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vendredi 8 avril 2016
T1845/11 : clarté du terme "Asian race"
Un lecteur, que je remercie, m'a signalé cette intéressante décision.
La demande avait pour objet une deuxième application thérapeutique dans laquelle le groupe de patients à traiter est défini comme étant "de race asiatique" (Asian race).
Pour la Chambre le terme "Asian race" n'est pas clair, l'homme du métier (un médecin impliqué dans des essais cliniques) n'étant pas à même de distinguer de manière non ambiguë les patients appartenant à ce groupe de ceux qui n'y appartiennent pas.
Plusieurs documents dans le domaine de la recherche médicale montrent que le terme "race" a en médecine différentes acceptions et qu'il n'existe aucun consensus sur une définition précise à donner à ce terme.
Le déposant expliquait en défense que lors des essais cliniques devant des autorités telles que l'EMEA ou la FDA la classification par race était routinière. Le fait qu'aucune de ces autorités ne donne de définition à ces termes prouve qu'ils sont clairs en eux-mêmes.
La Chambre n'est pas convaincue: il était certes courant à la date de priorité de collecter des informations relatives à la race comme une des variables démographiques considérées, mais les documents qui mentionnent ce fait insistent également sur l'absence de définition non équivoque et généralement acceptée de ce terme. Le simple fait que des termes soient utilisés de façon routinière n'implique pas qu'ils aient un sens clair.
Ainsi, et le déposant le reconnait, selon la méthode de classification (auto-déclaration, lieu de naissance, traits somatiques), un même patient peut être classé dans différents groupes raciaux.
La demande définit la notion de "asiatique" comme qualifiant les personnes ayant leurs origines dans les peuples d'origine chinoise, mongole, taïwanaise, singapourienne, coréenne, japonais, vietnamienne, cambodgienne, laotienne, birmane, thaïlandaise, malaisienne, indonésienne et philippine. Le terme "origine" est toutefois ambigu.
Décision T1845/11
En allant jusqu’au bout du raisonnement il est possible de considérer que le terme « race asiatique » n’est rien d’autre qu’un paramètre. Comme le paramètre n’est pas correctement défini, l’objet de la revendication n’est pas clair.
RépondreSupprimerComme la définition ne peut pas être précisée sans contrevenir aux dispositions de l’Art 123(2), il est également envisageable que la définition donnée ne permet pas de mettre en œuvre l’invention. L’objection est alors une objection selon l’Art 83.
Le résultat revient au même : non-brevetable.
Les considérations relatives à la « race asiatique » s’appliquent mutatis mutandis à la notion « d’origine ».
Dans la mesure où la demande a trait à une seconde application thérapeutique pour une nouvelle classe de patients, il est important que la classe de patients soit correctement définie. Il est donc nécessaire d’avoir une définition précise du terme « race asiatique ». Tant la revendication que la description ne permettent pas de définir clairement la nouvelle classe de patients.
Il n’empêche qu’un certain sentiment de malaise ne saurait être ignoré eu égard à l’histoire récente de l’Europe. Où peuvent bien mener les brevets….
Décision intéressante,
RépondreSupprimerA rapprocher des brevets délivrés à Myriad Genetic pour des diagnostiques du cancer du sein chez la femme juive ashkenaze.
Dans sa décision la division d'opposition avait estimé que ce terme était clairement défini (voir brevet EP0785216). La DO avait également balayé les arguments relatifs à 53(a) (alors que pour une fois cela me semblait pertinent).
C'était à mon avis un peu léger, mais aucun recours n'ayant été formé, on ne peut savoir ce qu'en aurait pensé la chambre de recours.
Je comprends qu'on puisse se poser des questions en ne lisant que la décision en appel.
RépondreSupprimerLa question qu'il faut à mon humble avis se poser est de savoir pourquoi le demandeur a limité ses revendications à la race asiatique. La lecture de la décision de première instance apporte une réponse:
7. [...] Based on the experimental data in the present application, the claimed therapy seems to work mainly in patients of the Asian race. [...]
Il semble donc que le manque de clarté soit relatif à la suffisance de description.
La Division d'Examen avait quant à elle conclu au point 7.4.2 que le manque de clarté était tel qu'il empêchait l'examen de la nouveauté et de l'activité inventive.
Cela dit, il reste que le demandeur avait inventé une seconde indication thérapeutique. Nous ne saurons pas ce qui se serait passé s'il l'avait revendiquée sans la limiter à la race asiatique, en précisant dans la description que le traitement n'est pas efficace à 100% (lequel l'est?) et que "it seems to work mainly in patients of Asian race".
Par ailleurs, la Division d'Examen avait fait référence à T233/96, qui exige 3 conditions pour définir un nouveau groupe de patients, (i) qu'il se distingue du groupe précédent par son état physiologique ou pathologique, (ii) qu'il n'y ait pas de recouvrement avec le groupe précédent, et (iii) que le choix ne soit pas arbitraire. Toutefois, elle n'a apparemment pas défini quel est le "groupe précédent", ce qui ne permet pas de vérifier que le manque de clarté entraine le non-respect des conditions.
Je n'ai pas étudié le dossier plus avant, pour voir si la caractéristique "who failed to respond to a previous treatment with interferon-alpha" aurait pu définir le nouveau groupe.
Francis
Le déposant expliquait en défense que lors des essais cliniques devant des autorités telles que l'EMEA ou la FDA la classification par race était routinière. Le fait qu'aucune de ces autorités ne donnant de définition à ces termes prouve qu'ils sont clairs en eux-mêmes.
RépondreSupprimerC'est cela, oui... On pourrait aussi arguer que c'est un indice du piètre niveau de beaucoup trop d'études pharmaceutiques et de dossiers d'homologation.