Je suis heureux d'accueillir à nouveau Philippe Signore, associé du cabinet Oblon Spivak et professeur au CEIPI, qui nous fait l'honneur d'un premier article sur la nouvelle loi américaine, seulement 5 jours après sa signature par le président Obama.
I. Introduction
Le 28 août 2011, un tremblement de terre de magnitude 5,8 frappa la région de Washington D.C. et affecta toute la côte Est des Etats-Unis. Il ne causa pas de victimes mais ce fut un séisme exceptionnel. Sans doute annonçait-il le séisme qui se produisit un mois plus tard, mais cette fois sur la planète brevets.
Pour un spécialiste américain en
brevets, la loi dite America Invents Act
(AIA), signée par le Président Obama le 16 septembre 2011, constitue en effet
un tremblement de terre. Elle représente l’aboutissement d’une dizaine d’années
de réflexions, de débats, de lobbying et de négociations difficiles. Le point
principal de cette loi est le passage du système dit du premier inventeur
(aujourd’hui en vigueur) à un système original dit de l’inventeur– premier-déposant (« first-inventor-to-file »). C’est une rupture après deux
siècles de tradition.
Ce n’est évidemment pas la première fois que la loi américaine sur les brevets est modifiée. La dernière modification remonte à 1952 et s’était concrétisée par la loi de 1952. Elle avait été rédigée par deux experts d’exception, Giles Rich et Pasquale Federico. Ils accomplirent un travail titanesque en réussissant à codifier une jurisprudence abondante en quelques articles du Titre 35 du Code des Etats-Unis. Mais, en dépit de son assise juridique, la loi de 1952 soulevait de nombreuses questions, qui furent examinées par les tribunaux fédéraux. A fortiori, la nouvelle loi soulèvera bien des questions elle aussi car elle ne s’appuie pas sur la jurisprudence. Elle a été rédigée en grande partie par les assistants des Sénateurs et des Représentants, qui, s’ils sont de bons juristes, ne sont pas pour autant des experts en matière de brevet. La loi nouvelle est un compromis entre des intérêts parfois divergents. Il restera aux tribunaux à interpréter ces dispositions. Comme les juges américains jouissent d’un pouvoir important et d’une grande indépendance, ils voudront apposer leur marque sur cette nouvelle loi. Il est difficile de prévoir dans quel sens. Pour les praticiens américains, une nouvelle ère s’ouvre donc qu’il faudra suivre attentivement. Elle verra des occasions à saisir, des pièges à éviter et des défis à relever.
II. « Inventeur premier déposant »
La nouvelle loi reprend la
disposition ancienne selon laquelle seul l’inventeur
authentique a droit à un brevet. La différence - et elle est de taille -
tient à ce qu’il ne doit plus être
nécessairement le premier ; mais il doit être le premier déposant.
On peut donc traduire ce que les Américains appellent le « First-Inventor-to-File system» par « le système de l’Inventeur premier déposant » car
« first » se rapporte à « to-file » et non plus à
« Inventor ».
La loi AIA réécrit complètement l’article 35 USC 102 de l’ancienne loi. Il faut noter
immédiatement que le paragraphe ancien 102(g), qui fondait le principe de
l’attribution du brevet au premier inventeur, a été supprimé. D’autres
dispositions devenues anachroniques ont été abrogées également. Par exemple, le
paragraphe 102(c), qui prévoyait qu’on ne pouvait breveter une invention ayant
été abandonnée, a été supprimé. De même, le paragraphe 102(d), qui ruinait le
droit au brevet pour une invention brevetée prématurément dans un pays
étranger, a été supprimé. Il reste à
préciser ce que la nouvelle loi prévoit en matière d’art antérieur (A) et
quelles sont les exceptions prévues (B).
