, et pas seulement pour résoudre des ambiguïtés.
Dans le cas d'espèce, la question était de savoir quel sens donner à l'expression "en prise avec" (engaged with), dans le contexte d'un article d'habillement dans lequel un système de retour en position arrière inférieure 202 était en prise avec un vêtement 200.
La Chambre adopte l'interprétation techniquement raisonnable la plus large possible: le système de retour peut (i) être un élément distinct mais attaché au vêtement ou (ii) être intégralement incorporé au vêtement. L'expression n'est pas ambiguë de sorte qu'il n'est pas nécessaire de se référer à la description pour l'interpréter.
Du reste, il n'est pas vrai que seule une interprétation restrictive serait conforme à l'article 69 CBE. La primauté des revendications est consacrée par la première phrase de cet article. La description et les dessins n'ont pas le même statut. Le protocole interprétatif de l'article 69 CBE mentionne deux "pôles", et la jurisprudence de l'OEB se situe entre ces deux pôles: il ne faut ni mettre trop l'accent sur la formulation littérale des revendications, considérées isolément du reste du brevet ni mettre trop l'accent sur le concept inventif général divulgué dans le brevet sans tenir suffisamment compte de la formulation des définitions (G2/88, 4).
Ici, l'interprétation de "en prise avec" n'est pas une question d'interprétation du terme d'un point de vue purement linguistique, mais plutôt d'une interprétation à la lumière des connaissances générales de la personne du métier dans le domaine technique considéré, qui nécessite l'identification de ce domaine à partir de la divulgation complète du brevet.
Ni l'article 69 CBE ni son protocole interprétatif n'expliquent comment utiliser la description et les dessins. Néanmoins, le principe de primauté des revendications semble exclure une utilisation aux fins de limitation de la portée des revendications si l'interprétation à la lumière des connaissances générales conduit déjà à un résultat techniquement sensé. De même, le fait de ne pas lire dans la revendication des caractéristiques limitatives qui ne figurent que dans la description est totalement en ligne avec l'article 69 CBE.
Si un terme est défini dans la description d'une manière particulière, qui s'écarte du sens normal du terme dans la technique, cette définition devrait figurer dans la revendication pour être prise en compte dans le cadre de l'examen de la validité.
En tout état de cause la Chambre considère que même la prise en compte de la description ne conduirait pas à adopter une interprétation limitée à deux éléments distincts.
Cette décision, qui suit la même ligne que la décision T 447/22, me paraît fournir une approche convaincante quant à l’interprétation des revendications au titre de l'article 69 dans le contexte de l'évaluation de la validité dans la procédure d'opposition.
RépondreSupprimerL'article 69, puisqu'il concerne « l'étendue de la protection », devrait être stricto sensu appliqué uniquement à l'évaluation du respect de l'article 123(3) en cas de modifications de revendications. Mais il y a une logique à l’appliquer à l’appréciation de la validité, pour assurer la concordance du rôle de la description dans l’interprétation des revendications entre les deux contextes.
La Chambre affirme (Raison 1.1.16) le principe de la primauté des revendications sur la description selon l'Art 69 et le poids des connaissances générales de l’homme du métier dans la compréhension de la description. Selon ce principe, aucune limitation des revendications ne peut être déduite seulement de la description.
C’est une « ligne rouge » majeure quant au rôle de la description dans l’interprétation des revendications. Le breveté ne doit pas pouvoir tirer argument de caractéristiques décrites mais non revendiquées pour se différencier de l’état de la technique, tout en gardant inchangée la portée des revendications dans la perspective d’une action en contrefaçon. Si le breveté souhaite s'appuyer sur des caractéristiques non revendiquées, il lui incombe de modifier les revendications pour inclure ces caractéristiques.
Une déclaration à noter dans la décision (Raison 1.1.2) est qu'« une revendication doit être interprétée aussi largement que techniquement raisonnable dans l'état de la technique pertinent ». Cette déclaration est très importante, car elle définit la règle d’interprétation exactement en concordance avec la règle constante applicable dans le contexte de l'examen des demandes.
La Chambre aborde en outre dans les Raisons 1.1.19 et 1.1.20 le poids à accorder aux « disclaiming clauses » (exemples de réalisation présentés dans la description comme ne faisant pas partie de la présente invention ») introduites par le déposant et/ou avant la délivrance, par la Division d’Examen au stade de la notification 71(3). La Chambre affirme clairement que de telles clauses ne peuvent pas être utilisées par le breveté pour tenter de limiter les revendications. Ce qui compte, c'est le langage des revendications, à condition qu'elles soient claires en elles-mêmes. Cela implique que de telles clauses sont inutiles.
C’est un argument de poids à l’encontre de la pratique actuelle de l'OEB consistant à exiger des amendements à la description consistant à inclure des « disclaiming clauses » (ou à supprimer les exemples de réalisation non revendiqués) pour mettre en cohérence la description et les revendications, au nom de la sécurité juridique.
A ce sujet, il faut signaler que la révision 2024 de la directive F-IV 4.3 amorce une évolution positive.