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lundi 9 novembre 2020

T844/18: interprétation de "celui qui" de l'article 87(1) CBE et de l'article 4A(1) de la Convention de Paris

Les motifs de la décision tant attendue T844/18 sont arrivés.

Le brevet était un des brevets de base sur la technologie CRISPR-Cas9, qui a valu un prix Nobel à Emmanuelle Charpentier et Jennifer A. Doudna. Le brevet en cause émanait toutefois de l'équipe "adverse" du MIT.

Pour mémoire, les faits de la cause étaient les suivants: le brevet (comme 5 autres) revendiquait la priorité de 12 demandes provisoires américaines déposées chacune au nom de divers inventeurs.
La division d'opposition avait jugé que les priorités P1, P2, P5 et P11 n'étaient pas valables du fait que certains de leurs déposants (Maraffini, Bikard et Jiang, de la Rockfeller University) n'ont pas cédé leur droit de priorité aux déposants de la demande PCT (Broad, MIT et, pour les US, les inventeurs Zhang, Cong, Hsu et Ran). L'invention n'était alors pas nouvelle au regard de D3 et D4, publications intervenues avant la date pertinente dans les revues Science et Nature.

La question de la validité de la priorité était donc essentielle, et la Chambre arrive à la même conclusion que la division d'opposition, balayant tour à tour les nombreux arguments des Titulaires, répartis en trois branches.

Pour simplifier, la question était la suivante: si A et B ont déposé une première demande et si A seul dépose la demande ultérieure, la priorité peut-elle être valable en l'absence de cession du droit de priorité de B à A?  et la réponse est "Non".

1. l'OEB est compétent pour décider qui peut bénéficier du droit de priorité

Dans le cadre de l'examen de la validité du droit de priorité, l'OEB doit non seulement examiner la question du "quoi", du "où" et du "quand', mais aussi du "qui" ("celui qui a régulièrement déposé..."), ce qui ne revient pas à décider sur un droit de propriété, mais constitue un examen formel. La CBE contient un grand nombre d'exigences formelles qui peuvent conduire à la perte du brevet. Les Titulaires ont choisi des déposants d'une manière qui n'est pas conforme à la pratique établie de l'OEB et ce n'est pas à la Chambre de réparer des erreurs, omissions ou choix délibérés d'une partie.

2. "Celui qui" de l'Article 87(1) CBE = "tous les déposants", ou "les mêmes déposants"

La Chambre note que le texte authentique de la Convention de Paris, en langue française, par le choix de "celui" (traduit par "any person") au lieu de "quiconque", tend à confirmer l'approche traditionnelle de l'OEB. L'approche "all applicants" respecte l'objectif de la Convention de Paris, qui crée un système dans lequel les déposants sont traités comme s'ils avaient simultanément déposé dans plusieurs pays, tout en empêchant que chacun des déposants dispose indépendamment de son droit de priorité. La Chambre ne voit pas de raisons impérieuses pour changer la pratique de l'OEB, qui prévaut aussi dans beaucoup d'Etats contractants. 

3. Ce n'est pas la loi nationale qui décide qui est "celui qui", mais la Convention de Paris

La Convention de Paris (à la quelle les Etats-Unis sont partie, et qui donc fait partie de sa "loi suprême") se réfère à une personne qui a réalisé un acte: celui du dépôt d'une demande de brevet. Que ces personnes soient les inventrices ou les inventeurs ou qu'elles tirent leur droit des inventrices ou des inventeurs n'est pas une question à examiner. Les Travaux Préparatoires de 1880 (!) font apparaître que le terme "auteur" a été remplacé par "celui qui a régulièrement déposé" afin justement d'éviter tout débat de fond sur la question du droit à l'invention. Il n'y a donc pas lieu d'appliquer la loi américaine afin de déterminer qui avait le droit de déposer la première demande.


3 commentaires:

  1. La solution paraît raisonnable: ce n'est pas aux Offices de s'occuper de ces questions de propriété. Seuls les aspects formels doivent être vérifiés. Cela simplifie toutes ces questions de priorité: celui qui en bénéficie est celui qui a déposé, que cette personne ait le droit de déposer ou pas.

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  2. Les rédacteurs du texte de 1883 ont été clairvoyants et sont allés au bout des choses...

    Dans le cas présent, l'OEB dit que la revendication de priorité est NOK si la priorité est déposée par A et B, et la demande EP par A seulement. Comme déjà jugé T788/05 sauf erreur.

    Cependant, savez vous si d'autres pays ont une vision plus libérale?

    En particulier aux USA, avec le dossier mondial, je vois qu'en 2017, il y a eu une décision "favorable dans l'interférence sur la priorité" dans le dossier du US8906616B2. J'ai essayé de lire la décision de 2017, et je devine que l'office US a identifié les objets revendiqués par inventeur, a ensuite suivi le transfert de propriété, pour dire que la priorité de tel ou tel objet est valable... Mais je ne suis pas sûr du tout de mon interprétation de cette décision de 50 pages usant de termes spécifiques au droit US...

    En tout cas, le mandataire qui a déposé le PCT est aux USA et le brevet US "semble" avoir survécu à cette contestation de la priorité, mais ne pas avoir vérifié si la cession du droit de priorité a été faite avant le dépôt PCT coûte cher en Europe...

    En Chine, 5ème notification, ils discutent de la nouveauté, apparemment pas de la priorité, au Japon, 4 brevets délivrés, donc visiblement la prio est OK...



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  3. Plus que pragmatique11 novembre 2020 à 11:03

    La solution trouvée est loin d'être juste pragmatique. La position de la CR correspond non seulement à l'esprit, mais aussi à la lettre de la CUP.

    Contrairement à ce qu'a affirmé le propriétaire "celui qui" en français devient "ceux qui" au pluriel, car le texte officiel de la CUP est en français.

    Le terme anglais "any" est à mon humble avis une mauvaise traduction de "celui qui...". J'aurais plutôt vu "whoever" au lieu de "any". Même avec "whoever" il aurait été difficile de dire n'importe qui = any, car une traduction correcte serait "those who applied"

    Cela aurait évité de nombreux avis de jurisconsultes qui, quand au fond, on essayé de justifier l'injustifiable au bénéfice du propriétaire.

    Que d'autres systèmes administratifs et juridiques arrivent à des conclusions différentes est leur bon droit.

    La question de la validité de la priorité ne vaut pas une question à la GCR, d'autant que la jurisprudence des CR est constante à cet égard.

    Le problème à la base est un problème de droit américain avec les fameux "provisionals". Qu'il reste de l'autre côté de l'Atlantique et ne vienne pas faire des ravages de ce côté.

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