A. Art antérieur
Le nouvel article 102 comprend
maintenant une définition unique de l’art antérieur dans son paragraphe 102(a),
ce qui marque une simplification appréciable si l’on songe aux sept paragraphes
(a) à (g) que contenait l’ancien article. Le nouveau paragraphe 102(a) comprend
une première partie générale, suivie d’une seconde partie visant plus
particulièrement les publications de brevets et les brevets américains, ainsi
que les publications des demandes PCT désignant les Etats-Unis.
i)- le nouveau
paragraphe 102(a)(1) dispose: « une
personne a droit à un brevet sauf si l’invention revendiquée a été brevetée,
décrite dans une publication imprimée, en usage public, en vente, ou mise à la
disposition du public par tout autre moyen, avant la date de dépôt effective de
l’invention revendiquée ». Il est important de souligner qu’aucune
restriction territoriale n’apparaît dans cette définition de l’art antérieur,
comme c’était le cas dans la définition ancienne (qui restera encore en vigueur
pendant 18 mois et qu’on peut donc qualifier de définition actuelle). Ainsi, un usage public ou une mise en vente où que ce soit dans le monde, constituera un obstacle à la protection par brevet.
Bien qu’elle
soit relativement simple, cette définition soulève encore des interrogations
auxquelles la jurisprudence devra répondre. Par exemple, une vente non publique
constitue-t-elle un art antérieur ? Qu’en sera-t-il d’un usage public qui
ne révélerait pas l’invention au public ? Sous la loi actuelle, la réponse
est affirmative dans les deux cas. Un autre point intéressant à souligner est
celui d’une divulgation publique orale, par exemple dans une conférence,
n’importe où dans le monde, qui pourrait constituer un art antérieur.
ii)-Le nouveau
paragraphe 102(a)(2), dispose que les publications de demandes de brevets
américains, les brevets américains et les publications de demandes PCT
désignant les Etats-Unis, désignant un autre inventeur, constituent un art
antérieur à compter de leur première date
effective de dépôt, si cette date est
antérieure à la date effective de dépôt de l’invention revendiquée (même si les
publications correspondantes sont postérieures). De manière importante, les
publications de demandes américaines revendiquant la priorité d’une demande
non-américaine seront considérées comme un art antérieur à compter de leur date de priorité. Cette modification, qui profite
aux déposants non américains, est explicitement prévue dans le nouveau
paragraphe 102(d), et rend donc caduque la doctrine dite Hilmer. A souligner également que les publications de demandes de
brevets américains, les brevets américains et les publications de demandes PCT,
contrairement à ce que prévoient les lois étrangères, constituent un art
antérieur à la fois pour l’appréciation
de la nouveauté et de la non-évidence
de l’invention revendiquée, même si ces publications sont postérieures à la
date effective de dépôt de l’invention revendiquée. Un dernier changement pour
les déposants PCT non américains prévoit que cet art antérieur ne dépend plus
de la langue dans laquelle la demande PCT a été publiée.
B. Exceptions
Le nouveau paragraphe 102(b) prévoit
des exceptions à la définition générale de l’art antérieur prévue au paragraphe
102(a).
1.
Période de grâce
Le paragraphe 102(b)(1) prévoit une
période de grâce d’un an. Ce paragraphe est divisé en deux parties, A et
B :
-
La
partie A traite de ce qu’on appelle la période de grâce personnelle, qui exclut
de l’art antérieur prévu au paragraphe 102(a)(1) toute divulgation effectuée un
an ou moins avant la date effective de dépôt de l’invention revendiquée, si
« la divulgation a été faite par
l’inventeur ou par un co-inventeur ou par une personne qui tient l’objet divulgué directement ou indirectement
de l’inventeur ou du co-inventeur ». Ainsi, selon cette disposition,
le propre travail de l’inventeur ne constitue pas un art antérieur qui lui soit
opposable, à condition qu’il soit divulgué dans l’année qui précède la première
date effective de dépôt dont bénéficie sa demande.
-
La
partie B du paragraphe 102(b)(1) se réfère au régime dit du premier à publier. Selon ce régime,
on écarte de l’art antérieur défini par
le paragraphe 102(a)(1) toute divulgation faite un an ou moins avant la date
effective de dépôt d’une invention revendiquée si « l’objet divulgué avait, avant cette divulgation, été décrit
publiquement par l’inventeur ou par un co-inventor ou par un tiers qui l’aurait
obtenu directement ou indirectement de l’inventeur ou d’un co-inventeur. »
Ainsi, conformément à cette disposition, le travail d’un tiers ne constituera
pas un art antérieur s’il a été décrit après la publication par l’inventeur.
