Ce motif n'a pas d'équivalent pour les brevets français, et la question qui revient de façon récurrente devant les tribunaux est celle de savoir s'il peut être invoqué par toute partie ou pas.
Un certain nombre de législations européennes réservent expressément ce motif aux personnes ayant droit au brevet. Il s'agit notamment des législations allemande (Art. II§6 IntPatÜG), néerlandaise (Art 75(3)), suisse (Art 28 de la loi fédérale sur les brevets d'invention), espagnole (Art 113 de la loi sur les brevets), du Royaume-Uni (Art 72 Patent Act), suédoise (Art 52)...
Feue la Convention sur le brevet communautaire de 1975, en son article 31(2) avait également adopté cette solution, mais pas le projet de règlement sur le brevet communautaire de 2008.
En France, l'Art L614-12 CPI est totalement muet sur ce point, se contenant de renvoyer aux motifs de l'Art 138(1) CBE.
Nous avions vu il y a quelques années que le TGI de Paris, suivant la Cour d'Appel de Paris, avait décidé que ce motif ne pouvait être soulevé que par un tiers se prévalant du droit au brevet : 'une telle nullité ne pouvant être invoquée que par la ou les personnes qu'elle a pour objet de protéger, la société X, extérieure aux relations existant entre les inventeurs et la société titulaire du brevet en cause, n'a pas qualité à agir sur ce fondement."
L'excellent blog "Jurisprudence des brevets en France" a publié il y a quelques semaines un arrêt de la Cour d'Appel de Lyon du 2 décembre 2010, qui remet en cause cette solution :
L’appelant fait valoir que le droit à agir en nullité sur le fondement de l’article 138 paragraphe 1 e) serait limité aux seules personnes pouvant prétendre à un droit sur le brevet en cause au motif que le texte a pour finalité de protéger des intérêts privés (ceux de la personne dont le droit au brevet a été usurpé) mais, ainsi que l’a indiqué à juste titre le tribunal, une telle interprétation conduit à ajouter au texte une condition qui n’y figure pas alors que rien ne s’opposait à ce que la CBE prévoit une disposition spécifique relative à l’ouverture de l’action en annulation pour défaut de droit au titre.
Le PIBD, qui a publié cette décision en son numéro 936 (du 15.03.2011) donne une liste de décisions ayant statué dans un sens ou dans l'autre. La majeure partie des décisions ont adopté une approche dite "restrictive", en limitant l'action à celui pouvant prétendre à un droit sur le brevet : TGI Paris 1.10.2010, TGI Paris 14.11.2007, TGI Paris 28.09.2007, CA Paris 15.09.2000.
Il est à espérer que la Cour de Cassation aura prochainement l'occasion de prendre position sur le sujet.
Une évolution vers une approche "non-restrictive" irait plus dans le sens de l'intérêt du public. En effet, Il me semble injustifié que les titulaires ayant obtenus leurs brevets en fraude des droits des vrais inventeurs bénéficient de fait d'un monopole indu ("fraus omnia corumpit").
RépondreSupprimerLe problème pour le demandeur à une action reconventionelle en nullité se situerait au niveau de la charge de la preuve qui lui incomberait (puisque le titulaire mentionné est réputé être valablement mentionné en droit français des brevets au sens de A. 60(3) CBE et L611-6 al 3 pour les brevets français). Dans la mesure où la preuve que le titulaire n'avait pas le droit de se prévaloir d'un droit privatif, le juge ne devrait pas ignorer ce fait notamment dans le cas d'une action en contrefaçon, étant entendu que la titularité est une condition de recevabilité d'une telle action.
Les décisions dans le sens de l'interprétation "restrictive" se fonde probablement sur le fait que le CPI ne prévoit pas la "non-titularité" comme moyen invoquable dans une action en nullité pour les brevets français (L613-25) mais plutôt moyen invoquable dans une action en revendication de propriété (L611-8) qui n'a d'effet qu'entre les parties. Il résulte qu'une décision de la Cour de Cassation dans le sens d'une interprétation "non-restrictive" entraînerait probablement une modification de L613-35.
Affaire à suivre...