Ce nouveau système est appelé parfois
système du premier à publier car en
publiant son invention, l’inventeur déclenche une période de grâce d’un an
pendant laquelle il pourra déposer une demande sans craindre un art antérieur
intercalaire émanant d’un tiers, tout en en créant un art antérieur opposable à
un autre demandeur sur le même sujet. Evidemment, si un inventeur désire
obtenir une protection hors Etats-Unis, il renoncera à cette publication, qui ruinerait ses droits dans
les pays où la condition de nouveauté est absolue.
Il est important de souligner que la
période de grâce prévue au paragraphe 102(b)(1) est internationale en ce sens
que la période d’un an est calculée à partir de la date de priorité et non à
partir de la première date de dépôt aux Etats-Unis. Il s’agit là, à nouveau,
d’une modification qui profite aux déposants non américains, contrairement à la situation actuelle où la période de
grâce d’un an est calculée seulement à partir de la date de dépôt aux
Etats-Unis.
2.
Publications des demandes de brevets américains, des brevets américains
et des demandes PCT
Le paragraphe 102(b)(2) prévoit que
la règle générale énoncée dans le paragraphe 102(a)(2) (les publications des
demandes de brevets américains, des brevets américains, et des demandes PCT
désignant les Etats-Unis constituent un art antérieur à compter de leur première date
effective de dépôt si cette date est antérieure à la date de la demande de
l’invention revendiquée) ne s’applique pas (A) si l’objet décrit a été obtenu
directement ou indirectement de l’inventeur ou d’un co-inventeur ; ou (B)
si l’objet décrit avait, avant qu’il ait été effectivement déposé selon le
paragraphe (a)(2), été publié par l’inventeur ou par un co-inventeur ou par une
personne qui le tirait directement ou indirectement de l’inventeur ou d’un
co-inventeur. Si l’une de ces deux conditions est remplie, la publication/le
brevet ne constituera pas un art antérieur au sens de l’article 102(a)(2) à compter de sa première date de dépôt,
mais pourra en constituer un au sens du
paragraphe 102(a)(1) à compter de sa date
de publication.
3.
Propriété en commun
Selon le paragraphe 103(c) actuel,
les publications de brevets et les brevets (i) qui constituent un art antérieur
au sens du paragraphe 102(e) (mais qui ne sont pas un art antérieur au sens des
paragraphes 102(a) ou 102(b)) et (ii) qui sont détenus en commun ou font
l’objet d’un accord de recherche en commun, sont exclus de l’art antérieur pour
ce qui est de l’appréciation de l’évidence. Ces documents sont, en revanche,
pris en compte pour l’appréciation de la nouveauté.
La loi AIA étend cette exception.
Selon les nouveaux articles 102(b)(2)(C) et 102(c), un document appartenant à
la même société ou étant l’objet d’un accord de recherche en commun ne constitue pas un art antérieur au titre du nouveau paragraphe 35 USC
102(a)(2) à compter de sa première date
de dépôt, en ce qui concerne l’évidence et
la nouveauté. Cependant, un document appartenant à la même société ou
faisant l’objet d’un accord de recherche en commun peut être retenu comme art
antérieur au titre du nouveau paragraphe 35 USC 102(a)(1) à compter de sa
date de publication, en ce qui concerne l’évidence et la nouveauté.
III. Conclusion
La présentation qui précède ne porte
que sur les dispositions de la loi AIA relatives au régime de l’inventeur-premier-déposant.
Ces dispositions sont contenues dans la Section 3 de la loi AIA, qui en compte
37 au total ! Bien que beaucoup de ces Sections ne portent que sur des
points de moindre importance, certaines d’entre elles constituent tout de même
des modifications assez profondes de la loi actuelle. En particulier, les
dispositions relatives aux procédures après délivrance, dites « post grant review », qui se
dérouleront devant une nouvelle Chambre appelée « Patent Trial and Appeal Board », remplaçant l’ancien « Board of Patent Appeals and Interferences ». Ces nouvelles procédures
vont probablement remettre en cause nos habitudes. Elles feront l’objet d’un autre article dans
ce blog.
Merci de ce résumé succinct et clair qui répond à mes questions les plus simples mais essentielles ! Avec les cris d'orfraie, glapissements, hululements et les hurlements des commentateurs outre-atlanticiens il m'était difficile de me faire une idée.
RépondreSupprimerJe me réjouis particulièrement de la disparition annoncée de la doctrine Hilmer, et de son épée de Damoclès.